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Si vos enfants revenaient vivre à la maison

Julie Luong

En 2001, Etienne Chatiliez illustrait avec Tanguy un phénomène de société. En lui donnant une suite, il décortique l’évolution du même phénomène. Seize ans après, Tanguy, 44 ans, revient chez ses parents avec sa propre fille. Sans envie d’en repartir.

Les sociologues les appellent les enfants boomerangs. Eux, ce sont ces jeunes adultes qui retournent vivre quelques mois ou quelques années chez leurs parents, après avoir expérimenté une période plus ou moins longue d’autonomie. Difficile à chiffrer, le phénomène est incontestable. En France, le rapport 2015 de la Fondation Abbé Pierre indiquait qu’environ 500.000 jeunes âgés de 18 à 24 ans sont retournés vivre chez leurs parents en 2013. En Grande-Bretagne, 26% des 25-34 ans habitent chez leurs parents. En Espagne, ce sont 55% des 25-29 ans qui vivent encore au domicile familial. Le chiffre culmine à 60% en Italie, le record européen – en hausse de 10% depuis 1983.

Parmi les enfants boomerangs, il y a beaucoup de jeunes fragiles.

 » Le phénomène des enfants boomerangs est difficile à chiffrer, car les statistiques ne font pas bien la différence entre ceux qui restent et ceux qui reviennent. Mais ce qui est certain, c’est qu’il va concerner de plus en plus de gens, explique la sociologue Sandra Gaviria, spécialiste de cette question. Partout, on constate que les trajectoires sont de moins en moins stables, surtout dans les pays où il y a de hauts taux de chômage. En Allemagne, par exemple, où le taux de chômage est bas, ce n’est pas un vrai phénomène. « 

Le facteur économique est en effet prédominant : en France, le taux de  » recohabitation  » est de 58,5% pour les jeunes chômeurs de 18 à 29 ans, contre 46% pour l’ensemble de cette tranche d’âge. Économiser un loyer, c’est pour les jeunes précaires ou sans emploi une question vitale. D’autres, plus favorisés, choisissent cette solution parce qu’ils souhaitent mettre de l’argent de côté, par exemple pour s’acheter une maison, ou parce qu’ils désirent mener un train de vie confortable, avoir une belle voiture, s’acheter de beaux habits... ce que ne permet généralement pas un salaire de début de carrière.

La galère de l’autonomie

Mais les jeunes adultes ne réintègrent pas toujours le giron parental pour des raisons strictement économiques.  » Au-delà de l’économique, mes recherches montrent qu’il y a une autre raison centrale au retour : la mauvaise préparation des jeunes à gérer leur autonomie. Certaines dimensions, chez certains, ne sont pas bien stabilisées ou pas bien apprises. Certains vont trop faire la fête, trop dépenser, ne pas supporter la solitude... Mais il y a aussi des expériences de couples qui tournent mal et des jeunes femmes qui rentrent chez leurs parents en catastrophe. « 

René, 55 ans, a connu cette situation avec sa fille aînée.  » Ma fille est une impulsive. Peu après avoir rencontré son copain, elle a voulu vivre avec lui. Ils ne se connaissaient pas bien. Les premières semaines, elle m’appelait tous les soirs pour me dire que ça n’allait pas, que rien ne se passait comme elle l’avait imaginé. J’ai d’abord essayé de la raisonner, de lui dire d’être patiente, puisque je connais son côté  » tout ou rien « . Mais en fait, ce qu’elle voulait, c’est que je lui donne l’autorisation de revenir si ça n’allait vraiment pas. Et c’est ce que j’ai fait. « 

 » Parmi les enfants booomerangs, il y a beaucoup de jeunes fragiles « , commente Sandra Gaviria. La fragilité peut être pécuniaire ou psychologique : dans tous les cas, rares sont les parents qui tournent franchement le dos à leur progéniture en difficulté.  » Avant, c’était souvent vécu comme un drame de voir un enfant revenir. Mais aujourd’hui, la plupart des parents ont une vraie empathie pour leurs enfants, qu’ils considèrent comme des victimes du contexte et qu’ils ne vont donc pas stigmatiser. « 

En revanche, pour les adultes qui s’en retournent chez papa et maman, la honte est souvent présente.  » Certains cachent leur situation au boulot « , poursuit Sandra Gaviria. Car dans l’imaginaire, un adulte qui vit chez ses parents est un adulte qui a échoué ou qui a des problèmes.  » Disons que cela n’était pas prévu dans le programme de nos sociétés. En Espagne, les jeunes divorcés retournaient déjà chez leurs parents et on ne considérait pas que ces jeunes étaient moins adultes parce que vivant en famille. C’est un peu différent chez nous. « 

La paix des familles

Plus la période de cohabitation est longue, plus la situation risque de devenir problématique. Retourner vivre chez ses parents pour une durée délimitée par avance – le temps d’effectuer des travaux dans sa maison par exemple – sera toujours plus facile à vivre que d’y retourner sans savoir quand on sera en capacité d’en repartir.

 » Les parents ne disent généralement pas à leurs enfants qu’ils doivent s’en aller après un certain temps. Mais il y a des messages qui sont distillés. Quand on vous laisse une clayette séparée dans le frigo, que vous dormez sur le canapé, c’est un signe que la situation ne peut pas s’éterniser. » C’est ce que Margaux, 28 ans, a vécu quand elle est retournée chez ses parents après avoir perdu son emploi de graphiste...

 » Je sais que je peux compter sur mes parents, mais nous avons toujours eu des rapports compliqués, surtout avec ma mère. Elle tenait un double discours : à la fois, elle me disait que je pouvais rester tant que je voulais, que limite ça lui faisait plaisir, mais en même temps, elle me faisait sans cesse des remarques, sur mon comportement, ma manière de faire... bien plus que quand j’avais 14 ans ! J’ai compris qu’en fait, je venais bouleverser toutes ses petites habitudes et qu’elle n’avait pas envie que je sois là. « 

Car revenir vivre en famille, c’est aussi ranimer de vieux conflits, car chacun a désormais ses propres rituels, qu’il s’agisse de la composition des repas, des habitudes de regarder ou non la télé, du rangement, etc.  » Dans des cas plus rares, cet épisode peut permettre au contraire d’apaiser les conflits. Certains voient ça comme une occasion d’avoir pu mieux comprendre leurs parents. «  De même, lorsqu’un adulte revient à la maison avec ses propres enfants, la relation entre grands-parents et petitsenfants a souvent tendance à se renforcer et donne lieu à une grande complicité.  » Mais dans ce cas-là, ce sera dur aussi de les voir repartir « , note Sandra Gaviria.

Des parents mis à l’épreuve

Revenir chez ses parents ne s’assimile jamais à une collocation ordinaire. Pas question, par exemple, de ramener ses petits copains/copines à la maison... même si on a 35 ans et qu’on était autorisé à le faire quand on avait 15 ans ! Du point de vue des parents – et surtout des femmes -, le retour d’un enfant adulte au domicile familial entraîne souvent une surcharge de travail domestique. Une étude britannique d’envergure a étudié récemment l’effet du phénomène boomerang sur le bien-être des parents dans 17 pays européens. Elle a montré que les parents ayant vu leurs enfants revenir chez eux étaient confrontés à une baisse de leur qualité de vie, similaire à celle constatée lors de l’évolution d’un handicap lié à l’âge, comme des difficultés pour marcher ou s’habiller.

Le sentiment d’être envahi dans son espace personnel, les contraintes liées à la cohabitation seraient donc délétères au bien-être des deux parties, enfants et parents. Mais selon Sandra Gaviria, c’est aussi l’inquiétude des parents pour leurs enfants qui minent leur bien-être.  » Beaucoup de parents se demandent comment leur enfant va s’en sortir, par exemple s’il ne parvient pas à garder un emploi parce qu’il ne supporte aucune hiérarchie. Les parents connaissent leurs enfants : tout le problème est là ! « 

A contrario, il arrive que ces situations se muent en solutions (presque) idéales. Louis, 53 ans est revenu vivre chez sa mère il y a dix ans déjà, après son divorce. Il n’en est plus jamais reparti, et n’a aucune intention de le faire. Il a une compagne depuis plusieurs années déjà, mais ils ne souhaitent pas vivre ensemble. Cette situation lui convient donc très bien, comme à sa mère, avec qui il a depuis toujours une relation très complice.

 » C’est aussi une chance de pouvoir vivre ensemble. Ma mère fait les repas, mais c’est moi qui m’occupe du jardin, qui l’emmène faire les courses en voiture. Nous nous complétons « , explique-t-il. Car tel est l’autre terme de l’équation : si beaucoup d’adultes sont aujourd’hui appelés à retourner vivre chez leurs parents à cause d’une rupture de parcours, beaucoup pourraient aussi être amenés à le faire un jour pour aider leurs parents, confrontés à la maladie ou à la perte d’autonomie.

 » Bien sûr, certaines difficultés de santé ou de précarité peuvent faire qu’à un moment donné, les intérêts des uns se combinent avec ceux des autres « , analyse Sandra Gaviria. Les foyers à géométrie variable peuvent donc parfois déboucher sur une combinaison gagnante. Pourvu que chacun s’y préserve un espace de liberté.

Les  » dangers  » possibles

Accueillir à nouveau votre enfant sous votre toit est, certes, un très beau geste, mais mieux vaut être conscient d’une série de  » dangers  » potentiels. Particulièrement en ce qui concerne vos revenus.

Si vous êtes pensionné, le fait que votre enfant revienne vivre chez vous n’influencera pas le montant de votre pension. Mais il en va tout autrement si vous touchez une indemnité, par exemple des allocations de chômage ou d’invalidité. Celles-ci seront revues à la baisse si vous étiez d’abord une  » personne isolée « , avant de devenir un(e)  » cohabitant(e) « .

La cohabitation avec un enfant peut également se révéler très peu intéressante pour vous si vous disposez d’un faible revenu et que vous avez droit à un remboursement accru de vos frais médicaux. Pour calculer le revenu familial brut imposable, le fisc prend en compte la totalité des revenus d’un ménage. En ce qui concerne votre impôt personnel sur le revenu, rien ne changera. Votre enfant et vous cohabitez de fait sous le même toit et vous payez vos impôts séparément, comme deux personnes isolées. Si votre enfant travaille et a des revenus, sachez que vous ne pourrez pas le déclarer à votre charge.

Autre danger potentiel : votre enfant est peut-être endetté. Vous n’êtes pas responsable de ses dettes s’il est majeur, mais il se peut qu’on vous demande de les régler partiellement. C’est notamment le cas si un huissier décide d’une saisie des biens de votre enfant. L’huissier est en droit de considérer comme sa propriété tout ce qui se trouve au domicile de votre fils ou votre fille – qui se trouve en l’occurrence être le vôtre. Vous avez conservé un maximum de factures ou de bons de commande concernant des achats de prix ? Tant mieux ! Cela vous permettra de prouver que ces biens vous appartiennent en propre, et non à votre enfant.

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