Quel logement pour plus tard ?

Le logement plus important que les soins

 » La plupart des 50+ sont propriétaires de leur logement mais la majorité de ces habitations sont mal adaptées au grand âge, constate Dominique Verté, docteur en gérontologie et professeur à la VUB, sur les bases d’une enquête menée par ses soins. Avec ce patrimoine, il n’est hélas pas envisageable de vieillir chez soi. Les autorités mettent actuellement l’accent sur les soins, mais ceux-ci sont hors de prix et dispensés dans des maisons inadaptées. La politique devrait se concentrer sur le logement lui-même. Les soins doivent devenir partie intégrante d’un aménagement adapté, et non l’inverse. « 

Eric Cloes, architecte et rédacteur en chef de Je vais construire & rénover va plus loin :  » Les autorités devraient interdire la construction de maisons qui ne pourront pas être aménagées en fonction des besoins liés au grand âge. Cela me révolte de voir qu’on continue à construire des immeubles à appartements avec des ascenseurs et des balcons inaccessibles aux chaises roulantes. « 

 » La seule manière d’inciter à construire dans une perspective à long terme, c’est de l’inscrire dans les règlements communaux, estime Dominique Verté. Sans règles strictes, il n’y aura pas de changement. Trop d’architectes dessinent encore les maisons de repos en partant de l’angle classique des soins et de la médicalisation. Nous avons besoin d’architectes créatifs capables d’initier un mouvement novateur en matière de logement et de grand âge. Pour le moment, le choix se limite, grosso modo, à rester vivre chez soi, à emménager dans un logement adapté ou à entrer en maison de repos. Mais il faut qu’on réfléchisse à des formes d’habitat innovantes. « 

L’habitat ne se limite pas à quatre murs

Il faut qu’on puisse continuer à vivre chez soi le plus longtemps possible, d’accord, mais quid lorsque ce n’est plus possible?  » On peut replanter un arbre ailleurs, pour peu que le terreau soit le même, déclare Dominique Verté. Nous avons besoin de quartiers pensés pour le vieillissement, afin qu’une personne puisse déménager sans quitter son environnement.  »

 » L’habitat ne se limite pas à quatre murs, intervient Eric Cloes. Il comprend aussi les contacts sociaux et les endroits où vous avez passé la majorité de votre vie.  »  » L’échange de maison serait une belle solution, souligne Marie-Pierre Delcour, juriste qui dirige Infor-homes, une asbl bruxelloise dédiée au bien-être des résidents en maisons de repos. Nombre de jeunes couples achètent un appartement. Or, dès que la famille s’agrandit, il ­devient trop petit, alors que les (grands-)parents vivent encore dans une maison ­familiale devenue, elle, bien trop grande. Un échange profiterait aux deux parties, d’autant qu’entre aussi en jeu un argument affectif. Pour certaines familles, cela s’est révélé la ­solution idéale. « 

 » Nous ne devons pas oublier que l’aménagement de l’espace dans les grandes villes a aussi son importance, si on veut permettre aux personnes âgées de continuer à vivre chez elles, analyse Dominique Verté . 17 à 18 % des 60 + souffrent d’un extrême isolement. Dans des villes comme Bruxelles, on vit souvent dans des cages dorées : on n’ose pas sortir, on n’a pas de contacts sociaux. On peut briser cela en envisageant l’espace public autrement. Le centre de Mortsel offre un bon exemple de l’impact que cela peut avoir : la circulation y a été réduite à une bande dans chaque sens, plus une bande pour le tram, ce qui libère de l’espace pour les piétons, les cyclistes et les squares. Le nombre de personnes âgées qui circulent à nouveau en rue pour marcher ou faire leurs courses a fortement augmenté. « 

La technologie, utile mais pas forcément bénéfique

Pour certains, la technologie ressemble à la solution miracle pour permettre à chacun de continuer à vivre chez soi aussi longtemps que possible, et ce dans des conditions optimales.  » Les maisons n’en sont pas encore équipées mais on pourrait prévoir certains dispositifs : des systèmes d’alarme qui se déclenchent en cas de chute, des tablettes qui permettent de rester en contact avec les voisins, la famille et les amis, et assurent un meilleur suivi de la part du personnel soignant, suggère Willem-Jan Jacobs de Living Tomorrow. A l’avenir, les maisons intelligentes pourront déterminer si l’occupant a besoin d’aide ou de soins. Ce sont des dispositifs qui pourront être intégrés sans trop de dépenses : tout cela coûte beaucoup moins cher qu’il y a une vingtaine d’années. Et de nombreuses autres applications sont en cours de développement. « 

Un enthousiasme que tempère Eric Cloes.  » Même si ça a l’air simple, les personnes âgées ne sont souvent plus capables d’apprendre à maîtriser cette technologie. Quant aux gens qui se débrouillent avec le high-tech, plus ils prennent de l’âge et deviennent moins autonomes – songez à l’arthrose ! -, plus cela sera difficile. La technologie n’est qu’une assistance bien pratique, pas une solution soi . « 

 » Les aînés ont essentiellement besoin d’être rassurés, renchérit Marie-Pierre Delcour. Or, la technologie a plutôt tendance à les perturber parce qu’elle est ou semble trop complexe. A cela s’ajoute le fait que se reposer toujours plus sur la technologie se fait souvent au détriment du contact humain, qui passe au second plan. Les nouvelles technologies sont les bienvenues mais elles doivent répondre aux besoins spécifiques d’une population vieillissante. « 

Penser plus petit

 » Lorsqu’on décide de construire une maison de repos et de soins, on ne commence pas en-dessous de 90 unités, sans quoi c’est financièrement irréalisable, constate Willem-Jan Jacobs.  » Si on se base là-dessus pour l’avenir, autant arrêter tout de suite, déplore Dominique Verté. En 2050, on risque d’avoir des soins pour ceux qui peuvent se le permettre et la débrouille pour les autres. Les autorités doivent également réfléchir à l’avenir des personnes âgées et prévoir des financements. La façon dont on règle fiscalement les acquisitions et la propriété joue déjà en défaveur de la souplesse d’habitat. Les seules personnes qui, une fois très âgées, vivent dans un logement adapté sont celles qui ont été locataires toute leur vie et ont pu échanger une location pour une autre, plus adaptée. « 

L’Etat devrait inciter à investir dans un logement adapté. Ce qui ne va pas forcément de soi.  » Souvent, certaines adaptations techniques sont envisageables mais dès qu’il s’agit de plus gros travaux, on se heurte à des résistances, remarque Eric Cloes . L’avenir ne réside pas tant dans les logements adaptés que dans les logements adaptables. Une habitation doit être conçue comme une boîte vide, sans murs intérieurs porteurs.

Selon les besoins des habitants, on peut alors modifier la disposition des pièces. Notre façon de penser la construction doit impérativement changer du tout au tout « .

Les experts également sont unanimes pour affirmer qu’on doit arrêter de construire de grandes maisons de repos pour proposer, à bien plus petite échelle, des quartiers conçus pour les personnes âgées et des habitations avec garantie de soins.

 » On peut grandement faciliter les choses en laissant le choix aux gens, estime Willem-Jan Jacobs. Si on construit des habitats-services, de nombreux 50 et 60 + auront certainement envie d’y investir. Pas pour y vivre immédiatement mais pour être rassurés par rapport à leur avenir. En effet, ce qui fait peur, c’est de devoir s’installer quelque part contre son gré. « 

Repenser les maisons de repos et de soins

 » Je ne pense pas que les maisons de repos sont appelées à disparaître mais elles vont devoir s’adapter à une nouvelle réalité, estime Marie-Pierre Delcour. Ceux qui entrent aujourd’hui en maison de repos et de soins ont vraiment besoin de soins. Ils ne peuvent plus se contenter de soins à domicile. Ce phénomène a malheureusement des effets négatifs sur nombre de maisons de soins et de repos qui se transforment en succursale de l’hôpital au lieu de coller au concept originel, celui d’un lieu de vie. La plupart des gens souhaitent continuer à vivre chez eux le plus longtemps possible et ne se décident à entrer en maison de repos que très tard. Souvent trop tard pour pouvoir s’y habituer et attendre de la vie autre chose que de recevoir passivement des soins. « 

 » Les maisons de repos sont, en effet, devenues de petites cliniques pour personnes très dépendantes, déplore Dominique Verté. Les autres ne veulent pas y aller, ce qui crée un chaînon manquant. Il faudra prévoir de nouvelles formes d’habitat avec des soins nettement moins lourds, où on mettra l’accent sur le logement au lieu des soins, des habitats groupés avec garantie de soins. Pour cela, les autorités doivent changer leur fusil d’épaule, car le financement des résidences pour aînés repose encore et toujours sur une vision dépassée.  »

Comment ferez-vous ?

Eric Cloes, rédacteur en chef de Je vais construire & rénover est architecte et a rédigé une thèse consacrée à l’accessibilité et la flexibilité des logements.

Ma femme et moi avons vécu pendant trente-cinq ans dans une adorable fermette. Mais il y avait de nombreux escaliers. La maison était bâtie en haut d’une pente, dans un quartier impossible à quitter sans emprunter des rues qui grimpent. Nous avions constaté qu’avec l’âge, nos voisins ne sortaient quasi plus de chez eux. J’ai toujours dit à ma femme :  » Nous ne pourrons pas vieillir ici. « 

Nous avons donc cherché un terrain plat à bâtir dans les environs de la Meuse, mais en dehors des zones inondables, dans un village de 400 à 500 habitants, facilement accessible, avec des transports en commun et tous les services à proximité. Nous sommes tombés sur ce que nous cherchions à 10 km de chez nous, si bien que nous avons conservé tous nos contacts sociaux. Nous avons construit une maison dans laquelle nous pourrons vieillir confortablement : tout est de plain-pied, les prises et les interrupteurs sont facilement accessibles, les portes larges, la vaste douche aussi et la porte des toilettes s’ouvre et se ferme facilement, au cas où l’un de nous se retrouverait en chaise roulante. Les fenêtres vont jusqu’au sol pour pouvoir attirer l’attention des passants en cas de besoin.

A l’intérieur, tout est ouvert : on se voit et on s’entend facilement d’un endroit à l’autre, quand on est occupé à l’autre bout de la maison. Les amis qui viennent chez nous remarquent que notre  » maison-dans-laquelle-on-peut-vieillir  » ressemble à n’importe quelle autre maison. Quand j’ai annoncé vouloir construire une maison pour plus tard, les gens étaient surpris. On me trouvait beaucoup trop jeune pour m’en préoccuper. Or, si on attend trop longtemps, on ne le fait plus, car cela demande un investissement mental et physique.

Marie-Pierre Delcour est juriste. Elle dirige Infor-homes, une asbl bruxelloise dédiée au bien-être des résidents en maisons de repos.

Je suis toujours avec beaucoup d’intérêt tout ce qui se dit au sujet de l’habitat pour les personnes âgées. Les années passent vite et je me rends compte à quel point je suis attachée à la maison dans laquelle je vis depuis longtemps déjà. Chaque jour ou presque, je me dis que ce sera difficile de la quitter. Je ne sais pas encore ce que je ferai.

Willem-Jan Jacobs travaille pour Living Tomorrow. Il sonde les innovations des entreprises en matière de soins de santé pour développer des applications, entre autres dans les centres d’accueil et de soin.

J’achève des travaux d’aménagement dans l’appartement que j’ai acheté à Hasselt, dans un bloc d’habitations. Dans le quartier, il y a quatre grands immeubles à appartements, trois banques, trois boulangeries, deux librairies. L’arrêt de bus est juste devant ma porte et le centre n’est qu’à 400 m à pied. Un environnement parfait pour vieillir sereinement...

L’appartement est, lui aussi, parfaitement adapté. Il n’a pas de structure fixe, on pourra tout ouvrir et repenser. Si je suis un jour en chaise roulante, je pourrai continuer à vivre sur place. Ma paroi de douche n’est pas encastrée dans le mur, mais collée, je pourrai toujours la remplacer par un rideau. L’armoire du lavabo peut être retirée. Une porte coulissante sépare la chambre à coucher de la salle de bain. La cuisine et le living sont ouverts et communiquent. La seule question est : combien de temps vais-je encore rester ici ? C’est trop petit avec des enfants. Mais ma mère a déjà laissé entendre que l’appartement lui plaisait et que nous pourrions échanger nos logements. Je pourrais emménager chez elle, dans sa grande maison, lorsque j’aurai deux ou trois enfants, et elle pourra s’installer dans mon appartement.

Dominique Verté est docteur en gérontologie et professeur à la VUB, où il dirige une enquête sur les besoins des aînés.

Je vis à Chimay, dans un ancien presbytère. Lorsque nous avons fait des travaux de transformation, il y a sept ans, nous avons tenu compte de l’avenir : de larges portes, etc. Mais la maison est beaucoup trop grande. Nous comptons rester encore sept ans à Chimay, puis déménager.

Nous cherchons un logement dans le centre d’Ostende, avec une épicerie, une boulangerie, une boucherie... accessibles à pied. L’un des problèmes à la côte, aujourd’hui, c’est que les bâtiments sont souvent difficiles d’accès, ces sont des cages à lapins. Nous voulons donc acheter un logement que nous pourrons entièrement transformer, avec un ascenseur. Je sais déjà à quel architecte je vais faire appel pour ces travaux. Eric ?

Pour plus d’informations sur le projet de la Fondation Roi Baudouin, cliquez sur www.avosprojets.be

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