© iStock

Quand les séries nous rendent accros

Compagnes indissociables de nos soirées, les séries télévisées et les feuilletons constituent aujourd’hui d’inépuisables moteurs de discussion ou d’inspiration. Mais pourquoi les aime-t-on tant ?

Le Belge est plutôt gros consommateur d’écrans : selon une étude de la régie publicitaire IP publiée en 2019 – avant la crise du Covid, donc – il visionne en moyenne près de cinq heures de vidéos chaque jour. Que regarde-t-il ? Si la télévision traditionnelle et le sacro-saint JT se taillent toujours la part du lion, les séries télé sont de plus en plus plébiscitées. Très présentes dans la grille des programmes des chaînes, elles sont aussi consommées en grande quantité via d’autres canaux et supports (streaming sur tablette, DVD, téléchargement...). Impossible d’échapper au phénomène !

 » L’épisode quotidien, c’est un peu notre rituel du soir, raconte Philippe, 68 ans en janvier prochain. C’est suffisamment court pour qu’on ne s’endorme pas devant (sourire), tout en étant captivant : parfait pour se changer les idées. Pour choisir nos séries, nous fonctionnons généralement par le bouche à oreilles. Quand il y en a une qui nous plaît, nous en parlons à nos amis et à nos enfants, et vice- versa.  »

 » La question « Et sinon, tu regardes quoi comme série pour le moment ? » est devenue aussi triviale que de parler de la météo, confirme Sarah Sepulchre, professeure à l’UCLouvain et auteure de l’ouvrage « Décoder les séries télévisées ». C’est la question « safe », innocente, qu’on pose à ses collègues autour de la machine à café, celle qui sert à amorcer le dialogue dans une soirée où on ne connaît personne. Aujourd’hui, il est rare qu’une personne ne regarde pas une série : tout le monde se retrouve autour de cette thématique.  »

La fin d’un snobisme

Le succès des séries et des feuilletons n’est pourtant pas un phénomène particulièrement neuf. Présents dès les débuts de la télévision, ceux-ci ont bien souvent rencontré leur public. « Dallas a par exemple toujours eu de gros succès d’audience, y compris chez nous, illustre Sarah Sépulchre. Mais si on aimait ces séries, qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement mauvaises, cela restait dans l’intimité, on ne s’en vantait surtout pas auprès d’inconnus. C’est cela qui a changé : les séries sont devenues légitimes. »

Un changement de paradigme qui s’est opéré en deux grandes étapes. Chez nous, la première date de la première moitié des années 90, lorsque débarquent sur les écrans des séries comme Friends, X-Files ou encore Urgences. La différence entre ces programmes et la plupart de ceux diffusés en Europe dans les années 80 est manifeste : du divertissement pur et dur à la Starsky et Hutsch, ou aux sitcoms familiales sans prétention ( » La Fête à la maison « ,  » Huit ça suffit « ... ), le téléspectateur accède soudain à des séries plus subtiles, réalistes ou documentées.  » Cette apparition est concomitante avec les débuts d’internet : faute de pouvoir trouver de l’information sur leur série préférée dans les médias, les fans vont se mettre à créer des sites dédiés.  » De quoi donner de la visibilité à des programmes jusque-là snobés par les critiques et les journalistes !

Un nouveau JT

Au début des années 2000, les séries franchissent un nouveau pas, avec l’entrée en jeu de chaînes payantes telles que HBO. « HBO produisait déjà des séries de qualité, mais elle va décider de faire du cinéma à la télé, de transposer les codes cinématographiques au petit écran. » Les Sopranos, l’un des premiers modèles du genre, s’inspire d’ailleurs ostensiblement des films de Martin Scorcese. Contrairement aux séries au long court, ces séries « de prestige » ne sont plus tournées de semaine en semaine : chaque saison est un produit fini, intégralement monté avant diffusion, avec un début et une fin. « On en prend parfois plein les yeux, s’enthousiasme Philippe. Nous avons récupéré une télé qui était adaptée pour ma maman, qui souffrait d’une dégénérescence maculaire. Un écran gigantesque ! Lorsque vous voyez là-dessus les scènes de batailles de Game of Thrones, ça n’a rien à envier aux films conçus pour le cinéma. Sauf qu’ici, vous avez en plus un scénario en béton, alors qu’au cinéma, j’ai l’impression qu’ il n’y a plus que des trucs simplistes de superhéros. »

Désormais culte, Game of Thrones n'a rien à envier aux superproductions d'Hollywood destinées au cinéma.
Désormais culte, Game of Thrones n’a rien à envier aux superproductions d’Hollywood destinées au cinéma.© IMAGESELECT

Il ne faut donc pas chercher bien loin la raison du succès actuel, public et critique, des séries.  » À de rares exceptions près, non seulement c’est bien filmé, bien réalisé, mais c’est aussi bien écrit, abonde Sarah Sepulchre. Le niveau de fiction est bon, parfois même exigeant : il peut manipuler quantité d’intrigues et de personnages principaux et secondaires. Avant, les séries devaient être accessibles au commun des mortels, au plus petit dénominateur. Aujourd’hui, elles peuvent se permettre le luxe de choisir leurs spectateurs.  »

Avec le développement du secteur ces dernières années, des séries de niche sont même apparues, destinées à séduire des publics très ciblés. La Servante écarlate, par exemple, visait avant tout une audience féministe, avant de trouver le succès auprès du grand public. En mettant au passage un joli coup de projecteur sur la place des femmes dans la société...  » Difficile de dire si les séries créent des tendances, ou si elles ne font que surfer dessus, les amplifier, mais une chose est sûre : elles sont ultra connectées à notre époque. Elles ont repris une partie du débat social, c’est un peu un nouveau JT en terme de moteur de conversation.  » Que ce soit notre rapport à la technologie ( » Black Mirror « ), à la politique ( » House of cards « ,  » Borgen « ) ou le regain d’intérêt pour le vintage et la nostalgie ( » Mad Men « ,  » Stranger Things « ), toutes les tendances, tous les questionnements qui traversent notre société se retrouvent dans les séries.

Plus qu’un héros, un ami

Mais il ne faudrait pas résumer les séries à un spectacle de qualité, bien ancré dans l’air du temps : il s’y crée également une alchimie entre le spectateur, l’univers et surtout les personnages à l’écran.  » La recherche a prouvé que la fiction active les mêmes zones du cerveau que dans la réalité, détaille la professeure de l’UCLouvain. Quand on est triste face à un épisode, on est vraiment triste. Quand on tombe amoureux d’un personnage – même si on sait bien que c’est un être fictif – on est vraiment amoureux et quand on a peur pour lui, on a vraiment peur. Il en résulte un processus d’attachement, parfois très fort dans les séries. Cela existe aussi au cinéma, mais c’est limité : le film dure deux heures, puis c’est fini. La série revient toutes les semaines, voire tous les jours...  »

 » Je vis seule, témoigne Martine, tout récemment pensionnée. Quand je travaillais, j’avais pris l’habitude d’allumer la télé dès que je rentrais du boulot. Je suis tombée un jour sur Plus belle la vie et je me suis dit « Quelle bêtise ! ». Puis, finalement, je me suis prise au jeu. Les personnages sont un peu devenus une seconde famille, des amis. Avec les années, les plus anciens vieillissent et évoluent avec moi, vivent dans un monde contemporain du mien... Je sais que le scénario ne vole pas toujours très haut, mais je m’en moque : ce qu’ils m’apportent, c’est de la compagnie.  »

La relation d’attachement cible le plus souvent un personnage en particulier : ce dernier finit par être un substitut au sein du monde de la série.  » Nous nous identifions à eux et ils finissent par être un peu nous, précise Sarah Sepulchre. Indirectement, cela nous amène à réfléchir sur nous-même. Dans une série comme Grey’s Anatomy, c’est même voulu : en début et en fin d’épisode, l’héroïne fait un petit commentaire en voix off, qui suscite l’introspection. « 

Connectées à notre monde et à nos aspirations profondes, compagnes du quotidien, les séries sont donc bien plus qu’un simple divertissement. Il suffit d’en parler avec d’autres amateurs pour s’en rendre compte. D’ailleurs, à ce propos, vous regardez quoi comme série pour le moment ?

Un risque d’addiction ?

Au-delà de l’attachement aux personnages, les séries multiplient les techniques pour fidéliser le spectateur. A une époque où il est possible de passer des nuits blanches à visionner des épisodes, cela représente-t-il un risque pour la santé? Rendez-vous sur https://plusmagazine.levif.be/series pour en savoir plus.

Contenu partenaire