© Nicolas Buisson

Rencontre avec Pierre Marcolini : « Devenir une madeleine de Proust... »

On le connaît comme star planétaire du chocolat. Cerise sur le gâteau, il a récemment été élu « Meilleur pâtissier du monde ». Pierre Marcolini nous distille les ingrédients de son parcours gourmand.

« Félicitations, Monsieur! », lance un client à Pierre Marcolini qui, de retour de son atelier de production, nous accueille devant le comptoir alléchant de sa boutique du Sablon, à Bruxelles. Par le biais de ce magasin chic et d’une quarantaine d’autres dans le monde, l’artisan belge de 56 ans entend procurer de l’évasion aux papilles tout en inscrivant son savoir-faire dans une démarche durable. Direction le salon, à l’étage, pour échanger sur sa passion et ses projets.

Que représente le titre de « Meilleur pâtissier du monde »?

Ca fait « boum » dans le coeur, un peu comme dans la chanson de Charles Trenet! C’est plein d’émotions, un message fort pour mon équipe et une surprise très agréable dans des conditions compliquées pour toute la population... J’ai également remporté ce prix en 1995 mais, à l’époque, il saluait une performance ; cette fois-ci il salue l’ensemble d’une carrière. Il s’agit d’une reconnaissance gratifiante, d’une consécration, comme si je recevais un Oscar! C’est aussi une pression mais saine puisqu’il s’agit d’une pression de l’exigence donc cela me convient. On a beaucoup parlé de la Belgique en termes de chiffres de coronavirus et, ici, ce titre constitue un élément de fierté pour le pays dont on montre le savoir-faire, la gourmandise. Je reçois des messages de sympathie, un retour des clients inimaginable!

Comment expliquez-vous votre succès?

Je pense qu’il est venu parce qu’on a secoué le cacaotier: on a bousculé les codes, on a fait des chocolats plus petits, donc moins écoeurants, moins gras, moins sucrés, plus intenses, on a déringardisé le mot ballotin en proposant plutôt des coffrets... Si on est sensible sur les parties aromatiques du chocolat, on a gardé un côté classique puisqu’on fait aussi des pralinés, du caramel, etc. Et puis, on maîtrise le processus de fabrication de A à Z: on a initité le retour à la fève, le bean to bar (du choix de la fève à la tablette, ndlr), nous torréfions nous-même les fèves de cacao dans notre atelier à Haren. Par ailleurs, on s’adapte à l’évolution des goûts: les clients préfèrent des produits de moins en moins sucrés et des notes beaucoup plus acidulées.

Le secret d’une pâtisserie qui donne envie?

D’abord le look doit donner envie mais un dessert est vraiment réussi quand, une fois mangé, vous en voulez un deuxième. Cette phrase-là est obsessionnelle pour moi! Je cherche à émouvoir, j’aspire à ce que la gourmandise soit au rendez-vous. Si, demain, mes pâtisseries et chocolats peuvent être la madeleine de Proust des gourmands, j’aurai réussi mon beau défi d’être entré dans leur mémoire émotion-nelle par une dégustation incroyable.

Votre dessert préféré?

Le merveilleux! Mettez-en un devant moi, je le dévore. C’est un gâteau d’une modernité incroyable avant l’heure. On est sur du croustillant, sur de la légèreté... On est à l’essentiel.

Quel genre d’enfant étiez-vous?

Très gourmand... Le genre d’enfant capable d’échanger, dès 9 ans, des jouets contre des desserts. Avec ce genre de maladie, il y a deux solutions: soit aller voir un psy, soit en faire une profession. Je suis totalement heureux d’en avoir fait mon métier!

Etiez-vous prédestiné à devenir pâtissier-chocolatier?

Non, car on ne l’est pas du tout dans la famille et ma mère n’est d’ailleurs pas très bonne cuisinière. Je n’oublierai jamais que quand je me suis lancé dans le monde de la pâtisserie et du chocolat, ma maman m’a dit que je choisissais un métier facile car, à l’époque, c’était l’enseignement  » de la dernière chance « . A 14 ans, j’ai commencé mes études au Ceria (Centre d’Enseignement et de recherches des industries alimentaires et chimiques) et j’ai trouvé ça fantastique! L’univers de la pâtisserie est fascinant car en mélangeant différents ingrédients, hop, un gâteau apparaît comme par magie!

Vous êtes un chocolatier engagé. C’est-à-dire?

Je travaille en direct avec cinq planteurs via une charte d’engagement: une rémunération convenable du producteur, pas de glyphosate, pas de travail d’enfants. Il faut savoir que, dans le monde, deux millions d’enfants travaillent dans les plantations de cacao, un vrai problème!

Rencontre avec Pierre Marcolini :
© Nicolas Buisson

On vous qualifie de chocolatier haute couture et de luxe...

A partir du moment où vous êtes détenteur du savoir-faire et du geste, vous êtes dans un code de luxe. On essaye effectivement de faire des pièces uniques. Mais je suis plus un chocolatier de dégustation. Je fais une tablette selon ma sensibilité, avec des arômes, en essayant de reproduire ce que j’ai goûté dans les plantations.

Comment avez-vous vécu le confinement?

C’était l’occasion de remettre à plat l’ensemble de nos produits, d’améliorer certaines recettes, comme, par exemple, remplacer les colorants naturels de nos pralines coeurs par des poudres de fruits lyophilisés. Par ailleurs, on a lancé notre projet de biscuiterie avec des Kumo (nuage en japonais), mes macarons à moi, sans gluten. Un régal! Par ailleurs, on a réfléchi à amplifier l’expérience de la boutique pour le client: notre personnel est déjà formé mais on veut en faire des experts de cacao capables d’expliquer le pourquoi, le comment, d’une tablette... Le confinement a permis une sorte de remise en question.

D’autres projets pour les années à venir?

Continuer de façon raisonnée à ouvrir des boutiques dans le monde et, un jour, si j’ai le temps, l’énergie et les moyens, ouvrir une école internationale du chocolat. Bruxelles, ville multiculturelle, est l’endroit rêvé pour lancer cette école d’excellence où les cours seraient donnés par des personnes venant du monde entier. ça me plairait vraiment beaucoup de transmettre ma passion et mon expérience.

Vous êtes amené à savourer vos douceurs... Comment gardez-vous la ligne?

Oui, je goûte quotidiennement au moins 50 grammes de chocolats, en matinée car les papilles sont encore neutres et donc la dégustation meilleure. Je ne grossis pas trop peut-être du fait qu’on travaille avec des matières premières nobles, qui ne se fixent pas forcément. En quarante ans de carrière, j’ai quand même pris plusieurs kilos de bons chocolats! Sinon, je fais un peu de golf...

Vous cuisinez à la maison?

Oui, j’adore réfléchir au menu et aller au marché. Je cuisine pour ma famille ou mes amis, des recettes simples avec beaucoup de conviction. Je me débrouille notamment pour un poulet à l’estragon ou des Saint-Jacques aux chicons et jus d’orange ou des pâtes évidemment en raison de mes origines italiennes. On ne s’ennuie pas!

Avez-vous transmis votre passion à votre famille?

La passion, on verra... En tout cas, le goût, c’est fait! Mon fils Sacha, âgé de 31 ans est avocat en droit des affaires, il cuisine très bien. Ma fille Jade qui n’a que 5 ans, adore les chocolats! Quant à mon épouse, elle est dans l’art contemporain. Elle a créé ArtContest, un concours annuel visant à soutenir et promouvoir les jeunes artistes.

Que dirait l’enfant que vous étiez à l’adulte que vous êtes devenu?

Tu as poursuivi ton rêve! Je suis étonné de ce que j’ai réalisé et fait bouger avec mon équipe d’un dynamisme incroyable. Je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse se retrouver en plein coeur de Tokyo avec un sac Marcolini à la main... C’est hallucinant! Mais je sais que tout est fragile. J’avance en restant les pieds sur terre. C’est d’ailleurs peut-être le propre du Belge par rapport à d’autres nationalités.

Vous offrirez du chocolat à votre Valentine?

Je vais vous faire une confidence... J’ai épousé une des seules femmes, à Bruxelles, qui n’aime pas le chocolat! Et elle ne raffole pas de la pâtisserie. Je vais lui offrir un peu de temps.

Une idée de pâtisserie facile à réaliser pour séduire sa/son Valentin(e)?

Une mousse au chocolat avec un joli trait de praliné, un peu de fleur de sel et quelques noisettes grillées. Mmmh... C’est tellement bon!

Pierre Marcolini

1964 : Naissance à Charleroi

1989 : Diplôme de pâtissier, glacier, chocolatier au Ceria

1995 : Création de la Maison Pierre Marcolini

1999 : Création de l’atelier de production à Haren

2001 : Création de son propre chocolat de la fève à la tablette

2003 : Ouverture d’une boutique à Paris

2015 : Fournisseur Officiel de la Cour

2016 : Entre dans le Petit Larousse illustré

2019 : Ouverture d’une boutique à Dubaï

2020 : Ouverture d’une biscuiterie à Bruxelles

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