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Rencontre avec Armel Job : « Le livre est le bien du lecteur »

Pascal Belpaire Journaliste freelance

Dans ses romans à suspense, l’écrivain ardennais sonde l’âme humaine. Rencontre avec un auteur qui écrit tous les jours et lit tous les soirs.

Une institutrice, un cafetier, un médecin. Les personnages de ses romans sont des gens très ordinaires. Ils se retrouvent, souvent bien malgré eux, dans des situations extraordinaires. Armel Job les cisèle et met au jour les faux-semblants, les mensonges, les indélicatesses d’individus à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. En lisant « Sa dernière chance », son nouveau roman qui paraîtra en février prochain, on se demandera ce qui a poussé Elise, célibataire revêche de 39 ans, à chercher un compagnon via internet. Oui ou non, cet antiquaire dont les affaires vivotent sera-t-il sa dernière chance?

Où nous emmenez-vous dans « Sa dernière chance »?

L’action se passe principalement à Verviers et à Liège.

Liège, où vous avez fait vos études de philologie classique, la ville de Simenon qui pénétrait aussi l’intimité de ses personnages. On ressent chez vous une attirance pour cette ville...

J’ai passé toute mon enfance à la campagne. Puis j’ai été interne au séminaire de Bastogne. Un internat est plutôt une sorte de no mans’ land. La première ville que j’ai connue, c’est Liège quand je suis arrivé à l’université. Après six ans d’enfermement à Bastogne, pour ainsi dire, j’étais rendu à la liberté. J’habitais en Outremeuse. J’aimais bien l’odeur de la ville, on sentait le coke des aciéries à l’époque, les bateaux sur le fleuve, la gouaille populaire, les vendeurs de crème glacée en triporteur, les marchands ambulants qui criaient en wallon Cutè Peures, « Poires cuites ». Et j’aimais la vie intellectuelle de l’université, le challenge que représentaient des études ardues, qui rendaient la vie plus piquante. Je me souviens des matins pleins de fraîcheur où, l’estomac noué, je partais pour une journée de sept ou huit examens à la file. Dès que je reviens à Liège, ces impressions de jeunesse et de liberté me reviennent à l’esprit.

Tout ce qui vaut la peine demande de la peine.

Vous vivez dans un village ardennais, proche des forêts et d’une rivière. Est-ce source d’inspiration?

J’y trouve la tranquillité nécessaire à mon travail. Quand je suis en panne dans l’écriture, je vais me promener en forêt. Je ne pense à rien, je marche ; curieusement, les idées accourent toutes seules. Mais je ne cherche pas à fourrer la nature dans mes romans. Je suis plus intéressé par les humains que par le décor.

Comment vous préparez-vous à l’écriture d’un roman?

Pour commencer un roman, j’ai seulement besoin d’une idée d’histoire. Je ne m’informe en route que sur des points techniques très particuliers. Si je tue quelqu’un dans l’histoire, je demande à un médecin légiste l’état du cadavre quand on va le découvrir. Je ne vais pas sur les lieux. Au besoin, je consulte Google Street. J’ai étudié la documentation seulement pour « Dans la gueule de la bête » qui traite du sort des Juifs à Liège pendant la guerre car je devais respecter les événements historiques et pour « Loin des mosquées » à propos des mariages arrangés dans la communauté turque.

Rencontrez-vous des personnes ressources?

Je n’interroge jamais une personne qui aurait vécu une situation comparable à celle que vit un de mes personnages. Je craindrais trop de raconter l’histoire de cette personne, alors qu’un roman doit s’efforcer de créer ses propres types humains. C’est parce que le héros de roman n’est personne qui existe qu’il devient universel.

Écrire, pour vous, est-ce loisir, plaisir, contrainte?

Travail essentiellement, parfois douleur, heureusement aussi joie de la découverte. Tout ce qui vaut la peine demande de la peine.

Vous publiez un roman par an. Vous imposez-vous un horaire quotidien?

J’écris tous les jours de 8 heures à midi et de 16 heures trente à six heures quarante-cinq. Heure à laquelle je bois une bière avec ma femme.

Que ressentez-vous quand vous terminez l’écriture d’un roman?

À un pianiste virtuose, on demandait l’autre jour à la radio ce qu’il pensait en s’asseyant à son piano devant le public. Il a répondu : « Vivement que ce soit fini! » Au bout de l’écriture d’un roman, je ressens surtout le soulagement d’y être arrivé. Je me dis aussi qu’une fois de plus, c’est loin d’être l’oeuvre que j’avais escomptée. Et je commence à penser à un autre roman dans l’espoir qu’il sera peut-être meilleur.

Rencontre avec Armel Job :
© frédéric raevens

Un de vos romans, « Fausses innocences », a été porté à l’écran. Qu’avez-vous ressenti en voyant Hélène de Fougerolles et d’autres comédiens donner vie aux personnages qui étaient nés sous votre plume?

Un sentiment étrange. Comme si ce que vous avez rêvé devenait tout à coup réalité sous vos yeux. Quand vous écrivez une scène de cimetière, par exemple, cela reste assez théorique. Quand vous avez sous les yeux le comédien enfoncé jusqu’au cou dans le caveau qu’il construit dans le cimetière de Dochamps, cela vous fait un drôle de choc. Comme si vous aviez créé du réel sans le savoir. Encore que ce réel n’est lui-même qu’une fiction. Il y a donc une sorte de mise en abîme qui donne le vertige.

Depuis peu, vous êtes membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Est-ce une consécration, une place officiellement reconnue dans le monde des écrivains?

Le sentiment le plus important pour moi dans cette désignation a été la surprise la plus totale qu’elle m’a causée. Jamais il ne me serait venu à l’esprit de briguer un siège à l’Académie. Je me suis toujours tenu à l’écart de l’intelligentsia littéraire. Quand on m’en a informé, j’ai d’abord pensé que c’était une blague. Il y a à l’Académie des gens très brillants. Je ne sais ce que certains d’entre eux m’ont trouvé, mais ils étaient en nombre suffisant pour m’adouber. J’en reste étonné.

Y-a-t-il un roman dont vous auriez aimé être l’un des personnages, dont vous auriez aimé en vivre la vie de l’intérieur?

Mes personnages sont mes personnages. Moi, c’est moi. On dit que le romancier doit se mettre à la place de ses personnages. Je ne le fais jamais. Pour se mettre à la place de quelqu’un, il faut le déloger de sa place.

Êtes-vous parfois surpris de la façon dont certains lecteurs interprètent vos écrits?

Le lecteur s’approprie toujours le roman. C’est dans son imagination à lui qu’il reconstitue l’histoire, crée les décors, imagine les personnages. Le roman devient son bien propre. Il y a autant de représentations d’un roman qu’il y a de lecteurs. Que le lecteur interprète le sens même de l’histoire à sa façon, c’est son droit le plus strict.

Comment vivez-vous les rencontres avec des lecteurs de vos romans?

J’aime rencontrer mes lecteurs dans des réunions en bibliothèque, à l’école, en librairie. Je suis toujours curieux d’écouter leurs impressions, leurs questions. Un auteur travaille dans la solitude. Ces rencontres sont les seuls moments où il a un retour sur son travail. Pour mettre à profit ce genre de rencontre, il faut plus que le rite de la dédicace.

Vous-même, avez-vous encore le temps de lire?

Je lis tous les soirs de 20h30 à 22 h. Essentiellement la littérature étrangère que je ne connais pas. Je me suis lancé dans la littérature hongroise actuellement. J’aime beaucoup les essais, la philosophie et j’ai un faible pour les théologiens.

Quel est, pour vous, « le » livre qu’il faut absolument avoir lu dans sa vie?

Il n’y a pas de livre idéal. Chacun doit choisir son livre. Ou plutôt, chacun doit lire beaucoup et attendre d’être adopté par un livre.

Armel Job

  • 1948 : Naissance à Heyd (Durbuy)
  • 1970 : Diplômé en philologie classique à Liège Professeur de latin-grec à Bastogne
  • 1977 : Naissance de la première de ses trois filles
  • 2001 : Prix René-Fallet du premier roman pour « La Femme manquée »
  • 2005 : Prix Jean Giono pour « Fausses innocences »
  • 2011 : Prix Simenon pour « Tu ne jugeras point » Créateur du Prix Horizon du Second roman
  • 2018 : Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique

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