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Voter, un droit que les femmes peuvent exercer depuis seulement 70 ans

Ce mardi marque le début de la reconnaissance de la femme comme citoyenne, lorsque la Belgique accorde enfin, le 27 mars 1948, le droit de vote aux femmes. Elles pourront l’exercer pour la première fois lors des élections du 26 juin 1949. La Belgique marque un certain retard par rapport à d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande, qui y consent dès 1893, le Royaume-Uni, qui l’a accordé pleinement en 1928, les Pays-Bas en 1919 ou même la France qui a passé le cap en 1944.

La première victoire des femmes belges est remportée en 1921: elles obtiennent le droit de voter aux communales et l’éligibilité, à l’exception des prostituées, qui n’étaient « ni homme, ni femme », ironise Valérie Piette, professeure en histoire à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Depuis 1919, les veuves de guerre et les femmes héroïques pouvaient également voter.

La Belgique s’est ainsi montrée moins frileuse à accorder le droit aux femmes d’être élues que de voter. « Pendant l’entre-deux guerres, des femmes sont élues par des hommes. On leur a accordé ce droit car on savait qu’elles seraient très peu nombreuses à remporter l’élection. C’était symbolique. On reste dans l’idée que le suffrage est un droit que les femmes sont incapables d’exercer », explique Mme Piette.

Guerre mondiale

L’année 1948 marque ainsi un changement. La Deuxième Guerre mondiale est passée par là et elle a « joué un rôle déterminant. C’était une guerre idéologique, qui a ravivé la foi dans le régime démocratique. Le suffrage féminin est ainsi à nouveau revendiqué », souligne la professeure d’histoire.

« A l’issue de chaque guerre mondiale, la Belgique a étendu le droit de vote. Après la Première guerre, on a accordé le suffrage universel masculin et après la Deuxième, on octroie le droit de vote aux femmes. Cela part d’un besoin de refonder le pacte social en réunissant toutes les personnes qui ont participé au conflit », explique Pascale Vielle, professeure en droit social à l’Université catholique de Louvain (UCL).

L’après-guerre marque également la création des Nations Unies « et les conventions internationales excluent les discriminations basées sur le sexe », rappelle Valérie Piette.

La Belgique doit dès lors se conformer, elle qui est déjà très en retard par rapport à d’autres pays – la Nouvelle-Zélande a accordé le suffrage féminin en 1893, le Royaume-Uni en 1928. La France, en retard aussi, l’accorde en 1944. En Belgique, il faudra attendre encore quelques années car le débat fait toujours rage.

« La question n’était pas est-il juste qu’une femme dispose de droits politiques mais pour qui va-t-elle voter », explique Mme Piette. C’est ce qui intéresse la classe politique « depuis la fin du 19e siècle. On a l’idée que les femmes seraient plus conservatrices que les hommes. (...) On est aussi au moment de la question royale (qui a abouti à l’abdication du roi Léopold III en 1951, ndlr) et l’on craint que les femmes ne votent pour le retour du Roi parce qu’elles sont plus maternelles, plus compréhensives... »

Féminisme et pilarisation

Par ailleurs, au Royaume-Uni, le combat pour le suffrage féminin est porté par un mouvement politique féministe, les suffragettes. « En Belgique, le suffrage féminin n’échappe à la pilarisation c’est-à-dire que les femmes entrent dans des partis politiques. Il existe donc un féminisme socialiste, un libéral et un catholique », observe l’historienne.

Le droit de vote n’a en réalité pas été pensé en termes d’égalité en Belgique, insiste-t-elle. « L’électrice est considérée comme une femme, pas comme une citoyenne. Le droit de vote était une arme et non un droit à l’égalité. La femme serait plus conservatrice, les catholiques réclament donc qu’elle obtienne le droit de vote et les libéraux comme les socialistes s’y opposent. » La réalité contredira finalement les stéréotypes: la constitution du Parlement ne change pas avec le suffrage féminin. « Une femme vote comme un homme! »

Pour Pascale Vielle, le retard de la Belgique s’explique également par son côté conservateur. « Lorsqu’on réforme le pacte social après la guerre, le modèle reste un homme marié avec sa femme à la maison et quelques enfants. Dans les comparaisons internationales, ce retard est typique des pays qui connaissent un contexte catholique très ancré, une royauté et un contexte social très corporatiste », note-t-elle.

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