© FIFF Namur / BarbaraBrauns

Rencontre avec l’acteur François Berléand: « Je suis un homme très ordinaire »

Lui, ronchon comme souvent à l’écran? Pas du tout! Coup de projecteur sur le comédien français qui sera à l’affiche du film « Last Dance ».

Si sa carrière a commencé sur le tard, ce petit-fils d’un Verviétois jongle avec brio entre le théâtre et le cinéma. Il a joué un assureur véreux dans « Ma petite entreprise », un directeur tyrannique dans « Les Choristes » en passant par un producteur cynique dans « Mon idole »... Cette fois, François Berléand interprète un veuf bougon qui intègre une compagnie de danse contemporaine. Il honore ainsi la promesse faite à son épouse de poursuivre ce qu’elle avait commencé. Une comédie sensible sur le sujet lourd du deuil.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario de « Last Dance »?

J’ai lu qu’un homme perdait sa femme, se retrouvait avec des enfants surprotecteurs et se lançait dans la danse, alors que lui visiblement ça ne l’intéresse pas... J’étais donc très surpris quand la réalisatrice Delphine Lehericey m’a dit qu’il s’agissait d’une comédie! (rires) Puis, j’ai relu le scénario et j’ai vu comment cela pouvait, effectivement, être drôle. Mes enfants envahissants étaient le moteur du processus comique, en fait. J’ai joué un premier degré d’un homme malheureux qui essaye malgré tout de rester en contact avec sa femme en lui écrivant des lettres et en reprenant le rôle qu’elle avait dans un spectacle de danse. En fait, Germain veut qu’on lui foute la paix mais différentes personnes viennent s’incruster et font que cela devient de la comédie.

Comment vous êtes-vous préparé à jouer ce rôle?

J’ai juste appris le texte. Je voulais perdre du poids et Delphine m’a dit: « Ah non, je veux que tu sois comme ça, en léger surpoids ». « Léger »... elle est gentille. J’ai beaucoup dansé jusqu’à mes accidents de ski, où je me suis cassé tout le côté droit. Et, comme j’ai joué du piano, j’ai le rythme ce qui est déjà pas mal. J’ai aussi dansé comme comédien dans deux spectacles... Je n’ai pas honte de mon corps même si je devrais! (rires) J’ai l’habitude de le montrer en public puisque je fais du théâtre. J’ai même joué nu! J’ai juste précisé que je ne le ferai pas dans ce film parce que j’ai passé l’âge de la nudité.

Quand on arrête de travailler, c’est la fin des haricots!

A l’image de Germain, êtes-vous étouffé par vos enfants?

Du tout! Oh là là, non, que tout le monde me laisse faire surtout! C’est plutôt moi qui surprotège mes quatre enfants, donc même les deux grands de 44 et 40 ans. Je leur ai payé un appartement, je leur donne encore de l’argent de poche... Vous imaginez?!? Le jour où ils voudront me surprotéger, je ne leur donnerai plus rien! (rires)

Et vous, quel enfant étiez-vous?

Un enfant gaucher contrarié, dyslexique, dysorthographique, etc. A 11 ans, mon père m’a lancé, lors d’un dîner, que j’étais le fils de l’Homme invisible! Je l’ai cru... ça m’a vraiment traumatisé et j’ai vu psy sur psy... J’ai connu six ans de chaos terrible mais bon, on s’en sort. Ce dédoublement de personnalité a d’ailleurs été une force pour ma carrière de comédien.

Comment est née cette passion pour la comédie?

C’est dans les gènes... Il y a un côté musique avec ma grand-mère maternelle qui était premier prix de conservatoire de piano et mon grand-père chef d’orchestre. Du côté paternel, c’était des juifs russes: ma grand-mère était avocate et comédienne, son mari metteur en scène mais je ne l’ai pas connu car il est mort à Auschwitz... Adolescent, j’étais doué au piano et au moment de choisir entre le collège et la musique, une petite voix m’a dit de ne pas opter pour la musique... Quelques années plus tard, je devais aller au théâtre avec un copain qui s’est décommandé au dernier moment. J’avais à peine raccroché le téléphone que le groupe de théâtre de mon école de commerce m’a appelé pour me proposer une audition pour un rôle. J’étais souvent allé au théâtre mais je n’en avais jamais fait. Comme ma soirée était libre, j’y suis allé et j’ai été pris pour le rôle. Quand je suis monté sur scène... Waouw, le déclic! Je suis sûr que tout est écrit et que c’est le grand-père que je n’ai jamais connu qui m’avait soufflé: « Non, pas le piano »...

Préférez-vous le théâtre au cinéma?

Oui, de loin, le théâtre c’est sans filet: on n’a pas le droit à l’erreur, on dépend des autres, on a une mise en scène à suivre, on ne peut pas reprendre. C’est stressant mais j’aime le trac.

Il faut une bonne mémoire...

Oui, mais une fois que c’est ancré, ça va! Je vais justement participer à une grande expérience sur la mémorisation avec l’Institut du cerveau, à Caen. Des comédiens de tous âges et des gens lambda vont passer dans des IRM, apprendre un texte en trente minutes, etc. J’ai déjà fait des essais lors desquels je parvenais à apprendre vingt lignes et d’autres participants trois.

François Berléand

  • 22/4/1952: Naissance à Paris
  • 1970-1972: Ecole de commerce
  • 2000: César du meilleur acteur dans un second rôle pour « Ma petite entreprise »
  • 2002: Premier grand rôle dans « Mon idole »
  • Depuis 2004: En couple avec l’actrice et romancière Alexia Stresi
  • 2004: Joue dans « Les Choristes »
  • 2008: Sort le livre « Le fils de l’Homme invisible », Joue dans « Le transporteur 3 »
  • 2014: Pièce « Deux hommes tout nus »
  • 2023: En tournée avec la pièce « 88 fois l’infini »

Votre premier grand rôle au cinéma, c’était dans « Mon Idole », à 50 ans. Votre notoriété est donc venue sur le tard. Comment l’avez-vous vécu?

A vrai dire, moi je m’en fichais de la notoriété. Faire ce métier pour être connu est une mauvaise raison! Je le fais par passion. Tant mieux si je suis connu car cela signifie qu’en plus d’avoir la chance de vivre ma passion, je peux en vivre bien. Quand j’étais gamin, on écorchait toujours mon nom à l’école. Je me souviens avoir rêvé d’être un jour connu pour ne plus qu’on le déforme. Mais à l’époque, je voulais être un grand médecin, un chercheur, sauver le monde des méchants, etc. Maintenant que je suis un peu plus connu, c’est vrai qu’on écorche moins « Berléand ». Mes filles, qui sont à l’école (des jumelles de 14 ans, ndlr), me le confirment!

Comment vivez-vous la célébrité?

Disons que quand elle arrive sur le tard, c’est un peu gênant. Des fois, on me lance: « Ah, Monsieur Michel Serrault, je suis content de vous voir, puis-je avoir un autographe? ». Quand je signale qu’il est mort, on me répond: « Mais non, arrêtez de toujours blaguer! ». En fait, j’ai une notoriété qui fluctue selon que je suis passé à la télé ou pas la veille. Cela dit, Michel Serrault était mon idole absolue! Un génie total, le plus grand comédien français, de loin. J’ai un peu le même physique que lui, celui de Monsieur Tout-le-monde.

Vous avez souvent interprété des rôles de personnages antipathiques, comme dans le magnifique film « Les Choristes ». ça vous ennuie cette étiquette d’acteur ronchon?

Pas du tout! C’est ça qui fait que je suis connu par les gens. Mais moi, je n’ai pas cette sensation-là car je vis autre chose avec le théâtre où je n’ai pour ainsi dire jamais joué de ronchon. C’est le cinéma qui a décidé de cela... Pour interpréter le méchant directeur d’internat dans « Les Choristes », je me suis inspiré de l’instituteur qui donnait cours dans la classe à côté de la mienne. Il était horrible! Mais bon, je devais avoir vingt jours de tournage alors que le théâtre c’est toujours plusieurs mois. En général, je joue tout ce que je ne suis pas car, même si je fais un métier extraordinaire, je suis un homme désespérément normal, ordinaire, dans la vie.

Etes-vous grincheux dans la vie?

Ah non, au contraire, j’adore recevoir, faire des dîners, que les gens plaisantent et rient. Je suis épicurien et chaleureux... J’ai la journée pour la famille et les amis, vu que je joue le soir. En revanche, je suis râleur en voiture et très râleur par rapport à la politique dans mon pays. Je râle notamment contre les embouteillages, les grèves...

L’existence des maisons de retraite vous énerve aussi...

Oui, je n’en reviens pas qu’on décide de mettre des vieux dans des mouroirs. Si un vieux a une famille, ce n’est pas bien de ne pas s’en occuper. J’ai eu le malheur de perdre ma mère jeune mais si elle avait vécu plus longtemps, je me serais occupé d’elle. Avec des soins à domicile, chez moi ou chez elle, au besoin. J’aime beaucoup le respect des personnes âgées qu’il y a dans la culture africaine.

Si mes enfants me surprotègent, je ne leur donne plus rien.

Et qu’est-ce qui vous amuse?

La maladresse et les gaffes me font beaucoup rire. Par exemple, le type qui se prend le râteau sur la tête et tombe. S’il ne se fait pas mal évidemment, sinon ce n’est pas drôle! Je ris aussi des gens qui inventent des histoires alors qu’on sait bien que c’est faux.

Le rôle de vos rêves à jouer?

Le prochain! Non, je ne sais pas... Peut-être, maintenant, le Roi Lear de Shakespeare, au théâtre. J’aurais adoré jouer dans le film « Garde à vue » mais Serrault l’a fait mieux que moi.

Aimez-vous revoir vos films?

Quand je joue un rôle d’époque ou que j’ai un look qui ne me ressemble pas, cela ne me gêne pas trop. Mais sinon, je n’aime pas me voir dans les films et encore moins me revoir! (rires) En fait, je me trouve mauvais dans le jeu...

Quel regard portez-vous sur vos cinquante ans de carrière?

Je suis très fier! A un moment donné, on m’a proposé d’intégrer la troupe du Splendid et j’ai refusé... Après, j’ai un peu regretté mais en même temps je me disais que j’apprenais mon métier en me coltinant des textes difficiles. Cela m’a permis d’être ce que je suis maintenant et j’en suis très content.

Mais pourquoi avoir refusé?

Parce qu’il fallait refaire tout le théâtre, s’occuper des décors, repeindre, etc. Comme j’avais déjà fait ça avec ma troupe, je me suis dit que je n’allais pas être peintre, sans arrêt, toute ma vie!

A 71 ans, quel est le secret de votre forme?

Le travail. Je pense que quand on arrête de travailler, c’est la fin des haricots! J’ai plein d’amis qui ont arrêté il y a cinq ou six ans et ils en sont morts, enfin... morts vivants. Ils ne font plus rien. Le clap de fin, ce sera vraiment quand je ne pourrai plus.

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« Last Dance », en salles le 21 juin.

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