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Quand la famille se déchire autour du malade

Lorsqu’un membre de la famille arrive en fin de vie, il n’est pas rare qu’un conflit éclate. Comment le prévenir en amont ou désamorcer une situation potentiellement explosive?

« De tout cet épisode, je crois, l’image qui me restera est celle de ma mère, toute racrapotée au fond de son lit d’hôpital, alors que ma soeur et moi venions de nous hurler dessus dans le couloir », se remémore Nathalie (prénom d’emprunt), dont nous publions le témoignage plus loin. Si la fin de vie d’un proche est une étape toujours difficile à vivre, elle se complique parfois de conflits familiaux. Parce qu’il faut prendre des décisions douloureuses, et qu’il y a des désaccords. Parce que de vieilles rancoeurs, longtemps tues, finissent par refaire surface.

Des situations pas si rares, à en croire une étude en cours de finalisation des Mutualités chrétiennes (MC), réalisée en ligne auprès de 3.000 de leurs affiliés flamands. Les conflits familiaux autour d’un proche en fin de vie concerneraient ainsi jusqu’à 22% des familles. Un chiffre potentiellement surestimé, mais qui laisse entendre une fréquence assez élevée. Dans 2/3 des cas, le conflit se cristallise avant tout autour de questions financières et d’héritage. Celles-ci s’entremêlent parfois avec l’autre principale pierre d’achoppement: les dilemmes liés aux soins, tels que les options de traitement, la répartition des tâches, le recours aux soins palliatifs ou à l’euthanasie. Ces dissensions peuvent laisser de vilaines cicatrices au sein de la famille, bien après le décès. Les sentiments de tristesse, de colère, de stress, de solitude voire d’insécurité sont fréquents et peuvent perdurer très longtemps. Sans oublier la culpabilité de s’être déchirés à proximité d’un être aimé... et mourant.

La planification anticipée des soins permet parfois d’éviter le conflit.

Afin d’y voir plus clair sur l’origine de ces conflits familiaux, les Mutualités chrétiennes ont réalisé une autre étude, qualitative cette fois, en menant des entretiens auprès d’une trentaine d’affiliés ayant vécu de tels épisodes douloureux. « Plusieurs éléments reviennent presque toujours, détaille Michèle Morel, du service d’études des MC. On remarque que, généralement, il existait déjà des tensions familiales qui remontent à la jeunesse de certains membres de la famille. On parle ici de sentiments de manque d’amour, de reconnaissance, de jalousie, d’écoute ou de transparence... Bien souvent, un membre de famille avait aussi un caractère très dominant, presque dictatorial, ou des problèmes psychiatriques. » Une tension potentiellement explosive, impossible à apaiser dans la précipitation, qui n’attend qu’une étincelle pour éclater.

Prévenir les conflits

  • Pensez à une planification anticipée des soins. Ce processus permet à tout un chacun d’exprimer à l’avance ses souhaits sur la mise en place – ou non – des soins en cas d’accident ou de maladie. En cas d’impossibilité de s’exprimer, ces déclarations prévalent sur l’avis de la famille et clarifient les volontés du parent. Parlez-en à votre médecin et à vos proches.
  • Ouvrez le dialogue familial, notamment sur le plan financier, dès qu’un diagnostic sévère est posé chez un membre de la famille: n’attendez pas qu’une maladie en arrive au stade final pour aborder les sujets épineux.
  • Vous êtes représentant/détenteur d’un mandat extra-judiciaire? Même si le pouvoir de décision est entre vos mains, impliquez les autres membres de la famille dans les choix et aux décisions concernant le malade. Continuez à les informer malgré vos éventuels différends.

L’etincelle qui met le feu

Le détonateur consiste souvent en un manque de communication – en tout cas perçu comme tel – entre les membres de la famille, autour des questions relatives à la fin de vie. « La fin de vie, c’est un tabou qu’on ose encore trop peu aborder », ajoute Michèle Morel. Pour peu que les souhaits du malade ne soient pas clairs et que celui-ci ne puisse plus s’exprimer sur la question, chacun émet son avis, le dialogue s’avère assez vite compliqué et peut facilement s’envenimer. Encore plus quand un membre de la famille est l’interlocuteur privilégié des prestataires de soin de santé et/ou possède un pouvoir décisionnel légal. In fine, c’est son avis qui importe. Le conflit peut éclater et se matérialiser de bien des façons, de l’évitement à l’esclandre, en allant jusqu’à l’exclusion d’un membre de la famille, qui n’est plus tenu au courant de l’évolution de la maladie ou des choix thérapeutiques. Avec, parfois, l’impossibilité pour ce dernier de dire adieu à son parent.

« Et pourtant, on remarque que malgré ces tensions, il existe un grand désir d’harmonie et de réconciliation, une envie de s’accorder sur ce qu’il y a de mieux pour le malade. En d’autres termes, il y a un contraste entre l’incapacité à s’entendre et le désir de le faire. » Mais une famille n’a pas toujours en elle-même les outils pour désamorcer une situation compliquée. Et il n’existe pas de recette toute faite à appliquer. D’où la nécessité de pouvoir faire appel à un soutien extérieur.

Médiation: « Le premier pas est le plus important »

Chaque famille a son histoire et chaque médiateur a sa façon de travailler pour tenter d’apaiser un conflit. « Mais on peut tout de même dire une chose: lorsqu’on manifeste sa volonté d’aller vers l’autre, le plus important est déjà fait », explique Désirée Seghers, médiatrice chez ConnFinity. Tout l’art de la médiation consistera à permettre la discussion, en créant un climat de confiance dans lequel les différentes parties pourront s’exprimer. « Il faut garder à l’esprit que tout le monde a une bonne raison d’avoir son vécu, son ressenti, et une bonne raison d’avoir des réticences à en parler. » Une médiation prend souvent du temps: il est important de ne pas faire appel à un médiateur trop tard, quand la tension est à son comble!

Plus d’infos sur l’asbl ConnFinity: plusmagazine.levif.be/mediation ou www.connfinity.be. (L’asbl dispose de médiateurs francophones).

Or, bien souvent, en cas de conflit, les répondants de l’étude ont signalé qu’il était compliqué de trouver un soutien efficace auprès des prestataires de soins (généralistes, assistants sociaux, infirmiers...). Ceux-ci se montrent souvent à l’écoute, mais sans pour autant donner de pistes de solution. Que faire, dès lors, dans cet épineux cas de figure? Actuellement, il reste la possibilité de faire appel à des services de médiation professionnels, peu connus du grand public. Il existe ainsi des services de médiation familiale dans de plus en plus de CPAS. En Flandre, et bientôt en Belgique francophone, citons aussi l’asbl ConnFinity, spécifiquement spécialisée dans la médiation des conflits familiaux en fin de vie. À noter que, dans ce dernier cas de figure, cette médiation n’étant à l’heure actuelle pas reconnue comme rentrant dans le cadre d’un traitement palliatif, les séances ont un coût et aucun remboursement n’est prévu.

Faute de structures d’aide facilement accessible, le mieux est encore de prévenir les risques de conflit en amont. Et s’il est trop tard pour le faire, de garder à l’esprit que le plus important est de parvenir à s’entendre, ne serait-ce qu’un temps, afin de permettre au proche malade de partir en paix. Sous peine de le regretter très longtemps. « Le risque de deuil compliqué ou pathologique est alors plus élevé », souligne Michèle Morel.

« Nous ne nous sommes plus jamais revues »

« Je suis en froid avec ma soeur depuis très longtemps, explique Nathalie (prénom d’emprunt), 68 ans. Elle s’est toujours montrée peu redevable avec mes parents, alors que ceux-ci l’ont sortie de la mouise plusieurs fois. Après le décès de papa, quand maman a commencé à avoir de soucis de santé, c’est mon frère et moi qui nous nous sommes occupés d’elle. Comme elle souffrait d’Alzheimer, nous l’avons placée en institution et gérions ses biens. Vers la fin, j’ai voulu bien faire, j’ai décidé de contacter ma soeur pour l’avertir de la situation. Elle a débarqué pour voir maman, avant de déclarer que nous n’avions pas fait ce qu’il fallait, en nous reprochant de ne pas l’avoir prévenue plus tôt, alors qu’elle-même ne prenait jamais de nouvelles. Elle est allée jusqu’à dire que nous profitions de la situation pour dilapider l’héritage et que ça n’allait pas se passer comme ça. C’est évidemment faux. La tension est montée jusqu’à éclater en plein hôpital. Je ne crois pas que maman ait bien compris nos cris, mais j’ai l’impression d’avoir vu un éclat effrayé dans ses yeux. Elle est entrée en agonie peu après, et ce regard me pèse toujours un peu sur la conscience. Quant à ma soeur, elle n’est pas venue à l’enterrement et je ne l’ai plus jamais revue. »

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