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Retour en force du conflit des générations

Matérialisé par le phénomène « Ok Boomer », le dialogue entre générations semble n’avoir jamais été aussi compliqué. Et si tout partait d’un malentendu?

C’est devenu la réponse toute faite des moins de 30ans à leurs aînés, lorsqu’ils se sentent incompris ou méprisés : « Ok, Boomer! ». Depuis quelques mois, cette formule lapidaire fleurit partout sur les réseaux sociaux et a même contaminé le langage oral. Un quinquagénaire ose affirmer que le politiquement correct est partout ? « Ok, Boomer! « , lui rétorquera-t-on. Il fait remarquer que les ados ont un comportement pas toujours cohérent sur le climat ? La réponse, là encore, fusera : « Ok, Boomer! « .

Mais que veulent-ils dire par là? Difficile de donner une définition de cette expression, tant celle-ci peut évoluer selon le contexte de la discussion ou les personnes mises en cause. Dans tous les cas de figure, elle peut néanmoins se traduire par: « Cause toujours, baby-boomer, ça ne sert à rien de discuter avec toi. » S’y ajoutent parfois de lourds reproches envers une génération qui, selon une image stéréotypée, a connu  » la belle vie « , la croissance économique et le plein emploi mais qui, en contrepartie, a vécu dans une société qui a saccagé l’environnement et marginalisait les minorités.

La charge est assurément violente, caricaturale, parfois carrément insultante, avec des relents d’âgisme. En présupposant que le baby-boomer est condescendant et refuse de remettre ses certitudes ou son mode de vie en question, elle empêche surtout toute poursuite de la discussion.

DES GÉNÉRATIONS PLUS CLOISONNÉES

En soi, le fait que les générations se blâment entre elles n’a rien de neuf. On trouve dès l’Antiquité des textes raillant la jeunesse décadente ou, a contrario, les barbons grincheux.  » En tant qu’ado, pris au sens large, c’est même normal de se rebeller contre les aînés, c’est une façon de s’affirmer, estime Maurice Johnson-Kanyonga, psychologue, spécialiste de l’éducation et du développement des 15-25 ans. On se normalise par la suite, quand on rentre dans la vie active : j’ai croisé des quinquagénaires bien rangés, largement embourgeoisés, qui avant étaient des punks qui n’envisageaient pas le futur ! »

Mais aujourd’hui, la fracture générationnelle semble se renforcer. Les générations vivent de plus en plus dans des mondes différents, même au sein de la sphère familiale. « Les rapports familiaux sont plus cloisonnés qu’avant, estime le psychologue. Avec l’intrusion des nouveaux médias, les jeunes peuvent plus facilement dialoguer entre eux et ne pas partager les mêmes loisirs que leurs parents: ça limite la convivialité entre générations.  » Le jeu comme vecteur de communication et de socialisation peut être pratiqué en ligne et plus nécessairement autour d’un plateau et de pions. Même la télé n’est plus fédératrice, puisque chacun peut désormais regarder son propre programme sur smartphone. « Via des outils différents, chaque génération développe sa propre communication de groupe: ça renforce le clivage et, par extension, les antagonismes... »

Répondre au  » ok boomer « 

1 –  » Ok Boomer  » marque un refus condescendant de poursuivre la discussion. Dans ce contexte, commencer par se défendre et se justifier est inutile et ne fera que vous enfoncer encore plus, même si vos arguments vous semblent de poids ( » J’ai commencé à travailler à 16 ans, ne va pas croire que la vie a été facile « ,  » Nous sommes aussi victimes d’un monde que nous n’avons pas choisi « , etc.).

2 – Souligner que mettre fin à la discussion par une formule absconse ne fera pas avancer le schmilblick. Par une formule tout aussi ironique ( » Ok, Zoomer/Millenial  » ? ), un trait d’humour, souligner l’impasse dans laquelle mène ce propos.

3 – Rappeler l’importance du dialogue entre générations.  » Les jeunes adultes ont tout intérêt à se relier aux autres générations, à maintenir le dialogue, estime Melina Letesson, chargée de projet pour l’asbl Entr’âges. Car, si tout va bien, ils vont vieillir à leur tour : à ce moment, ils seront eux aussi heureux de pouvoir faire entendre leur voix... « 

4 – Chercher à être ouvert, constructif.  » Et maintenant, plutôt que de repartir chacun de notre côté, sur les mêmes positions, on fait quoi ? « 

DES CHAMBRES D’ÉCHO

Un phénomène accentué par le fait que les réseaux sociaux fonctionnent comme des chambres d’écho.  » Les réseaux sociaux renforcent les points de vue, poursuit Maurice Johnson-Kanyonga. Il est facile d’y trouver des gens partageant les mêmes opinions et de ne discuter qu’avec elles, ce qui renforce le sentiment qu’on est dans le bon et que cette  » réalité  » est unique : on n’entend plus les autres sons de cloche ou, tout du moins, on ne s’y réfère plus. »

En ligne, l’autre génération n’est plus vue que par le prisme de figures stéréotypées. Celles qui incarnent des idées opposées et occupent la plus grande partie de l’espace médiatique, occultant la majorité de leurs contemporains, plus modérés et d’esprit plus ouvert. « Pensez à Donald Trump qui est la caricature du réac’ parfait, qui se fiche complètement de la jeunesse.  » Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin l’origine du « boomer » fantasmé, réfractaire au changement !

STÉRÉOTYPES VERSUS RÉALITÉ

Bien sûr, cela ne signifie pas qu’en réalité, toutes les générations soient sur la même longueur d’ondes : l’intérêt des 50+ ne va pas toujours dans le même sens que celui des moins de trente ans. Pour autant, une opinion n’est jamais partagée par l’entièreté d’une génération.  » Il n’existe pas deux personnes ayant les mêmes valeurs, les mêmes opinions, les mêmes envies, abonde Melina Letesson, chargée de projet pour Entr’âges, asbl qui vise à faciliter les liens intergénérationnels et la solidarité entre générations. Ce que montre la pratique de terrain, c’est que les gens sont rarement le reflet pur de leur génération. Et plus le temps passe, plus on va avoir d’opinions diversifiées et de modes de vie différents. »

Dès lors, il n’est pas interdit de penser que le renforcement de la fracture générationnelle est bien dû à des difficultés de communication et à des représentations faussées de part et d’autre. En ce cas, la solution au problème pourrait se trouver dans le développement d’activités intergénérationnelles. « Faute de contacts avec l’autre, le cerveau humain comble ce qu’il ne connaît pas avec des idées toutes faites, ajoute Melina Letesson. Mais les jeunes qui ont fréquenté des personnes plus âgées ont un tout autre rapport au vieillissement, ils en ont une perception plus réaliste. « 

Faire chacun un pas vers l’autre, voilà qui pourrait ressembler à un voeu pieux, surtout quand votre interlocuteur vous gratifie d’un cinglant « Ok Boomer  » (voir encadrés). Que répondre en ce cas précis, pour débloquer la situation ? L’Urban dictionnary, site anglophone de référence qui recense tous les termes employés en ligne, mentionne la réponse « OK Zoomer ». Là où le premier slogan peut se traduire par « Cause toujours « , le second, ironique, signifierait plutôt « C’est un peu simpliste, comme réponse, non? C’est tout ce que tu as à dire? ». Il y a fort à parier que non...

En amont : éviter l’impasse

 » Nous sommes parfois appelés pour résoudre un conflit de génération entre travailleurs, illustre Melina Letesson, chargée de projet pour Entr’âges. Nous vérifions d’abord que le problème est bien dû à cette différence d’âge. Et, jusqu’à présent, l’origine du désaccord se situait toujours ailleurs. « 

1 Dans une discussion avec un interlocuteur de génération différente, faire comme si on ne connaissait pas son âge. Aurais-je les mêmes réactions, les mêmes réponses ? Interpréterais-je ses propos de la même façon ?

2 Se mettre à la place de l’autre. Ses avis, ses opinions sont largement influencés par son parcours de vie et sa situation actuelle. Les décoder, les garder à l ‘esprit facilite la compréhension.

3 Si la discussion se fait en ligne, manier l’ironie, le second degré avec précaution : la communication sur les réseaux sociaux occulte tout l’aspect non-verbal. Les propos sont plus facilement mal interprétés.

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