© FRÉDÉRIC RAEVENS

Rencontre avec Pierre Kroll: « Je suis un gamin qui n’a jamais cessé de dessiner »

Des caricatures souvent corrosives qui prêtent à rire de l’actualité. A l’autre bout du crayon, un passionné qui nous redessine son parcours sans rien en gommer...

C’est dans son vaste bureau lumineux, chez lui, à Angleur, que nous reçoit le sympathique caricaturiste du quotidien Le Soir. A côté de sa table où patientent crayons et papiers, une bibliothèque débordante d’albums et livres, avec des grands tiroirs remplis de croquis originaux. En déco? Des objets assez improbables comme un buste anatomique et un flamant rose, ainsi qu’une amusante statuette du roi Albert II en peignoir et pantoufles, clin d’oeil à un de ses personnages fétiches. L’artiste sexagénaire évoque son métier, sa famille, ses projets.

Vous présentez actuellement des caricatures à l’abbaye de Stavelot dans le cadre de l’exposition internationale « Dessiner en paix, dessin de presse et liberté ». Quelles limites constatez-vous en Belgique?

Avec les réseaux sociaux, mes dessins circulent partout et suscitent des attaques alors qu’ils ne sont pas méchants! On m’accuse notamment d’antisémitisme au moindre dessin sur le conflit israélo-palestinien. Et quand je dessine un juif orthodoxe, je suis traité de nazi. ça fait mal! A l’exposition, je montre, par exemple, un dessin avec, dans le fond du décor, un juif orthodoxe avec ses tresses, pour illustrer les rues désertées, à Anvers, en raison de la crise sanitaire. Tout le monde sait que de nombreux juifs orthodoxes y vivent. Eh bien, ce dessin a été repris dans des journaux du monde entier avec un texte du genre: « Kroll, en Belgique, attribue l’origine du coronavirus aux juifs d’Anvers »! Je vais finir par retirer les juifs orthodoxes de mes caricatures pour éviter cette haine. A l’usure, on finit par s’autocensurer... Pour le reste, les limites sont celles qu’on se fixe et celles des journaux mais en toute normalité. Si jamais un journal me refuse un dessin, c’est son droit, pas de la censure. Les vraies limites, c’est la loi: l’appel à la haine, l’antisémitisme, la diffamation, etc. Sinon, la liberté est totale!

Comment voyez-vous l’avenir du dessin de presse?

Je pense que le vrai métier de dessinateur attaché à un journal, qui travaille avec la confiance d’une rédaction, dans la durée, et la fidélité d’un lectorat est menacé à cause des pressions multiples. Il risque de disparaître au profit d’achats de dessins, à gauche et à droite, insipides ou brillants, mais moins dérangeants. C’est plus facile pour un journal et il y aura moins d’ennuis sur les réseaux sociaux...

Que représente votre métier?

Ca l’air un peu potache... Des gens me demandent encore ce que je fais d’autre à côté! C’est un métier! Il représente une enfance qui n’est pas finie mais c’est du boulot beaucoup plus intellectuel qu’il n’y paraît. Un dessin de presse, c’est d’abord un accusé de réception, pour signifier que j’ai compris l’information. J’essaye de rester le plus immédiat, le moins travaillé possible mais, en réalité, je recommence parfois trois fois un dessin pour qu’il ait l’air d’avoir été vite fait.

Je réfléchis vite, je m’ennuie vite et je doute beaucoup. D’ailleurs, une caricature fait toujours mal au ventre. Le dessin de presse est censé être drôle et comme j’aime montrer une apparente désinvolture dans le dessin, les gens ne s’imaginent pas que je suis tout le temps jugé, critiqué... Puisque je recommence en permanence, chaque dessin est un peu mon premier, sauf que j’ai de l’expérience quand même! Ce métier maintient fort éveillé...

Comment est née votre vocation?

En primaires, à Liège, j’étais toujours puni car je dessinais tout le temps en classe. Vers 11 ans, je faisais même des dessins de femmes nues que j’échangeais à la récré contre des dix-heures ou que je vendais pour 1 FB! (rires) En secondaires, j’ai dessiné tous les profs. Puis, j’ai étudié l’architecture et travaillé dans ce domaine. L’appel à faire mon service militaire a été déterminant dans mon parcours! Comme je l’ai refusé, j’ai fait mon service civil dans un théâtre de marionnettes. C’est à ce moment que j’ai commencé à vendre mes caricatures à des journaux. Ma carrière était lancée! Si, pendant ces quasi deux ans, je n’avais pas été obligé d’arrondir mes fins de mois avec des dessins, je serais peut-être resté architecte...

Rencontre avec Pierre Kroll:
© FRÉDÉRIC RAEVENS

Des retours positifs sur vos dessins?

Sur les réseaux sociaux, les gens parlent peu du dessin lui-même, ils s’en emparent pour donner leur avis sur le sujet. Je suis animateur social, c’est très bien, mais parfois j’aimerais qu’on me complimente sur mon dessin. J’ai la larme à l’oeil quand c’est le cas. Aux séances de dédicaces, tous me demandent un dessin. Ma mère essaye de m’en commander pour son coiffeur, sa pédicure... Je lui demande alors s’ils me réclameraient tous une montre si j’étais horloger! (rires)

Avez-vous des chouchous?

C’était le roi Albert II pendant toute une époque. Il compte parmi les personnalités qui aiment sincèrement mes dessins. La reine Paola, en revanche, trouve indécent de dessiner le souverain en robe de chambre et en pantoufles... Quand je dessinais Louis Michel qui avait des colères sans nom, j’avais l’impression de le faire vivre! Une bonne caricature doit permettre de reconnaître la personne mais également bien rendre son caractère.

Vous êtes toujours au taquet de l’actualité pour la croquer...

J’écoute la radio, je lis les journaux... Je finis par bien connaître la politique belge. J’ai toujours aimé cette manière de raconter la politique mais je commence à en avoir marre car, avec l’âge, on s’aperçoit que les mêmes choses reviennent constamment: j’ai, par exemple, déjà dessiné les conflits linguistiques dans tous les sens imaginables. Parfois, il me faut la journée pour trouver l’idée. Une fois que je l’ai, le dessin prend dix à trente-cinq minutes. Le plus compliqué à caricaturer est ce qu’il y a de plus banal et/ou positif donc les beaux gosses comme Alexander De Croo et Emmanuel Macron. Trump et Sarkozy étaient des cadeaux!

Votre compagne, journaliste à RTL-TVi, a-t-elle une influence sur votre travail?

Dominique n’est pas fan du dessin de presse en général. Elle peut lire un journal devant moi sans faire aucune réflexion sur mon dessin. C’est difficile à vivre mais je ne lui en veux pas. Je suis habitué à avoir peu de retour...

Vos enfants suivent-ils votre voie?

Ils regardent mes livres mais ce ne sont pas mes plus grands fans non plus. Guillaume (33 ans) travaille, à Washington, à la Banque mondiale au profit des pays en développement ; François (28 ans) est biologiste, à Londres, où il travaille sur des petits poissons mais je ne comprends pas ce qu’il cherche ; et Sophie (26 ans), qui a étudié la psychologie et la criminologie, travaille au CHU avec les infirmières en burn-out. Aucun ne suit une quelconque voie artistique donc, pour un artiste, j’ai raté mes enfants! (rires) Et, en même temps, c’est justement réussi puisque je leur ai toujours conseillé de suivre leur propre voie!

Avez-vous du temps pour les loisirs?

Avant, je faisais des croquis réalistes en vacances, comme des paysages, pas des caricatures. Maintenant, je suis très heureux quand je peux arrêter de dessiner mais ça me démange vite car j’ai trop d’idées! Même si je fais du vélo et du jogging, ce métier de passion bouffe tout mon temps. Quand on m’aura viré de partout car je serai trop vieux, je passerai le temps gagné à dessiner autre chose. Je n’ai aucune envie de me mettre au bridge ou au jardinage.

Quels sont vos projets?

Il y a des sorties librairies annuelles comme un agenda et un album en fin d’année. Il y aura de nouvelles dates pour mon one-man-show « Pierre Kroll en scène » et, fin décembre, plusieurs dates pour mon spectacle « Kroll sur son 31 », une revue de l’année écoulée en dessins.

Pierre Kroll

  • 1958 : Naissance au Congo
  • 1981 : Diplômé en architecture
  • 1984 : Diplômé en sciences de l’environnement
  • Depuis 1984 : dessinateur indépendant, d’abord au Vif
  • 1985 : Début des dessins, en direct, lors de débats télévisés
  • Depuis 1992 : en couple avec la journaliste Dominique Demoulin
  • Depuis 2002 : dessinateur attitré du Soir
  • Depuis 2015 : spectacle « Pierre Kroll en scène »

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