Télé-Accueil, la ligne la plus sollicitée du pays

Jour et nuit, des bénévoles sont à l’écoute de petits et grands problèmes, d’appels à l’aide, de solitudes étouffantes... Nous avons passé une journée avec les voix sans visage de Télé-Accueil.

Le centre d’appel de Télé-Accueil est installé dans un immeuble d’appartements avec vue sur les toits d’une ville de province. La pièce est d’une grande sobriété: un bureau, un téléphone, un canapé et un lit pliable pour quelques moments de repos pendant les longues nuits de garde. Comme coupé du monde, le répondant concentre toute son attention sur ce que lui confie la personne à l’autre bout du fil. Les bénévoles comme Sophie et Laurent (*) pratiquent l’écoute active au téléphone ou par chat. S’il n’est pas possible de suivre une équipe pour des raisons évidentes de respect de la vie privée, Sophie et Laurent ont accepté de lever un coin du voile sur la dimension psychosociale de leur travail.

TOUT SAUF DE LA ROUTINE

« Il n’y a pas de formule d’accueil toute faite ni de scénarios préconçus chez nous. On ne parle pas de la même façon à un correspondant en larmes ou bouleversé qu’à une personne en colère », raconte Laurent qui s’exprime de manière pondérée et affable tout en ménageant des moments de silence, comme pour inviter son interlocuteur à prendre la parole.

Désireux de se mettre au service des autres après une carrière dans les finances, il est arrivé chez Télé-Accueil il y a dix ans. « Le face-à-face téléphonique est une expérience fascinante. On est en contact avec la société dans toute sa diversité à l’autre bout du fil. Je communique avec des gens que je n’aurais probablement jamais rencontrés et avec qui j’ai une conversation unique, sans entraves. De l’adolescente de 15 ans meurtrie par une amourette déçue au schizophrène. La nuit invite à la confidence. On prête une oreille attentive à des personnes en détresse tandis que le reste du monde dort. Les appels nocturnes sont généralement plus intenses, plus désespérés aussi. »

« Enfant, je rêvais de devenir psychiatre pour mieux comprendre mes parents, raconte Sophie. Aux alentours de la cinquantaine, quand je suis rentrée en Belgique après un long séjour à l’étranger, j’ai cherché un bénévolat qui donnerait du sens à ma vie. Je me suis toujours intéressée aux autres, à leur vécu, à leurs souffrances, c’est ma principale motivation. Dès ma première permanence à Télé-Accueil, j’ai compris que j’étais faite pour cela. Je déteste la routine et ici, même après quatorze ans d’écoute attentive, chaque personne, chaque situation reste unique. C’est tellement gratifiant d’entendre un interlocuteur, si désespéré au début de la conversation qu’il envisageait le pire, me dire qu’il se sent beaucoup mieux. Ce n’est pas toujours le cas et il faut savoir l’accepter en toute humilité. »

En chiffres

  • 650 c’est le nombre d’appels quotidiens que reçoit Télé-Accueil.
  • 900 bénévoles travaillent dans les 13 centres d’appel du pays.
  • 68% des appelants de plus de 50 ans sont des femmes.
  • 70% des appelants de plus de 50 ans sont célibataires.

DES CHIFFRES RECORDS

Télé-Accueil enregistre des chiffres records depuis la pandémie. Les sujets récurrents sont toujours les mêmes: problèmes relationnels, soucis de santé, solitude (plus durement ressentie depuis deux ans). « Beaucoup nous appellent pour partager leur désarroi face à la crise sanitaire. Le grand défi à relever aujourd’hui est de reconstruire les contacts sociaux qui nous ont tellement manqués pendant le confinement. « Je ne connais plus personne. Comment renouer avec les autres? » , « Je n’ose plus sortir seul ». Autant de questions de plus en plus pressantes, souvent révélatrices de situations difficiles », confie Sophie.

Un des plus grands pièges que rencontrent tous les bénévoles est l’envie de tout résoudre. « On apprend pendant la formation que la solution doit venir de l’appelant. Si quelqu’un me confie son incapacité à prendre des initiatives par exemple, je ne fais que confirmer sa crainte en prenant les choses en main », précise Laurent. « Il faut se montrer compréhensif et s’il s’avère que l’appelant attend plus que de la compréhension, c’est à nous de voir ce qu’il y a moyen de changer dans sa vie. Les questions ouvertes permettent de réveiller sa créativité et l’inciter à trouver lui-même un début de solution. Cela ne fonctionne pas toujours du premier coup. Il faut alors essayer de faire entrevoir des perspectives d’avenir positives. Demain réserve son lot de surprises qui peuvent tout changer », poursuit Sophie.

Télé-Accueil, la ligne la plus sollicitée du pays

DES TÉMOIGNAGES POIGNANTS

Certains appels sont plus marquants que d’autres. « Je me souviens d’un ado physiquement abusé à son domicile, raconte Laurent. Son histoire m’a particulièrement touché car j’ai des petits-enfants de son âge. J’ai réussi à le réconforter à en juger d’après ce qu’il m’a dit:

« La nuit va maintenant me paraître moins longue ». Impossible de résoudre sa situation familiale par contre. Je ne suis ni thérapeute, ni policier. Il faut en être conscient et savoir garder ses distances. Et si un contact comme celui-là vous taraude, il est possible d’en faire part à un psychologue de Télé-Accueil. Cette possibilité de back-up me rassure et me donne confiance, lors des entretiens difficiles surtout. »

« Une jeune fille, indisposée pour la première fois, m’a demandé si elle pouvait tomber enceinte, raconte Sophie. Cet appel, relativement anodin à première vue, a fini par prendre une tout autre tournure. La jeune fille était sexuellement abusée par son grand-père qui en avait la garde et ne voulait pas qu’il aille en prison. C’était la première fois qu’elle arrivait à mettre des mots sur les abus dont elle était victime. Je lui ai mis du baume au coeur en lui expliquant que le simple fait d’en parler était déjà un grand pas en avant. Nous ne pouvons rien faire pour résoudre pareille situation mais ce genre d’entretien laisse des traces indélébiles. »

Femme (62 ans)

« Je n’arrive pas à gérer mon chagrin. Mon mari est mort inopinément à la mi-décembre. Depuis son départ à la retraite, en mars de l’an dernier, nous avions échafaudé de nombreux projets. Nous formions le couple idéal depuis trente-six ans. Le soutien de ma fille, de mes amis et des connaissances s’avère insuffisant. Les médicaments me soulagent un peu mais j’ai aussi besoin d’une aide psychologique ou d’un groupe de deuil. »

Femme (78 ans)

« J’ai soigné mon mari pendant quinze ans, jusqu’à sa mort, il y a six mois. Depuis lors, je suis dépressive. Je me sens terriblement seule et tout me paraît insurmontable. Je n’ai personne sur qui compter. Voilà cinq mois que je n’ai plus mis les pieds chez le coiffeur. C’est trop dur. Chaque fois que mon rendez-vous approche, je décommande. J’ai repris rendez-vous demain mais je crains que ce sera au-dessus de mes forces, une fois de plus. Les mois d’hiver et l’approche de la date d’anniversaire de mon mari ne font qu’empirer les choses. J’aimerais m’installer dans une résidence service pour ne plus être si seule mais ma modeste pension ne le permet pas. Merci de m’avoir écoutée. »

Homme (64 ans)

« La situation devient intenable au travail. Mes collègues me demandent constamment quand je compte prendre ma pension, ce que je ressens comme de la pure méchanceté. C’est à moi de décider de ma vie, sans aucune pression des autres. Je suis célibataire et conscient de mon manque d’assertivité. Je ne sais pas comment réagir aux remarques désobligeantes de mes collègues. »

Femme (58 ans)

« Je prends ma retraite dans un an, une perspective qui devrait me réjouir mais en attendant, les choses sont loin d’être simples. J’ai beaucoup de mal à supporter la pression qui pèse sur mon département. En tant que chef de service, je dirige une équipe au sein d’une grande organisation. J’ai toujours été persuadée du bien-fondé de mon approche mais le nombre élevé de collègues démotivés m’inquiète plus que jamais. Je ne vois pas de solution et je n’ai personne vers qui me tourner. Je ne peux m’en ouvrir à personne, pas même à mes proches. »

UN REGARD QUI CHANGE

L’écoute active peut s’avérer très bénéfique, pour l’appelant et pour le répondant. « Je suis devenu beaucoup plus tolérant, moins partial, se réjouit Laurent. Je me rends compte que les grands principes sont souvent erronés. J’ai aussi appris à nuancer mes propos qui peuvent être interprétés différemment selon l’inflexion de la voix. J’avais tendance à juger un peu vite. Je me rends compte qu’il y a souvent une raison qu’on ignore, comme me l’ont appris tous ces témoignages », résume Sophie.

DANS LE PLUS STRICT ANONYMAT

Le strict anonymat du centre d’appels gratuits est propice aux secrets et à l’expression de la vulnérabilité. « Tout ce qui se dit ici, reste ici, souligne Laurent. Dans ma famille, seule ma femme est au courant. Si j’en informais mes amis ou ma famille, je les priverais de la possibilité d’appeler. L’aide anonyme est aussi un formidable exercice d’humilité. »

« Quand je sors d’ici après mon service, j’éprouve toujours un sentiment de grande satisfaction, voire de bonheur, confie Sophie. Parce que j’ai pu apporter ma modeste petite pierre à l’édifice. Je le fais pour aider les autres et je reçois énormément en retour, même si cela peut paraître contradictoire. »

*Sophie et Laurent sont des noms d’emprunt. Les bénévoles travaillent dans le plus strict anonymat.

Télé-Accueil cherche constamment de nouveaux bénévoles qui bénéficient d’une formation basée notamment sur des jeux de rôles et des cours théoriques. Les bénévoles doivent assurer au moins trois services de jour et une garde de nuit par mois. Pour plus d’infos, surfez sur tele-accueil.be ou formez le 107.

Les bases de l’écoute active

1. Mobiliser toute son attention

« Le principe fondamental de l’écoute active est de concentrer toute son attention sur son interlocuteur. Installez-vous, faites le vide autour de vous et oubliez tout le reste, y compris votre GSM », conseille Jennifer Pots, porte-parole de Télé-Accueil.

2. Faire preuve d’empathie

Le rôle du répondant empathique consiste aussi à déceler les sentiments qui se cachent derrière les faits rapportés. Essayez de ressentir ce que ressent l’appelant. Il faut savoir écouter pour comprendre sans réagir, savoir se taire pour lui donner l’occasion de s’exprimer.

3. Donner un feedback

Un des pièges est de réagir en disant: « J’ai vécu la même chose. » Le but n’est pas de faire votre autobiographie mais de donner un feedback en résumant avec vos mots ce que l’appelant vous a confié. Pour lui prouver que vous l’avez compris et l’encourager à poursuivre. Pour l’aider à trouver les mots justes.

4. Poser des questions ouvertes

Les questions ouvertes permettent d’aller un peu plus en profondeur: « Qu’est-ce que cela signifiait pour vous?, Comment vous sentez-vous après cela? , Comment est-ce arrivé? Comment avez-vous réagi? » créent un sentiment de confiance et de sécurité qui font que votre interlocuteur se sent réellement écouté.

5. Ne pas proposer de solutions

Le feedback et les questions adéquates permettent de conscientiser votre interlocuteur de ses besoins mais aussi de ses forces. Les questions du genre « Quelles opportunités envisagez-vous? ou Comment l’avez-vous vécu? » stimulent la prise d’autonomie. Si vous commencez à raisonner en termes de solution, il est fort probable que vous occultiez la vraie raison de l’appel. Ce genre d’attitude peut aussi être perçue comme irritante.

6. La parole est d’argent, le silence est d’or

Dans un dialogue, les pauses sont propices à la réflexion. Les deux interlocuteurs ont le temps de remettre de l’ordre dans leurs idées et de réfléchir à la meilleure façon d’exprimer leur ressenti.

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