© frédéric raevens

Rencontre avec l’artiste belge Saule: « Fouler les scènes, c’est un bonheur ultime »

Pascal Belpaire Journaliste freelance

Travail d’artisan, Saule a créé son nouvel album dans le studio de sa maison en Gaume. « Dare-Dare » chante l’urgence de « prendre tout ce qui est bon ».

Ce géant de tendresse a toujours une tête de gamin. Du haut de ses deux mètres, Saule de son nom de scène, Baptiste Lalieu a le sourire spontané, lui qui préfère toujours le verre à moitié plein au verre à moitié vide. Pourtant, en façonnant son dernier album, il a d’abord succombé à la morosité de l’époque, avant de lui insuffler une dose d’optimisme et d’envie folle de vivre et d’aimer. Cet automne, il balade les chansons de « Dare-Dare » dans les salles de spectacle de Wallonie et de Bruxelles, avant de viser la France au printemps prochain. Interview entre deux concerts.

Cela fait 15 ans que vous chantez et « Dare-Dare » est votre cinquième album. Qu’est-ce qui vous vient d’abord en tête quand vous pensez à votre parcours d’artiste?

C’est un coup de vieux. (Éclat de rire). Non, sérieusement, ce qui m’a le plus marqué dans mon parcours et qui continue à m’émerveiller ce sont les rencontres. Dans notre métier, on a la chance de rencontrer plein de gens, et pas spécialement des gens connus. Je pense à une soeur que j’ai rencontrée dans un dispensaire en Inde et qui était fabuleuse, à des gens qui travaillent dans des associations incroyables, à une cuisinière qui faisait la tambouille lors d’une tournée et avec qui j’ai parlé philosophie pendant deux heures.

Et aussi à des artistes dont vous êtes très proche...

Oui, bien sûr, c’est le cas de plein d’artistes: Cali qui est devenu un frangin, des gars comme Charlie Winston, Téléphone, M, Dominique A... des artistes qui me plaisent, avec qui c’est fun de collaborer, de faire de l’échangisme musical comme je l’appelle. Et tous ces gens qui ne sont plus là, aussi, mais pour qui je garde une tendresse profonde. Prenons Jacques Higelin. Quand j’ai fait sa première partie, il a signé dans mon carnet: « Merci de me permettre de faire ta deuxième partie »! Des gens comme ça, je les garde vraiment dans mon coeur. Je suis quelqu’un qui a besoin du rapport avec les gens. C’est comme ça que je me sens vivre.

Cet été, vous avez retrouvé le contact direct avec votre public lors de multiples concerts et festivals. L’avez-vous vécu comme une délivrance?

Oui, et c’est le cas pour beaucoup d’artistes. Quand tu te retrouves privé d’une liberté que tu pensais acquise, à savoir jouer en concert, et que tout à coup on te l’enlève, c’est très difficile. On n’est pas les seuls concernés. Je suis solidaire de tous les métiers qui ont été à l’arrêt pendant toute cette période. Mais refouler les scènes, c’est un bonheur ultime. On se dit qu’on ne se rendait pas compte de la chance qu’on avait.

Des moments d’émotion intense?

Le premier concert qu’on a fait à la reprise, c’était à la Ferme du Biéreau à Louvain-la-Neuve. Pour ce concert-test, on a joué devant 500 personnes. Après le premier titre, il y a eu un arrêt sur scène et les gens ont applaudi à tout rompre pendant deux minutes. J’étais ému aux larmes.

Rencontre avec l'artiste belge Saule:

Vous avez renoué avec la scène et vous arrivez avec un nouvel album, Dare-Dare, qui donne aussi le nom à votre tournée d’automne et d’hiver...

L’été, avec mon groupe, on a proposé des sets festifs. Quand on joue en festival entre deux autres artistes, avec 40 minutes de set et les gens qui sont en mode « on boit des bières dehors et on veut que ça bouge », on ne prend pas les morceaux les plus intimistes du nouvel album. J’ai bien sûr chanté « Rebelle Rêveur » ou « Dare-Dare », mais les autres titres, je les garde pour les concerts en salle où on peut proposer l’intégralité du nouvel album. Dare-Dare, c’est plus un album de salon, il y a besoin de créer l’ambiance.

Cet automne, vous tournez donc en Belgique, puis ce sera la France où vous avez cartonné il y a quelques années avec « Dusty Men », votre duo avec Charlie Winston...

L’album sortira en mars prochain en France, et on y ajoutera des morceaux inédits. Il ressortira également en Belgique dans une version rééditée.

Vous avez enregistré Dare-Dare essentiellement dans le studio installé chez vous, dans votre maison en Gaume. C’est un travail d’artisan qui donne un rendu différent?

J’ai d’abord enregistré toute une série de chansons dans un excellent studio à Paris, mais au final, je n’étais pas satisfait. C’étaient mes compositions, mais je n’en étais pas content. Les chansons que j’ai jetées n’étaient sans doute pas du tout mauvaises, mais moi, dans mon seuil d’exigence, je ne supportais pas l’idée de m’en contenter. Alors, j’ai tout refait tout seul à la maison. Cela a été une expérience assez géniale parce qu’au final, on a gardé 80% de ce que j’ai fait, y compris toutes les voix dont j’ai fait les prises chez moi. On y a ajouté des basses, des batteries, mais le noyau du disque a été fait en grande majorité chez moi.

Dare-Dare est un album très contrasté, avec de l’urgence mais aussi beaucoup de sérénité et d’optimisme...

Comme nous n’étions pas dans une période top, au début, ce n’était pas spécialement des chansons joyeuses que je composais, mais elles étaient sincères. Je me suis retrouvé avec de super belles chansons, mais elles pouvaient paraître un peu plombantes. Inconsciemment, j’ai commencé à écrire ensuite des chansons plus optimistes. Je sentais ce besoin et cette nécessité de remettre un peu de baume au coeur des gens. C’est ainsi que sont nées des chansons avec des ondes plus positives comme « Avant qu’il ne soit trop tard », une ode à l’instant présent que je chante en duo avec Cali.

Au final, il y a des chansons très émouvantes, certaines mélancoliques, et d’autres qui appellent à se bouger. Le fil rouge de l’album, c’est plutôt qu’il faut profiter de tout ce qui est positif, qu’il faut vivre et aimer à fond « avant qu’il ne soit pas trop tard »?

Oui, prendre tout ce qui est bon. À un moment donné, il faut se raccrocher à tout ce qu’on a de positif autour de nous. Que les gens qui ont plus de chances que d’autres en aient au moins conscience. Et si on peut aider les autres, c’est encore mieux. On est dans une vague où c’est tellement la galère que ça fait du bien de voir les élans de solidarité qui sont en train de naître un peu partout. Et c’est réconfortant quand les gens essaient de considérer le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide.

Sur votre album, vous mettez en chanson l’histoire de Marta González, cette danseuse atteinte d’Alzheimer qui retrouve les mouvements quand on lui fait écouter « Le lac des cygnes ». Vous la faites vivre autrement...

C’était un peu ça l’idée de « Marta danse ». Quand j’ai vu la vidéo qui cartonnait sur internet, j’ai été tellement touché que j’ai eu envie de lui donner une extension, d’en faire un portrait en musique.

Entre les deux confinements, vous avez quitté Bruxelles pour vous installer à la campagne, en Gaume. Heureux de ce changement de vie?

Avant, je vivais à Bruxelles et tout était proche. Ma maison de disques est à Bruxelles, on va à Paris en Thalys en 1h10, c’est quand même très pratique. Mais même si les trajets me prennent plus de temps, lorsque je ne suis pas en concert, en studio, en répét’ ou en promo, je suis dans le calme. Il n’y a pas en permanence les trams, les métros, les bagnoles, cette espèce de stress permanent. Ici, en Gaume, je me pose parfois dans le jardin avec ma chérie et je lui dis « Écoute ». Écouter quoi? me demande-t-elle. Rien, le silence... Elle comme moi, on ne regrette pas du tout notre choix. On habite dans un cul-de-sac, dans un petit village tout perdu, mais où il y a beaucoup de musiciens. Finalement, je suis toujours en train de faire de la musique avec les uns et les autres, et c’est vraiment marrant. Je me plais bien, oui, à la campagne. Mais je suis aussi content d’avoir plein de concerts et de repartir en vadrouille.

Saule

  • 1977: Naissance à Mons
  • 2005 : EP de 4 titres « Saule & les Pleureurs »
  • 2006 : « Vous êtes ici », premier album
  • 2007 : Musique du film « Cowboy » (Benoît Mariage)
  • 2009 : Album « Western »
  • 2012 : « Dusty Men », duo avec Charlie Winston
  • 2014 : Tournée « Les Aventuriers d’un autre monde », avec Raphaël, Stéphane Eicher, Jean-Louis Aubert
  • 2021 : « Dare-dare », 5e album

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