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Sommes-nous superstitieux ?

Vous vous méfiez des vendredis 13 ? Rien de plus humain que la superstition, même les plus terre-à-terre s’y laissent parfois aller.

Vous touchez du bois après avoir formulé un souhait ? Vous vous méfiez des vendredis 13 ? Vous portez toujours les mêmes vêtements lors des moments importants de votre vie ? Si la réponse est oui, vous avez une nette tendance à la superstition !

Des rites de passage

 » Nos ancêtres vivaient en lien étroit avec la nature, explique Bart Lauvrijs, spécialiste en histoire des religions. Le gui et les sapins restent verts toute l’année, d’où leur part de magie. Nos ancêtres croyaient que les morts pouvaient revenir à la vie et en profitaient pour régler leurs comptes. On se méfiait donc un peu des moments charnières, comme le soir du Nouvel-An, des anniversaires, des mariages ou des décès. Allumer des bougies, c’était l’espoir de chasser le malin. On croyait aussi que des esprits se glissaient dans la bière au moment de la fermentation, et que c’étaient eux qui rendaient saouls. On espérait conjurer le sort en cognant les chopes l’une contre l’autre. » C’est donc grâce à ces croyances anciennes qu’on a pris l’habitude d’entrechoquer les verres au moment de porter un toast et qu’on allume des bougies sur un gâteau d’anniversaire.

Elizabeth II aussi !

Nombre de rituels considérés aujourd’hui comme allant de soi sont en fait issus de superstitions. On les perpétue par esprit de tradition, en oubliant le lien à une croyance. Quoique... La reine d’Angleterre Elizabeth II ne signe aucun document important un vendredi 13 par peur de porter malheur à son pays. Il n’est pas rare que les hôtels bannissent la chambre n°13 et que les avions n’aient pas de rangée n°13.  » On dénombre en effet plus d’accidents les vendredis 13. Certaines personnes redoublent donc de prudence ce jour-là, au point parfois de se mettre ou de mettre les autres en danger « , assure Bart Lauvrijs.

Les superstitions obéissent à des déterminismes culturels. Dans certains pays, le 13 porte bonheur. Les croyances évoluent aussi au gré de nos contacts avec d’autres cultures. Ce sont les Chinois qui ont inventé les feux d’artifice de Nouvel-An. A côté du chat noir qui porte malheur, nous connaissons désormais le chat blanc qui porte bonheur, tout droit venu d’Extrême-Orient. A en croire Bart Lauvrijs, les superstitions ne sont pas près de disparaître.  » Tant que la science n’apportera pas de réponse aux questions D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Qu’est-ce que le destin ?, l’homme essayera de se protéger du mauvais sort et d’attirer la bonne fortune. « 

La pensée magique

Rien d’étonnant à ce qu’on cherche refuge dans la superstition aux moments importants, où on se dit que la chance joue un grand rôle : un examen, la maladie d’un être cher, une compétition sportive... Le sport et les superstitions sont d’ailleurs étroitement liés. Il semblerait en effet que 80% des sportifs se plient à des rituels  » porte-bonheur « .  » Les sportifs de haut niveau accomplissent souvent une série de gestes immuables avant un match, respectant en cela un schéma précis. En soi, il n’y a aucune magie dans ces rituels pré-compétition. On parle de superstition à partir du moment où un sportif s’astreint à quelque chose parce qu’il croit dur comme fer que sans cela il ne gagnera pas le match « ,précise Bert De Cuyper, psychologue du sport. Habitué à entraîner les sportifs en vue d’améliorer leurs performances, il les aide au passage à canaliser leurs superstitions.

 » Pour un sportif, le résultat est primordial. Or, la réussite ou l’échec s’accompagne d’une série d’éléments incontrôlables. Un sportif de haut niveau aura beau s’entraîner autant qu’il veut, sa victoire ou sa défaite peut dépendre d’une rafale de vent, d’une chute, de la décision d’un arbitre... C’est le terreau idéal à la superstition qui naît précisément de l’envie de contrôler ces divers éléments.  » La forme que peut prendre la superstition relève, elle, du hasard : si le sportif portait tel sous-vêtement pendant tel match remporté haut la main, il y verra un lien avec sa victoire.  » Même lorsque le rituel cesse d’apporter la victoire, les sportifs ne l’abandonnent pas si facilement. Cela s’explique par la psychologie cognitive : on accorde plus de poids aux cas où quelque chose de positif s’est produit ! C’est ainsi que lorsqu’un sportif traverse une période où il ne gagne plus aucun match, il n’est pas rare qu’on le voie changer de coiffure ou jouer avec une autre raquette, dans l’espoir de faire tourner la chance. »

Casser le schéma mental

Une expérience menée auprès de basketteurs superstitieux a démontré qu’ils mettent nettement moins souvent la balle dans le panier lorsqu’ils ne portent pas leur porte-bonheur.  » Quand on croit qu’on a mieux joué parce qu’on s’est plié à telle ou telle habitude, on empêche du même coup les pensées parasites, on est plus concentré et on se dit Aujourd’hui, je ne peux que gagner. Ce qu’on ne contrôle pas suscite de l’angoisse or, chez la plupart des sportifs, l’angoisse est contre-productive. Les sportifs qui ont une impression de contrôle – fût-elle illusoire – obtiennent de meilleurs résultats s’ils sacrifient à leur rituel superstitieux. « 

Si le psychologue du sport reconnaît donc l’efficacité de la superstition, il conseille néanmoins de la canaliser.  » Un sportif qui croit dur comme fer devoir faire ses étirements exactement une demi-heure avant son match a un problème. Quid le jour où il se trouve coincé dans les embouteillages et n’a pas le temps de se préparer comme il l’entend ? J’essaie de casser ce genre de schéma mental et de le remplacer par un autre rituel. Il faut que la superstition reste contrôlable. Je conseille aux sportifs qui ont un caleçon porte-bonheur de s’en acheter une bonne douzaine et d’en donner quelquesuns à leur entraîneur et à un ami qui voyage avec eux, afin qu’ils en aient toujours à disposition. « 

Les chaînes d’angoisse

Les chaînes de lettres constituent une forme très répandue de superstition. Il s’agit de copier une lettre et de l’envoyer à x personnes dans l’espoir de s’assurer richesse, bonheur et santé. Gare à celui qui brise la chaîne ! Il va déclencher toutes sortes de malheurs...

« Mon père avait réuni environ 2.000 lettres de ce type, ainsi que des centaines de lettres angoissées de gens qui ne savaient pas quoi faire, raconte la journaliste Ann Driessen. Ce sont surtout les lettres évoquant les saints qui provoquent des angoisses chez les personnes très croyantes. Mais on constate que cela touche aussi les non-croyants, qui se disent ennuyés par ces chaînes de lettres. Face à ces promesses ou ces menaces, on pense : il y a sans doute du vrai là-dedans. Ou alors on songe que la personne qui nous a envoyé la lettre doit y croire ferme et on n’a pas envie de la décevoir. Il ressort des témoignages que j’ai collectés que ces chaînes de lettres continuent à hanter l’esprit des gens. »

La classique chaîne de lettres a cédé la place aux chaînes d’e-mails, sans aucun lien avec la religion.  » Les e-mails qui promettent d’améliorer votre situation si vous les renvoyez sans briser la chaîne sont tout aussi problématiques. Ce type de courrier émane souvent d’un ami ou d’une connaissance, si bien que vous subissez une pression sociale. On culpabilise à l’idée de casser la chaîne, » analyse Ann Driessen. En outre, comme ce sont des messages très faciles à envoyer, cela ne coûte rien, ils parviennent à se répandre à la vitesse de l’éclair. Avec parfois d’étranges conséquences. Ainsi un père a reçu pendant des années des cartes postales adressées à sa fille malade alors qu’il n’a jamais eu d’enfant ! Clairvoyant, un habitant de Gand disait déjà en 1954 :  » Ce serait merveilleux si nous pouvions vraiment décider de notre bonheur et repousser le malheur en envoyant simplement des lettres. Notre désir de contrôle augmente à mesure que le réel devient plus violent. Lorsque le chômage de masse, la famine et la crise sévissent, les superstitions reviennent au galop et on cherche refuge dans l’irrationnel. »

Par Ellie Maerevoet

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