© Frédéric Raevens

Philippe Raxhon : « Napoléon, petit ‘métèque’ brillant »

Philippe Raxhon met une touche de critique historique partout: dans ses thrillers, dans son enseignement universitaire, dans sa passion pour Napoléon, un p’tit gars parti de rien mais qui voulait rouvrir le procès de Galilée.

Historien atypique, Philippe Raxhon l’est assurément. Décontracté. Le sourire aux lèvres noyé dans une barbe poivre et sel. Et sac à dos sur l’épaule à la manière des étudiants qu’il fréquente. Il nous accueille au coeur de  » Napoléon au-delà du mythe « , l’exposition installée au sein de la  » cathédrale  » ferroviaire de Liège-Guillemins. Une manifestation dont il est le commissaire scientifique. Mais le sieur Raxhon n’a pas que Napoléon en tête. Ce professeur à l’université de Liège, spécialisé dans le processus de mémoire et l’histoire du mouvement wallon entre autres, est aussi l’auteur de thrillers un brin philosophiques et toujours imprégnés de critique historique.

Napoléon ne voulait pas rester sur son trône jouissant seulement de son pouvoir

L’intérêt que vous portez à Napoléon ne viendrait-il pas d’une statuette qui trônait chez un ouvrier d’Ougrée?

C’est en partie vrai. J’ai développé assez jeune un goût prononcé pour l’histoire et j’avoue que j’étais particulièrement intrigué par une statuette de Napoléon qui se pavanait chez un membre de ma famille. Mais que diable faisait-elle là, dans cette maison du bassin liégeois? J’ai compris que ce personnage n’avait pas séduit que les milieux militaires ou les écrivains, mais aussi que son spectre de sympathie touchait les classes populaires. Pourquoi? Car Napoléon avait fait tomber les grands de ce monde et cela ramenait chacun à sa propre vision de l’histoire.

Une des raisons pour lesquelles ce personnage fascine toujours autant...

Absolument. Est-ce que Napoléon est le continuateur ou le fossoyeur de la Révolution? Les historiens aiment en débattre. Mais pour tous, il y a aussi l’histoire d’un homme qui s’est élevé tout seul, qui est devenu le maître d’un pays et puis de toute une Europe.

Si Napoléon hypnotise toujours, c’est parce que c’est l’histoire d’un self-made-man. Du bas de l’échelle vers les sommets. C’est terriblement moderne ça, non?

Je le crois aussi. J’ajouterais qu’il y a tous les éléments de la tragédie. C’est un scénario qui aurait pu être écrit pour le cinéma. Les écrivains romantiques ne s’y sont pas trompés. Ils étaient fascinés par l’ascension et la chute du personnage. Enfin, une chute qui ne l’est pas vraiment, car à Sainte-Hélène, sa dernière victoire, c’est le  » Mémorial « . Il devient alors martyr. Même Châteaubriand, qui était un de ses adversaires, le reconnaît. Il ne peut que s’incliner devant cette destinée hors-norme.

Rien, absolument rien, ne le prédestinait à devenir empereur. Et pourtant...

Il faut imaginer ce gars né à Ajaccio. Son père est un petit notable qui se rallie de justesse à la France afin d’obtenir un petit titre de noblesse et une... bourse d’études pour son fils. Le petit Napoléon Bonaparte se retrouve ainsi dans le nord de la France. Il est tout seul quand il arrive à l’école et ne parle pas bien le français. C’est un métèque au milieu d’enfants qui peuvent se prévaloir d’avoir une vraie famille noble depuis des lustres. Mais le petit métèque va être brillant en mathématiques, en physique. Il va commencer sa carrière militaire dans l’artillerie et gravir les échelons. C’est un travailleur perpétuel qui mange très peu, dort très peu, lit beaucoup. Il est extrêmement actif: général de brigade à 24 ans, Premier consul à 30, empereur à 35 ans.

Le personnage reste toujours aussi controversé 200 ans après son décès. Tyran ou génie?

Les points de vue sont très tranchés avec lui. Certains disent que ses contradictions nourrissent aussi le mythe. Napoléon diffuse et véhicule les principes de la Révolution. Il est à l’origine de la codification du droit, ce qui est un épisode extrêmement important qui nous concerne toujours. Il apparaît aussi comme l’incarnation de l’autoritarisme. Il gouverne seul et avec personnes choisies pour des raisons d’efficacité. Il ne pensait pas être un tyran, selon ses dires. Mais il ne voulait surtout pas rester assis sur son trône, jouissant seulement de son pouvoir.

Ne voit-on plus Napoléon qu’avec notre oeil de citoyen de 2021?

C’est certain, la présence du passé signifie aussi explorer des épisodes qui ont des résonances polémiques aujourd’hui. On le voit bien avec la question de l’esclavage ou de la colonisation. Le risque est d’analyser ce passé avec comme seul regard celui de nos propres valeurs. Un exemple? Il existait à la Révolution française une Société des amis des Nègres. Ceux qui composaient cette société étaient anti-esclavagistes. Ils voulaient défendre le droit des Noirs opprimés dans les colonies.

Le mot  » nègre  » choque aujourd’hui. Si on pratiquait la censure à ce sujet et au regard de nos convictions, il ne faudrait plus évoquer cette Société. Ce qui serait paradoxal. Notre devoir d’historien est donc de re-contextualiser ce qui a été produit dans le passé. Il est trop souvent omis au profit du moment présent, d’où l’importance de la critique historique. Mais j’avoue que c’est bien plus difficile de pratiquer cette critique qu’il y a vingt ans avec le règne d’internet, des réseaux sociaux et une certaine vague de l’irrationnel.

Mais vous n’êtes pas qu’historien, vous êtes aussi auteur de thrillers dans lesquels, comme par hasard, on y retrouve aussi la trace d’un certain Napoléon...

Tout est connecté finalement. Il y a effectivement la présence de Napoléon au travers d’un épisode peu connu. L’empereur met, en 1810, des hommes et du matériel pour faire rapatrier de Rome à Paris les archives secrètes du pape. Des convois ont traversé les Alpes à cet effet, une épopée pour l’époque! L’un des objectifs était de rassembler les pièces du procès Galilée pour les traduire en français et dénoncer la superstition. C’est assez révélateur de la personnalité de Napoléon qui avait un goût prononcé pour les sciences et qui était rationaliste.

Dans vos ouvrages, vos héros principaux sont aussi historiens. Ils voyagent au fond des temps comme dans les bas-fonds de notre présent pour démêler le faux du vrai. C’est autobiographique?

Disons qu’il y a des airs de thriller dans chaque congrès universitaire (rires). J’ai choisi la voie du thriller, car j’en lis beaucoup tout simplement. Mes personnages utilisent la procédure de la critique historique pour résoudre des énigmes. Je ne fais pas d’essais historiques, mais de vrais thrillers avec les aléas du genre, dont le suspense.

Mon héros François Lapierre est assez différent de moi même s’il utilise volontiers son esprit critique. Alors, bien entendu, il y a de moi dans ces livres. Mes personnages sont volontairement positifs et jouisseurs, ce qui tranche avec une certaine tradition noire du genre. Les plaisirs de la vie sont des outils dans leur réflexion.

Il y a une présence très grande de la gastronomie, du bon vivre. C’est quand ils mangent ensemble dans des restaurants qu’ils font des trouvailles. Je m’inscris dans une tradition rabelaisienne. L’austérité et la réflexion ne forment pas un couple systématique. L’allégresse et la joie nourrissent aussi cette réflexion.

Philppe Raxhon

  • 1965 Naissance à Ougrée (Liège)
  • 1984-1994 Plusieurs ouvrages de fiction, pièce de théâtre
  • 1996 Membre fondateur de l’asbl Territoires de la mémoire
  • De 1996 à nos jours Plusieurs ouvrages historiques, scénariste pour la télé, conférencier
  • 1998 Professeur à l’Université de Liège
  • 2000-2001 Expert de la commission parlementaire Patrice Lumumba
  • 2018  » La Source S « , son premier thriller
  • 2021 Commissaire de l’exposition Napoléon. Sortie en poche de  » La Solution Thalassa  » (City Editions)

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