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Un absent lors des fêtes ? Comment surmonter le syndrome de la chaise vide

Depuis l’année dernière, il y a eu un décès, un enfant parti loin à l’étranger, un divorce...Bref, une absence autour de la table familiale qui pèse d’autant plus lourd qu’aujourd’hui, c’est Noël.

Les fêtes, ces événements joyeux, peuvent devenir des moments très durs lorsque quelqu’un manque à la table familiale. Séparation, déménagement à l’étranger, maladie grave, décès... une chaise est alors symboliquement vide.  » La rupture du lien devient dès lors encore plus évidente, observe le Dr Manu Keirse, psychologue clinicien et spécialiste du travail de deuil. C’est un moment où la famille est centrale et où tous les dérivatifs, comme le boulot ou l’école, disparaissent. L’ambiance des fêtes se trouve en total contraste avec le ressenti de la personne endeuillée, ce qui renforce son sentiment de solitude. Cela fait des années que je m’efforce de sensibiliser les médias à cette question. Et on me remballe systématiquement : à cette période de l’année, nous ne voulons pas plomber le moral des gens ! Or, bien au contraire, oser parler de ces questions permet de soutenir les personnes confrontées à une absence. Je pense qu’il vaut mille fois mieux prendre le temps d’y penser et d’en parler, plutôt que se taire. Après tout, nombre de familles sont concernées. On estime que, chaque année, à une table de Noël sur cinq, il manque une personne. Un absent est plus présent que jamais. « 

Bien s’y préparer

On ne peut pas effacer la tristesse, par contre, on peut faire en sorte que les fêtes se déroulent au mieux. Par exemple en planifiant ce qu’on a envie de faire ou pas.  » L’avantage de bien se préparer, c’est qu’on garde le contrôle. Ce qui aide à construire une digue psychologique pour contenir la vague d’émotions qui risque de vous submerger ces jours-là. Le mieux, c’est de décider en famille si on a envie d’organiser Noël comme d’habitude ou pas. Certains optent, par exemple, pour une activité que l’absent aurait appréciée. Je connais ainsi une famille qui débute le jour de Noël par une balade vers un lieu qui avait une signification particulière pour la personne absente. « 

Cette réflexion doit se limiter à la période de fête de cette année.  » L’an prochain, vous serez sans doute passé à un autre stade de votre travail de deuil. Concentrez-vous sur Noël. Si tout se passe bien, vous disposerez de bonnes bases pour franchir le cap du Nouvel-An.  » Cette première nouvelle année peut être ressentie comme une montagne à franchir, parce que, quelque part, vous n’avez aucune envie d’abandonner l’être cher dans l’année qui s’achève.  » Les gens redoutent le passage à l’an neuf parce qu’ils ont le sentiment que la personne disparue risque de leur échapper un peu plus. Le deuxième ou le troisième réveillon peuvent être tout aussi difficiles : un décès qui semble déjà loin pour les autres reste encore douloureux pour vous. « 

Ce sont souvent les détails pratiques qui aident à franchir le cap. Par exemple, si la famille se retrouve à cinq au lieu de six au restaurant, réservez de préférence une table ronde.  » Mettez-vous d’accord sur la manière dont vous évoquerez les souvenirs. Tenez compte aussi des souhaits des autres membres de la famille qui, eux aussi, ont du chagrin. « 

Les courses, la cuisine, les décorations...  » Les personnes en deuil n’ont souvent pas l’énergie nécessaire pour assumer tout cela. Essayez d’évaluer ce que vous vous sentez capable de faire. Faire la queue à la caisse, dans des magasins pris d’assaut, c’est souvent trop. Sachez déléguer. La période des fêtes est épuisante : on se couche tard, on mange trop... Attention que cela ne vous plombe pas davantage. L’alcool permet, certes, d’exprimer plus librement son chagrin et sa colère, mais parfois aux dépens de vos proches. « 

Notre Noël le plus chaleureux

 » Notre petit-fils est décédé un 12 décembre. Personne n’avait envie de fêter Noël mais, finalement, nous avons maintenu la tradition. Le sapin a été décoré par les autres petits-enfants en souvenir de notre petit-fils qui aimait tant cela. Nous avons bu du champagne en guise de remerciement pour la belle vie qu’il a eue. Au lieu de cuisiner, avec le risque de verser des larmes dans la casserole, nous avons fait appel à un traiteur. L’insondable chagrin a su faire place à des sourires sur l’air de  » Tu te souviens... ? « . Ce fut notre Noël le plus dur et le plus chaleureux. Jamais es membres de la famille n’avaient été aussi prévenants les uns envers les autres. « 

Ce qui remonte à la surface

Les meilleures intentions n’empêchent pas de mauvais choix ou des mots vite regrettés.  » Nous avons connu, dans ma famille, la mort d’un petit-fils. Une de mes soeurs voulait qu’on renonce à rassembler tous les petitsenfants qui, traditionnellement, lisent les voeux, de peur de bouleverser son frère en deuil. Or, justement, ce choix ne pouvait qu’exacerber l’absence. On croit, à tort, éviter de remuer le couteau dans la plaie. Mais, de toute manière, la personne disparue ne sera jamais aussi présente que ces jours-là. « 

C’est aussi valable pour des chagrins plus ou moins enfouis qui remontent à la surface lors des fêtes.  » Noël et le réveillon sont traditionnellement des moments propices à l’annonce d’une grossesse. Il n’est pas rare de voir des familles où cela suscite des sentiments mélangés chez les (grands-)parents quand ceux-ci sont conscients qu’un autre de leurs enfants rêverait de devenir parent mais n’y arrive pas. Parmi d’autres chagrins incompris, citons le fait de pleurer la mort d’une personne (très) âgée. On s’éviterait beaucoup d’angoisses si on s’autorisait à exprimer davantage son chagrin. « 

Comment entourer au mieux la personne en deuil ?  » En l’écoutant raconter ce que ça signifie pour elle, répond Manu Keirse. Voire en lui posant franchement la question :  » Dis, comment vis-tu ces jours de fête ? « , ce qui lui permettra de s’exprimer. On évitera, en revanche, les conseils du genre :  » Cela passera avec le temps.  » Le chagrin ne fonctionne pas comme ça. Une autre erreur qu’on commet souvent consiste à embrayer sur son propre cas :  » Moi aussi, j’ai perdu un proche « . Ou à tenter de consoler l’autre en lui racontant une histoire plus dramatique. Ce qui peut lui donner l’impression qu’on minimise son chagrin. Les gens sont prêts à parler seulement s’ils sentent qu’on leur en laisse la possibilité. En remuant des souvenirs, la personne risque de se mettre à pleurer. Mais si elle doit refouler son chagrin, elle ne réussira pas à participer à la fête. « 

De même, si elle veut exprimer des sentiments de culpabilité.  » Souvent, on se heurte à un mur d’opposition, muette ou non, de la part des personnes présentes qui n’ont pas envie d’être confrontées à cela. Or, chacun a le droit de ressentir de la culpabilité et de l’exprimer. Car cela soulage, c’est un début de solution. Se sentir coupable ne veut absolument pas dire qu’on l’est, mais refouler les sentiments de culpabilité peut s’avérer très dangereux. « 

Difficile sans ma belle-fille

 » Le mariage de mon fils s’est brisé cette année. J’étais très proche de ma belle-fille. Du coup, je n’ai plus du tout envie de célébrer la fin de l’année. Je me revois avec elle, en cuisine, en train de rire autant que de cuisiner. Elle était toujours la première à faire des blagues ou organiser un quiz. Elle s’entendait avec tout le monde. Mais je peux pas en parler car cela blesse mon fils. « 

De nouveaux rituels

En cas de deuil, vaut-il mieux renoncer aux réveillons ?  » A l’origine, ils servaient à franchir ensemble un cap difficile, souligne Manu Keirse. Il y a beaucoup de gens pour lesquels il est difficile de faire la fête, mais on peut élaborer ensemble de nouveaux symboles ou de nouveaux rituels qui vont intégrer le souvenir de l’absent. On peut, par exemple, demander à chacun d’écrire un souvenir sur de jolies cartes qu’on accrochera au sapin... Ces messages pourront être lus au moment où vous vous sentirez prêt« .

On peut aussi confectionner un calendrier sur lequel apparaissent, en plus des anniversaires, les dates de décès. « Une manière de ne pas oublier les disparus et de pouvoir faire preuve de sollicitude à l’égard de quelqu’un qui a perdu un proche. « 

A lire : Faire son deuil, vivre un chagrin, Manu Keirse, éditions De Boeck, 2012 (25€).

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