© FRÉDÉRIC RAEVENS

Rencontre avec le fils du dessinateur de Martine: « Les dessins permettent encore de faire rêver... »

La jeune héroïne continue d’émerveiller plusieurs générations. Son premier fan? François Marlier. Le fils du dessinateur se livre sur ce phénomène de l’édition.

Depuis son apparition sous le crayon du Mouscronnois Marcel Marlier en 1954, Martine a vu ses soixante aventures s’écouler à plus de 150 millions d’exemplaires. Un succès mondial jamais démenti! Le fils de l’illustrateur nous reçoit à la Résidence-services Marcel Marlier, à Froyennes (Tournai). Un havre d’humanité, de nature et d’art que l’ingénieur a créé à l’image de son père. Avec enthousiasme, il nous guide, les yeux rivés vers les centaines de dessins décorant les couloirs et salles, avant de s’arrêter pour feuilleter les derniers nés: Martine au Louvre et Martine visite Bruxelles.

Quelle est la genèse de ces nouveaux albums?

Il n’y a pas eu de nouvel album depuis le décès de mon papa, en 2011, car personne n’aurait pu reprendre un tel niveau de qualité. Cependant, on permet exceptionnellement de nouveaux albums lorsqu’ils sont à vocation pédagogique, culturelle, historique ou humaine. Ici, les demandes venaient du musée du Louvre et de la Ville de Bruxelles. Un honneur! Avec l’éditeur, j’ai choisi des dessins issus d’albums de papa pour mettre en évidence des photos d’oeuvres ou de monuments. On plonge ainsi Martine dans des contextes et le résultat est très réaliste! Deux autres albums sont sortis auparavant: Martine visite Tournai et Martine visite Mouscron, les régions de mon papa. Beaucoup veulent surfer sur la vague de la notoriété du personnage et sortir un album mais le côté mercantile ne nous intéresse pas.

Que ressentez-vous quand un album sort?

Je suis fier que mon papa soit mis en évidence, lui n’a jamais cherché la gloire. Et fier de continuer à faire vivre Martine. Je suis toujours aussi émerveillé quand je passe les dessins en revue. Il y a des milliers de détails à observer! Les enfants, bombardés de matériel, n’ont plus l’occasion de créer, de s’épanouir. C’est gravissime! Les dessins de Martine permettent encore de faire rêver, de faire vagabonder l’imagination...

Avez-vous inspiré les histoires de Martine?

Oui, Martine, c’est ma propre enfance. Je vivais à fond chaque histoire! Mon frère et moi, nous posions pour les dessins. A 6 ans, je devais tenir une petite fille par la main, c’était casse-pied! (rires) Nous posions sur un vélo, sur un poney... Dans Martine au parc, le bébé dans la poussette, c’est moi. Mes trois enfants ont pris le relais dans les derniers albums. La pose permettait d’améliorer les détails comme les ombres, les plis des vêtements, les attitudes... Nombre d’albums ont été développés à partir d’histoires qui nous sont arrivées. Par exemple, dans Martine et son ami le moineau, nous avions recueilli et nourri un oisillon tombé du nid. On voit aussi beaucoup notre jardin. Lors de balades et de voyages, papa faisait des croquis ou des photos de paysages. Pour chaque dessin fini, il créait des dizaines d’esquisses qu’il étalait sur le tapis du salon avant de nous demander de choisir.

Il y a de splendides détournements de couvertures!

Recevez-vous des retours de lecteurs?

Maman et moi recevons beaucoup de courriers touchants du monde entier. Certains disent avoir été sauvés par Martine, c’est fou! Depuis des dizaines d’années, nous correspondons avec une Libanaise, devenue médecin, qui lisait Martine sous la table de sa cuisine alors que les bombes tombaient sur Beyrouth. Elle nous confiait que c’était tout ce qui lui permettait de rêver. Son histoire me fait encore pleurer... Récemment, une quinquagénaire nous a écrit que lorsqu’elle habitait en ville, dans un milieu défavorisé et où elle était battue, elle rêvait, en lisant Martine embellit son jardin d’un jour offrir un jardin à ses enfants. Son rêve s’est réalisé! Une professeure de danse au Bolchoï, à Moscou, nous a écrit que Martine fait de la danse servait de référence à ses élèves.

Des stars parmi les fans?

Oui, il y avait Michael Jackson. Papa ne savait même pas qui c’était! Il l’a rencontré à Paris où il a réparti les dessins au sol de sa suite d’hôtel. Le chanteur était admiratif du monde merveilleux de Martine. Il voulait même lui acheter tous les dessins originaux mais papa a décliné l’offre.

Martine a désormais... 67 ans. Une gamine qui vieillit bien!

Oui, les soixante albums sont encore tous édités! Je crois que c’est unique dans l’histoire de l’illustration. C’est d’autant plus étonnant qu’il n’y a jamais eu de publicité. Non, Martine n’a pas pris une ride. J’ai toujours vécu avec elle. Au début, elle était ma grande soeur puis ma petite soeur puisque j’ai dépassé son âge! (rires)

Comment expliquez-vous sa longévité?

Les dessins ont une âme. Martine est humaine, simple, spontanée. Comme il lui arrive plein d’aventures de tous les jours, les enfants peuvent s’identifier au personnage. Les histoires, poétiques, leur permettent de rêver. Papa n’a jamais voulu suivre la mode, c’est peut-être sa force. Martine véhicule des valeurs intemporelles: la protection de la nature, des animaux, l’amitié, la fidélité, la bonté, le partage... Toutes ces petites choses qui peuvent sauver l’humanité.

François Marlier

  • 1961 : Naissance à Tournai
  • 1954: Sortie du premier album Martine: Martine à la ferme
  • 1983: Diplôme d’ingénieur chimiste
  • 1998: Mariage avec Dominique
  • 2011: Décès de son père Marcel Marlier
  • 2012: Inauguration du Centre Marcel Marlier, à Mouscron
  • 2017: Ouverture de la résidence-services Marcel Marlier, à Froyennes
  • 2021: Sortie des albums Martine au Louvre et Martine visite Bruxelles (éd. Casterman)

Sur les réseaux sociaux, les couvertures des Martine sont souvent détournées... Qu’en pensez-vous?

Au début, ça m’a un peu choqué. Maintenant, on est au-dessus de ça. Certains détournements sont bêtes, méchants, affreux ; d’autres, splendides, me font rire. Des gens créatifs utilisent ces illustrations à bon escient. C’est chouette, cela prouve que Martine reste un personnage vivant et incontournable! Ces parodies ne sont sans doute pas très légales mais peu importe puisqu’elles n’abîment pas l’image de marque.

Et les critiques?

Il s’agit surtout d’extraits de dessins ou textes sortis de leur contexte. On a beaucoup reproché l’image de la femme au foyer. Au contraire, Martine est moderne et dynamique. Dans Martine fait la cuisine, c’est le garçon qui fait la vaisselle mais, ça, on n’en parle jamais! Quant à la petite culotte apparente dans quelques dessins, à l’époque, c’était la mode des mini-jupes. Puis, les parents savent qu’on voit parfois la culotte des fillettes. Ce sont des scènes de la vie. Où est le mal? Je pense que, maintenant, Martine est hors critique car elle est un peu devenue un mythe. Et, de toute façon, je m’en fiche! (rires)

Comment perpétuez-vous le souvenir de votre père?

La résidence-services Marcel Marlier que j’ai imaginée, ici, avec mon frère (décédé en 2019), dans notre quartier d’enfance, est un peu à son image. Nous avons voulu refaire le monde, à notre petite échelle, en créant des choses simples, durables, de qualité, avec une âme, de la nature, de l’art, des échanges... On vit dans un monde où les gens ont des milliers d’amis sur Facebook mais ils ne parlent pas aux voisins.

Dans cette maison de repos, les personnes âgées revivent et disent se sentir dans un village de vacances! Le jardin, le potager et le verger, je les ai développés avec mes enfants (âgés de 18, 20 et 22 ans, ndlr). Tous les trois, étudiants en sciences mais aussi musiciens, viennent souvent donner des concerts. Papa aurait été fier de notre réalisation car il était un amoureux de la vie, de la nature, de la simplicité, de la beauté...

Est-ce la plus grande maison de repos passive de Belgique?

Sûrement, oui. Je voulais lancer une notion « d’éternité programmée » contrastant avec « l’obsolescence programmée ». On a travaillé avec des techniques novatrices de construction en bois, développées au Japon. Ce bâtiment écologique à ossature bois fait 8.000 m2. C’était une première au monde au niveau de l’ampleur!

Des projets concernant Martine ?

Oui, le château de Versailles nous a contactés pour sortir un album. Nous disposons de plein de dessins de Martine avec de beaux costumes qui pourraient coller. Il y a aussi un long métrage à l’étude, c’est une chouette idée. Martine va continuer à faire rêver. Pour beaucoup, son univers peut représenter une forme de nostalgie mais aussi une orientation de vie...

Rencontre avec le fils du dessinateur de Martine:

Contenu partenaire