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Vivre seul et heureux !

Ann Heylens Journaliste

Qu’ils aient choisi de vivre seuls ou parce que la vie en a décidé ainsi, de plus en plus de Belges vivent en solo. Pour beaucoup, heureux avec eux-mêmes.

Il n’y a pas de célibataire type, analyse Maureen Luyens, psychologue-sexologue de l’UZ Leuven. À une extrémité du spectre, on trouve le stéréotype même du célibataire épanoui, qui jouit pleinement de la vie. À l’autre, la personne isolée qui souffre de solitude. Entre ces deux extrêmes, tous les cas de figure sont possibles. Les célibataires ne forment pas un groupe homogène, loin de là. Il y a de multiples raisons à la vie en solitaire: rupture, décès, impossibilité de trouver l’âme soeur ou choix délibéré. Après un décès ou une déception amoureuse, la tentation est grande d’opter volontairement pour une vie sans partenaire, ne fût-ce que momentanément. Il est tout à fait possible de vivre seul et de se sentir heureux. J’enfonce peut-être une porte ouverte mais tous les célibataires qui fréquentent mon cabinet y voient un énorme avantage: une liberté incroyable. Il ne faut rendre compte à personne de ses allées et venues, de son retour tardif à la maison ou, plus important encore, de justifier ses dépenses. Sans enfants à charge, on a aussi plus de temps libre à consacrer à ses loisirs, sa carrière ou ses centres d’intérêt. »

Nous sommes formatés depuis notre plus tendre enfance par le message véhiculé par les contes pour enfants: le but dans la vie est de réaliser ses rêves les plus chers. Plus tard, à l’âge adulte, ce sont les chansons et les films qui prennent le relai. « Nous sommes tous éduqués selon ce schéma, constate le psychologue Leo Bormans, spécialiste du bonheur. Selon certaines études, les gens mariés sont plus nombreux à se déclarer heureux mais leur bonheur tient peut-être à d’autres facteurs que la relation en soi, à une certaine aisance financière par exemple. Le mariage n’est pas le principal objectif à atteindre dans la vie pour tout le monde. Chacun a sa propre expérience de l’amour et toutes les expériences sont valables. Une vie sans partenaire ne signifie pas nécessairement une vie sans amour. Et le mariage ne constitue nullement une garantie d’amour. Quant aux célibataires, ils peuvent aimer profondément plusieurs personnes. Toute liaison interpersonnelle génère des émotions positives. »

Selon Leo Bormans, les personnes qui n’entretiennent pas de relation fixe attachent généralement plus d’importance aux relations avec les amis, la famille, le groupe. L’organisation d’activités est leur principal moteur. Les études montrent également que la personne qui vit seule prend plus à coeur d’effectuer un travail utile. « À la limite, l’utilité de l’activité importe plus que le salaire, affirme le psychologue. Positivisme et optimisme sont indispensables pour se sentir heureux. Optimisme quant à la rencontre d’un nouveau partenaire mais aussi quant à la concrétisation d’un rêve, d’un projet. »

Toujours plus nombreux

Selon les chiffres de Statbel, sur les 4,9 millions de ménages belges recensés en 2019, 35% soit 1,7 million sont constitués d’une seule personne. À cela s’ajoutent près de 500.000 parents célibataires, un nombre qui devrait augmenter au cours des prochaines années. Une chose est sûre: les célibataires sont tout sauf des cas isolés.

SE FOCALISER SUR LE POSITIF

« Il est plus difficile de vivre seul pour bon nombre de célibataires, nuance Maureen Luyens. Il faut prendre seul davantage d’initiatives, planifier, organiser, chercher les contacts. Tout le monde a besoin d’aimer et de se sentir aimé. Les amis et la famille ne satisfont pas toujours ce besoin. Dans ce cas, essayez, chaque soir, de penser au meilleur moment de la journée et de mémoriser ce sentiment de bien-être pour éviter de vous focaliser sur le négatif. Prenez soin de vous: bougez, mangez sainement, reprenez contact avec vos anciens amis, frottez-vous à de nouvelles activités, affiliez-vous à une association, faites du bénévolat. Les activités procurent une sensation de bien-être. »

« Nous cherchons tous l’équilibre entre autonomie et attachement, ajoute Leo Bormans. La personne qui vit seule depuis longtemps ou a délibérément opté pour le célibat attache beaucoup d’importance à l’autonomie. Certaines personnes, au contraire, ont besoin de s’engager dans une relation et n’envisagent pas de vivre seules. Elles s’enlisent parfois pendant des années dans une relation frustrante par peur de se retrouver seules. Liberté et liberté de choix sont synonymes de bonheur pour la plupart, y compris dans une relation.  »

Nous cherchons tous l’équilibre entre autonomie et attachement.

Qu’en est-il de la sexualité, du besoin de contact physique quand on vit seul? « Être célibataire ne signifie pas vivre sans contact ni relation privilégiée, précise Maureen Luyens. Il est d’ailleurs des couples mariés où le contact physique pose problème, où le sexe et l’affection font parfois cruellement défaut. » « Les câlins et les contacts physiques assurent pourtant la production d’ocytocine, l’hormone du bonheur explique Leo Bormans, au même titre que la méditation et le fait de rendre service aux autres. »

TU N’AS PERSONNE DANS TA VIE?

Le célibat n’est pas toujours bien perçu. Bien que dans les grandes villes, une personne sur deux soit célibataire, les stéréotypes ont la vie dure. Le célibat cacherait-il un problème? Tous ceux qui ont vécu seul à un moment donné de leur vie ont déjà été confrontés à ces remarques probablement bien intentionnées mais désobligeantes du genre « Tu n’as pas encore trouvé l’âme soeur? » ou « T’es sympa, comment se fait-il que tu n’as personne dans ta vie? ». Difficile de se prémunir contre de telles réflexions. « On ne se rend pas toujours compte à quel point ce discours peut être blessant, constate Leo Bormans. Non seulement vis-à-vis des célibataires mais aussi de toute personne ne répondant pas à la norme. Je conseille de ne pas crâner, de s’abstenir de toute réaction, tout simplement. Ou alors de répondre par une boutade. Autre constat: les célibataires qui présentent bien sont parfois pressentis comme une menace et mettent certains couples mal à l’aise. »

Les femmes célibataires sont-elles davantage victimes de préjugés? « Tout à fait, souligne Leo Bormans. La société accepte encore et toujours plus volontiers les hommes seuls (quel joyeux luron, ce type) que les femmes seules (la pauvre, elle n’arrive pas à trouver chaussure à son pied). Au niveau économique et financier, les hommes célibataires s’en sortent mieux en général. »

Un point de vue que ne partage pas Maureen Luyens. « Je constate que les femmes mettent moins longtemps à remonter la pente quand elles se retrouvent seules. Elles se montrent aussi plus exigeantes au début d’une nouvelle relation. Les hommes ont davantage tendance à se lancer tête baissée dans une nouvelle relation parce qu’ils ont plus de mal à assumer seul le quotidien. » L’âge est un autre facteur déterminant dans la façon de gérer sa situation. « Les 50 + ont déjà pas mal vécu et le souhait ou l’urgence de fonder une famille est moins pressant. Le célibat est sans aucun doute un moyen de recouvrer une certaine liberté même si chaque situation est différente. »

À en croire Leo Bormans, c’est moins une question d’âge que d’attitude. « Cela tient essentiellement à votre capital social, explique-t-il. Plutôt que de vous cramponner à un seul ami ou une seule amie, diversifiez vos contacts. Plus ils sont nombreux, mieux c’est. Fréquentez des personnes d’âge différent, d’opinions différentes, aux centres d’intérêts différents. Élargissez votre horizon. Continuez à apprendre. Aimez-vous sans vous montrer égoïste. Le bonheur attire le bonheur. Ne dites pas: « Personne ne s’intéresse à moi » mais intéressez-vous aux autres. Plus on donne, plus on reçoit. Et surtout, concentrez-vous sur ce que vous avez plutôt que sur ce que vous n’avez pas. Ne vous considérez pas comme une victime qui répète sans cesse « Au secours! je me sens seul.e » mais comme quelqu’un qui a pris sa vie en mains. »

Alain, 57 ans: « Ma jeunesse a été placée sous le signe de la fête »

Vivre en couple? Cette idée ne m’a jamais vraiment effleuré l’esprit. Dès que j’ai eu des revenus stables, j’ai quitté le nid familial pour voler de mes propres ailes. Je voulais goûter à l’indépendance totale, faire ce que je voulais quand je voulais avec qui je voulais. J’avais déjà de nombreux amis, je m’en suis fait encore plus. Ma jeunesse a été placée sous le signe de la fête quasi permanente. Je me suis vraiment beaucoup amusé.

Si je sors beaucoup moins actuellement, vivre seul ne me pèse toujours pas. Le soir, après une journée de travail bien remplie dans un bureau paysagé, je suis content de retrouver le calme de mon appartement et d’avoir plein de temps pour moi. Si j’ai envie de compagnie, il y a toujours un ami ou une amie prêt.e à aller manger un morceau au restaurant, à aller au cinéma, à aller boire un verre ou à simplement passer chez moi pour bavarder.

En cette période de pandémie, en revanche, ma vie est bien différente et moins agréable. Comme je télétravaille à 100%, les contacts avec les collègues se sont réduits à peau de chagrin. Fini de papoter et de rire pour oublier le stress du boulot pendant quelques minutes. Et, mesures restrictives obligeant, mes contacts sociaux privés sont plutôt rares aussi. Bref, pour la première fois, j’éprouve un sentiment de solitude. Mais est-ce pire que la lassitude qu’éprouvent ceux qui, vivant en couple, sont forcés de passer beaucoup plus de temps que d’habitude ensemble?

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