Rencontre avec le virologue Steven Van Gucht: « Les virus sont fascinants »

Ann Heylens Journaliste

Depuis près de deux ans, Steven Van Gucht est l’un des experts qui, calmement et inlassablement, nous aide à comprendre et appréhender la pandémie. Comment a-t-il vécu et vit-il encore cette période?

Nous faisons partie de la cohorte de journalistes que le professeur reçoit régulièrement, chez lui à Denderleeuw ou sur son lieu de travail à Bruxelles. Aujourd’hui encore, le coronavirus ne lui laisse pas un moment de répit, ce qui n’entame pas son enthousiasme pour autant. Spontanément, le virologue nous éclaire sur quelques organismes agrandis au microscope et présente, non sans une pointe de fierté, son doctorat sur les virus respiratoires. Mais avant de parler de lui, nous aimerions en savoir davantage sur ce maudit virus.

Nous débarrasserons-nous un jour du coronavirus?

Quand la pandémie prendra-t-elle réellement fin? Lorsque le coronavirus sera devenu un virus ordinaire qui, à l’instar de celui de la grippe, apparaît une fois par an. Il ne disparaîtra jamais complètement ce qui ne posera pas problème tant que le système de santé sera en mesure de gérer les « petites vagues » qu’il continuera de provoquer, un contexte que nous connaissons bien pour de nombreux autres virus. Il appartiendra à l’Organisation mondiale de la santé de déclarer la fin de la pandémie le jour où la situation mondiale sera stabilisée. Et ce jour viendra. .

Pourquoi une telle pandémie maintenant?

Le monde a toujours connu des pandémies mais il faut remonter à une centaine d’année et à la grippe espagnole pour trouver trace d’une pandémie aussi grave. La population mondiale ne cesse de croître et, statistiquement, les risques qu’un nouveau virus apparaisse et se propage rapidement augmentent. D’autant plus que nous vivons plus proches les uns des autres dans des zones urbaines parfois tentaculaires et qu’il est désormais possible de faire le tour du monde en 48 heures à peine. Il est probable que des pandémies se succèdent plus rapidement mais sans qu’on puisse affirmer aujourd’hui qu’elles seront toutes dangereuses. La précédente, la grippe mexicaine, date de 2009. Elle s’est rapidement propagée dans le monde entier mais est restée assez bénigne. La gravité d’une pandémie est parfois difficile à estimer au départ.

Vous êtes constamment dans l’actualité depuis début 2020. Cela a-t-il changé votre vie?

Cela me semble parfois un peu surréaliste. J’ai choisi mon métier par passion pour la science, pas pour être sous les projecteurs. Fin janvier 2020, le SPF Santé publique m’a demandé de diriger le comité scientifique qui devait conseiller Maggie De Block, la ministre de la Santé de l’époque. En substance, le coup de fil que j’ai reçu me priait de laisser tomber toutes mes occupations pour me consacrer exclusivement au coronavirus. Et c’est ce que j’ai fait. Cette sollicitation était logique puisque je dirige le laboratoire des maladies virales de Sciensano. J’aurais bien sûr pu refuser mais, en pareille circonstance, il faut prendre ses responsabilités.

Vous êtes aussi un excellent communicateur...

Je me suis effectivement découvert ce talent. Nous avions généralement très peu de temps pour préparer les conférences de presse avec les chiffres du jour. Je ne les recevais qu’une demi-heure avant. Un cours intensif de formation aux médias était censé m’aider mais j’ai peu à peu oublié les astuces qui m’avaient été enseignées, trop concentré sur la transmission du bon message.

Vous conseillez les décideurs politiques. Le milieu de la politique était-il nouveau pour vous?

Avant la crise, mes contacts avec les politiques étaient essentiellement indirects. Sciensano est une institution gouvernementale dont les rapports scientifiques aident les politiques à décider. Le fait d’être impliqué de près était nouveau pour moi. J’ai été heureux de constater que lors du premier confinement tout le monde était sur la même longueur d’onde. Mais depuis, la politique politicienne et ses antagonismes habituels a repris le dessus, ce qui rend parfois la communication difficile. Ceci étant, j’ai toujours pu travailler en bonne intelligence avec les ministres de la santé, Maggie De Block et Frank Vandenbroucke. Je n’aime pas dénigrer: la plupart des gens ont fait ce qu’ils pouvaient.

Comme je suis porteur de lunettes, le port du masque est très gênant!

Pendant ce temps, les médias se sont intéressés à votre barbe, à votre statut de célibataire, à votre voisine qui fait la cuisine pour vous...

Je n’ai jamais été du genre à faire étalage de ma vie privée mais que faire contre cela? Il arrive qu’un journaliste me pose une question anodine et donne un écho démesuré à une réponse tout aussi anodine. J’aurais pu refuser catégoriquement tout ce qui n’était pas lié à la pandémie mais j’ai jugé qu’il était juste et honnête de donner l’un ou l’autre exemple de ma réalité. Nous devions constamment dire aux gens comment vivre, pourquoi ne pas raconter comment moi je vivais? J’ai donc évoqué ma vie personnelle et mon fils adolescent, montrant que suivre les règles était aussi compliqué pour moi et ma famille.

Qu’est-ce qui s’est avéré le plus contraignant?

Comme je porte des lunettes, le masque est particulièrement gênant.

Les mesures sont parfois difficiles à comprendre car nous ne « voyons » pas les virus. Sont-ils vraiment réels pour vous?

Je ne vois pas des virus partout! Disons que je pense avoir une conscience saine du risque. À une exception près peut-être. Au début de ma carrière, j’ai étudié le virus de la rage, le plus mortel qui soit. Mon fils était encore bébé et j’étais terrifié à l’idée de l’infecter. Mais cette crainte était davantage liée à ma nouvelle paternité qu’à un risque réel car on ne transmet pas la rage comme ça. J’admets également que, bien avant l’apparition du coronavirus, je ne posais jamais la main sur la rampe de l’escalator de la gare du Midi à Bruxelles. Et lorsque je suis en vacances, j’ai une assez bonne idée des maladies qu’on peut éventuellement contracter dans telle ou telle région. Mais je n’ai certainement pas la phobie des virus.

Vous êtes connu pour votre calme. Y a-t-il des choses qui vous mettent en colère?

La diffusion de fausses informations. Parce que ce n’est pas innocent. Ce qui me met particulièrement en colère, c’est lorsque les personnes sensément les mieux informées diffusent délibérément des absurdités. Je ne comprends pas les collègues qui soutiennent le mouvement anti-vax ou qui affirment des choses qui n’ont aucun sens sur le plan épidémiologique. Que cherchent-ils? La gloire? Je ne leur réponds pas parce que je refuse de polémiquer sur les médias sociaux.

Vous avez dit craindre un « effondrement mental » une fois que tout sera terminé.

Ce risque existe. Parce que je suis tendu en permanence, que je ressens des pressions et des critiques de toutes parts. Mais quand cette tension ne sera plus là, comment me sentirai-je? Ce n’est que lorsque la tension s’estompe que vous ressentez la fatigue qui s’est accumulée dans votre corps. C’est une véritable guerre d’usure. Heureusement, j’ai pu me mettre en retrait tout le mois d’août. C’était la meilleure chose à faire. J’ai travaillé dans la maison et au jardin. Pendant dix-huit mois, beaucoup de choses étaient restées en plan.

Votre collègue Marc Van Ranst a dû être mis en sécurité. Avez-vous eu peur à ce moment-là?

Je n’étais pas effrayé, mais inquiet pour Marc et sa famille. Je reçois moi-même des menaces mais je ne m’y attarde pas et je les transmets à la police. Les gens cherchent évidemment un coupable. Comme il est impossible de s’en prendre à un virus qu’on ne voit pas, les experts et les politiques sont une cible toute désignée. Mais par ailleurs, je reçois aussi beaucoup d’encouragements et de remerciements qui font plus que compenser l’amertume des propos violents.

Si la situation s’améliore l’an prochain, que souhaiteriez-vous en priorité?

Plus de temps pour moi et mes proches, des soirées et des week-ends libres. Mais aussi pouvoir me concentrer à nouveau sur mon travail « normal « , c’est-à-dire la direction de mon laboratoire. Aujourd’hui mon équipe se gère parfaitement elle-même, abattant un boulot remarquable même si, de temps en temps, elle a besoin de moi.

Steven Van Gucht

21/4/1976

PARCOURS PROFESSIONNEL

  • 2000: Master en médecine vétérinaire – Chercheur doctorant en virologie – Faculté de médecine vétérinaire UGent
  • 2005: Obtention d’un doctorat sur les virus respiratoires chez les porcs – UGent. Débuts à l’Institut scientifique de santé publique Sciensano dans le laboratoire consacré à la rage
  • 2010: Chef du service des maladies virales de Sciensano
  • 2014: Professeur invité au laboratoire de virologie de la faculté de médecine vétérinaire, UGent.

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