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Rendez-nous nos caissières !

Le métier de caissière est en passe de rejoindre la liste des métiers disparus. Le lien social en prend un coup. La résistance s’organise.

Vous n’aurez plus jamais besoin de faire la queue car vous pourrez acheter vos produits, comme par magie, avec la technologie de shopping la plus avancée du monde « , se réjouissait Amazon, début 2018, lors de l’ouverture de son premier supermarché sans caisses. C’était plutôt une bonne nouvelle, non ? Qui n’a pas pesté sur les files interminables aux caisses ? Et que dire de ceux qui jettent un regard réprobateur sur ce petit couple âgé qui fait ses courses le samedi matin, qui papote aux caisses aux heures de pointe, alors qu’il a du temps tout le reste de la semaine...

 » Les caissières ne seront bientôt plus là pour vous écouter vous plaindre « , titrait le magazine  » Slate « . Certes. Elles ne seront plus là aussi pour vous dire chaleureusement bonjour. Le self scanning, les caisses en libre-service, les caisses-tunnel (déposer ses achats sur un tapis roulant la machine fait le reste) et autres techniques d’automatisation annoncent toutes la fin d’un monde. Et avec elles la mort d’un métier né avec l’essor de la grande distribution dans les années 60. La fin de cet univers commercial est aussi celle d’une forme de lien social, de relations humaines, de petites causeries aux caisses...

APRÈS LES POMPISTES, LES CAISSIÈRES?

Comme les pompistes ou les guichetiers de banque, les caissiers et caissières vont-ils appartenir à la liste des professions perdues ? Peut-être. Les attaques à leur encontre sont pour le moins rudes. Dans un secteur hyperconcurrentiel comme celui de la distribution alimentaire, rogner sur les frais de personnel est très tentant. Déléguer les tâches répétitives à des machines l’est davantage. Le nombre de caissières a d’ailleurs déjà baissé de 5 à 10% depuis dix ans. Le processus est en marche.

Amazon a donc lancé aux USA son supermarché Amazon Go. Les clients, qui ont téléchargé une application sur leur smartphone, sont identifiés grâce à des technologies comme la reconnaissance faciale. Des caméras suivent le parcours des clients et identifient les produits qu’ils glisseront dans leur caddie. Comme le détaille le magazine spécialisé  » Gondola « , ce sont  » des technologies proches de celles utilisées dans les voitures autonomes (caméras, capteurs, intelligence artificielle) qui permettent d’analyser les moindres faits et gestes des consommateurs, et donc aussi de percevoir ce qu’ils placent dans le panier ou ce qu’ils remettent en rayon après avoir changé d’avis.  » Plus besoin de scanner les produits. Cela se fait automatiquement en quittant le magasin. Carrefour Chine teste aussi un concept de ce type basé sur la reconnaissance faciale. Bientôt chez nous?

IL FAUT SE RESPONSABILISER. FAITES VIVRE LES CAISSIÈRES!

Mais une forme de résistance à la robotisation du commerce s’organise en parallèle. Amazon go a dû rétropédaler pour son magasin newyorkais. Le groupe a été obligé de réintroduire une vraie caisse après des plaintes : le dispositif ayant jugé discriminatoire pour les personnes sans compte en banque ou smartphone.

En France, le groupe Casino qui a fait fonctionner un hypermarché, un dimanche après-midi sans personnel (mais avec des vigiles), s’est pris une volée de bois vert. Des manifestants ont même hué les clients qui allaient y faire leurs courses. À Bruxelles cette fois, le groupe Carrefour a repoussé aux calendes grecques un projet de supermarché entièrement automatisé. Lors d’une émission radiophonique consacrée aux magasins sans caisses, l’avis dominant des auditeurs était le suivant :  » Nous savons que pour gagner du temps, en scannant nous-mêmes nous participons à ce phénomène. Pour l’éviter, c’est tout simple, repasser là où il y a des caissières. A un moment, il faut se responsabiliser ! « 

LA « BLABLA-CAISSE » POUR BAVARDER

Comme le risque de déshumanisation inquiète, la valeur du lien social pourrait paradoxalement redevenir un argument de vente dans un secteur où la concurrence est féroce. Un supermarché néerlandais Jumbo a dernièrement créé une  » blabla-caisse « . Un hyper U de Lozère, en France, envisage aussi de créer une caisse volontairement plus lente pour ceux qui veulent davantage de contact humain. L’objectif ? Permettre aux personnes se sentant seules de faire la causette avec la caissière ou les autres clients. Pour certains, faire ses courses est le seul moment de dialogue dans la journée. Mais cette initiative a reçu des avis mitigés. Un psy évoquait notamment la peur de la stigmatisation plus forte que celle de la solitude.

Si la robotisation est inscrite dans les étoiles, maintenir des caisses  » humaines » pourrait devenir un argument commercial. Un responsable de Delhaize, lors d’une interview, ne disait pas autre chose :  » nous remarquons parfois que les gens passent trois fois par jour aux caisses, juste pour établir ce contact ou pour bavarder avec leur caissière préférée. Un supermarché doit aussi assumer un rôle social. Nous communiquons cette valeur à nos employés.  » Allez, tout n’est pas perdu.

« Les caissières font partie de mon univers »

 » Il m’arrive d’utiliser les caisses automatiques lorsque je suis pressée et que je dois faire un appoint. Mais au quotidien, j’apprécie de pouvoir tailler une bavette avec certaines caissières du magasin que je fréquente depuis vingt-cinq ans.

Pas toutes, surtout les quelques  » anciennes « , avec qui des affinités se sont créées. Ce ne sont pas des amies -j’avoue que je ne connais même pas leur prénom- mais c’est un peu comme avec ma coiffeuse: à force de se voir régulièrement pendant des années, ce ne sont plus des inconnues. On prend des nouvelles des enfants, on discute de l’actualité, des travaux dans la ville...

C’est parfois très bref, quand il y a une file derrière moi. Mais elles font partie de mon univers et cela me manquerait si elles venaient à disparaître ! « 

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