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Un coin à soi, c’est essentiel pour mieux vivre ensemble

Ann Heylens Journaliste

Bien sûr, on aime sa famille, mais, à la maison, on doit aussi pouvoir disposer d’un endroit à soi pour s’isoler, se ressourcer et mieux retrouver les autres.

Même si on adore sa famille, la cohabitation peut parfois être exigeante, voire pesante. La pandémie de Covid-19 l’a d’ailleurs mis en évidence. Se créer un cocon, un coin à soi, à la maison, au grenier ou dans la cabane de jardin, où l’on peut souffler: on en rêve! Typique de l’ultra moderne individualité? Même pas! La romancière anglaise Virginia Woolf en parlait déjà en 1929 dans un célèbre essai, « Une chambre à soi » (« A Room of One’s Own » en v.o.).

Faut-il vraiment s’étonner qu’à notre époque, où les hommes sont censés aider au ménage, on voit surgir le concept de « mancave » (grotte), d’après le livre de l’auteur norvégien Bjorn Gabrielsen, dans lequel il décrit comment l’homme d’aujourd’hui a besoin d’un refuge? Selon lui, la grange ou le coin bricolage seraient garants de la paix des ménages.

IDENTIFIEZ VOS BESOINS

Mais est-ce vraiment le cas? Nous avons posé la question à Vanessa Cluckers, thérapeute de couple. « Il est important de prendre conscience que tout le monde a besoin de moments de repli, analyse-t-elle. Avoir un endroit où vous pouvez vous retirer au calme, c’est aussi nécessaire pour vous que pour votre conjoint. Chacun de nous est un individu distinct et on forme un couple composé de deux entités. En tant qu’être humain et qu’individu, on a besoin de se retrouver face à soi-même, sans culpabiliser. Cette prise de conscience est primordiale. Il faut comprendre que l’autre éprouve la même chose. »

Pour votre bien-être personnel, Veillez à vous créer une bulle au moins 30 minutes par jour.

On craint parfois que ce besoin soit la preuve que quelque chose ne tourne pas rond dans le couple ou la famille. « C’est une pensée qui peut entrer en ligne de compte, admet la thérapeute. On a besoin de lien, de connexion pour se rassurer sur la bonne santé de son couple. Parfois, en l’absence de lien, on se met à douter de son couple... Mettre trop de distance n’est pas bon, évidemment, parce qu’il y a un risque d’éloignement. Cela dit, trop de proximité n’est pas bon non plus. Savoir dire à son conjoint: tu as eu une journée bien remplie, va te détendre..., c’est un signe d’amour. Pour qu’un couple soit sain, il faut la présence de deux pôles: distance et proximité. » Et cela s’applique à toutes les relations: parents-enfants, amitiés, relations professionnelles.

Et comment faire quand on a encore des enfants qui vivent à la maison et qui nous en demandent beaucoup? « En fonction de leur âge, vous pouvez leur apprendre petit à petit que leur père ou leur mère n’est pas toujours disponible, conseille Vanessa Cluckers. C’est important dans la perspective de leur future relation de couple. Apprendre à respecter les limites de chacun est le corollaire d’une bonne éducation. »

INTROVERTI OU EXTRAVERTI?

Revenons au concept de grotte. A cet égard, les femmes sont-elles différentes des hommes? « Ce serait un raccourci d’affirmer que les hommes en ont plus besoin que les femmes, estime Vanessa Cluckers. Nous ressentons tous le besoin d’un espace à nous. Sauf que les femmes ont souvent plus de mal à en trouver. Elles doivent formuler le fait qu’elles ont besoin de temps pour elle, en parler avec ceux qui vivent sous leur toit. Car même si elle ont un bureau ou un atelier, cela ne les empêche pas de culpabiliser quand elles s’y retirent. »

« Avoir besoin d’un endroit à soi n’est en rien lié avec le fait d’être un homme ou une femme, nuance le Dr Elke Van Hoof, professeur de psychologie à la VUB. S’il y a des différences, elles sont plutôt déterminées culturellement par les rôles attribués aux sexes, à savoir que les hommes ont plus de facilité à revendiquer cet espace pour eux-mêmes. Ce qu’on constate, c’est que la personnalité joue un rôle. Les introvertis ont besoin de passer plus de temps seuls que les extravertis. Ces derniers ont besoin de beaucoup de stimuli, alors que les introvertis y seront plus sensibles. Quoi qu’il en soit, je recommande à chacun de se déconnecter des autres au moins 30 minutes par jour. »

La cave ou l'atelier de bricolage permet de sauver de nombreux couples affirme l'auteur norvégien Bjorn Gabrielsen.
La cave ou l’atelier de bricolage permet de sauver de nombreux couples affirme l’auteur norvégien Bjorn Gabrielsen.© GETTY IMAGES

SE CRÉER UN ESPACE MENTAL

Selon le Dr Van Hoof, cet espace pour soi ne doit pas forcément être une pièce séparée, un abri de jardin ou un atelier. Car cela voudrait dire que seuls ceux qui ont une grande maison peuvent se le permettre. Se créer mentalement un lieu de repli est tout aussi important. Il suffit, par exemple, d’un fauteuil où vous pouvez vous isoler avec des écouteurs. Mais vous devez vous mettre d’accord avec votre famille, vos colocataires. Sans quoi, vous risquez de voir votre espace personnel envahi en un rien de temps. Peut-on envisager de fermer la porte à clé? « Cela créerait une mauvaise dynamique. Mieux vaut y parvenir par le dialogue. »

Le moment choisi a, lui aussi, de l’importance. « Planifier des bulles de repli me semble une bonne idée, et même une nécessité, poursuit Elke Van Hoof. Déterminez les meilleurs moments selon l’organisation de vos journées. Si vous voulez être au calme alors que c’est l’heure de pointe pour la vie familiale – quand chacun est rentré de sa journée, a des tas de choses à raconter et qu’il faut préparer le repas – cela risque d’être conflictuel. Je conseille vraiment de s’organiser en amont. »

S’isoler à l’heure de pointe de la vie familiale risque de créer des conflits. Il faut s’organiser avant!

Le lieu de repli ne doit pas nécessairement être physique, confirme Vanessa Cluckers. « Les toilettes sont l’exemple typique de l’endroit où les gens s’isolent! Mais cela peut aussi être pendant qu’on prend un bain, qu’on se plonge dans la lecture d’un livre ou, lorsqu’on rentre du travail et qu’on s’octroie un moment de calme, de méditation, dans sa chambre, pour regarder par la fenêtre, écouter de la musique... Bref, un moment juste pour soi avant de se lancer dans les tâches familiales. »

UNE PÉRIODE DE TRANSITION

« Dans les périodes de transition, on a souvent besoin d’un endroit où on peut être seul un certain temps, c’est-à-dire durant toute la période où l’on doit passer d’une situation familière à un nouvel équilibre, précise Vanessa Cluckers. Par exemple, lorsque vous ou votre conjoint prenez votre pension. Cela oblige à repenser l’équilibre du couple. Il se peut aussi que vos enfants reviennent à la maison après leurs études ou après une rupture sentimentale. Ou que vous deviez garder vos petits-enfants. Il faut veiller à trouver sa place et définir ses limites. Il est important de se préparer à ces phases nouvelles et les anticiper autant que possible. Se sacrifier n’est jamais une bonne idée. »

Comment faisaient nos grands- parents et les générations avant eux? Les familles étaient étaient nombreuses et vivaient dans des espaces parfois restreints ... « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les gens avaient souvent plus de temps à consacrer à eux-mêmes que maintenant, soutient Elke Van Hoof. Hommes et femmes passaient souvent plus de temps dans l’espace qui leur était dévolu: l’homme à l’extérieur de la maison, la femme à l’intérieur, tandis que les enfants jouaient en plein air. Sans chercher à idéaliser cette situation, c’est un peu ce à quoi nous aspirons plus consciemment aujourd’hui. »

« En effet, il ne s’agit pas du tout d’un caprice de l’homme moderne, mais d’un besoin fondamental, renchérit Vanessa Cluckers. C’est absolument nécessaire pour maintenir une relation de couple ou familiale saine. »

Comment faire?

  • Chaque matin, levez-vous un peu plus tôt, vous aurez la maison pour vous seul(e) et vous pourrez vaquer à vos occupationss ou siroter un thé ou un café.
  • La salle de bain est un bon espace personnalisable. Le temps d’un bain, par exemple.
  • Isolez-vous avec l’aide d’oreillettes ou d’un casque anti-bruit.
  • Lisez un livre au calme, dans votre chambre.
  • Choisissez le moment de la journée le plus propice.
  • Parlez-en avec ceux qui vivent sous votre toit.

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