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Partira, partira pas... Voyager après le corona

Ann Heylens Journaliste

Le coronavirus a mis sur pause l’un des secteurs les plus profitables qui soient, le tourisme. Cette parenthèse modifiera-t-elle notre façon de voyager ou nous donnera-t-elle envie de revenir à la normale le plus vite possible ?

Lorsque, l’année passée, les Vénitiens, les Barcelonais, etc. ont protesté contre le tourisme de masse, qui aurait pu prédire qu’un jour les rues de Venise ou de Barcelone seraient désertes... Quel monde voulons-nous après la crise, lorsque nous nous sentirons à nouveau en sécurité ? Retournerons-nous aux mêmes endroits ? Ou les mentalités auront-elles changé pour de bon ?

Dominique Vanneste, professeur de tourisme à la KULeuven, pense que rien ne sera plus tout à fait comme avant. Voici quatre ans, cette université a mené une vaste étude sur les conséquences des attentats à Bruxelles. Il en est ressorti... que nous avons la mémoire courte. En général, après une crise, la vie quotidienne redevient ce qu’elle était au bout de six à douze mois.

 » Mais ce qui caractérise un attentat ou un tsunami, précise Dominique Vanneste, c’est qu’il est limité dans le temps et dans l’espace. La pandémie de Covid-19, en revanche, est totalement inédite, tant par sa portée que par sa gravité ou sa durée. Jamais nous n’avions vécu une crise aussi durable et mondiale. Elle devrait nous amener à réfléchir de manière plus approfondie, avec l’espoir de ne jamais retourner au tourisme d’avant, même avec un vaccin ou un remède efficace. Car le milieu académique en est convaincu depuis longtemps : les touristes doivent faire leur mue.  »

On ne peut nier les problèmes liés au tourisme de masse, à l’absence de développement durable dans le secteur, aux excès de courts trajets aériens... Or, cette crise nous offre l’occasion d’un revirement. D’ailleurs, depuis les attentats, certaines choses sont maintenant considérées comme tout à fait normales : les mesures de sécurité strictes dans les aéroports, par exemple. Avec le coronavirus, nous ne savons absolument pas quand viendra le retour à la normale.

Des contraintes...

La gestion des flux touristiques est sans doute là pour durer. Car un des gros problèmes du secteur était le tourisme de masse.  » Il sera intéressant de voir ce que vont décider les commune du littoral belge, assure le Pr Vanneste. Les bourgmestres des communes côtières sont obligés de réfléchir au moyen de gérer les afflux de visiteurs. Ils ne sont pas forcément d’accord entre eux, mais tous doivent discuter et agir. Je pense que ce type de gestion touristique est un élément primordial, appelé à durer.  » Et surtout : cela va devenir acceptable aux yeux des touristes. Imaginez un instant qu’on ait voulu, en temps normal, réserver l’accès à la plage avec une limite de temps. Tout le monde aurait crié : c’est impossible, inacceptable dans l’espace public ! Limiter l’accès à Bruges ? Impensable ! Aujourd’hui, on trouve pourtant normal de faire la file devant les magasins. C’est un fait : nos attitudes changent, nous apprenons la patience et, petit à petit, on voit les décisions en la matière devenir de plus en plus inventives, y compris pour gérer l’accès aux sites et aux musées. Et le développement d’une politique de gestion du tourisme – née avec la lutter contre le coronavirus – devient acceptable.

Le secteur du tourisme n’a encore jamais vécu une crise aussi durable et mondiale !

Autre aspect intéressant à observer à la côte belge : la priorité donnée pour la première fois aux habitants. Dans le débat sur les seconds résidents, il a été décidé avant tout de donner la priorité aux habitants de Knokke, La Panne, etc. Ici encore, on doit cette avancée au Covid-19. Qui passera en premier ? Il apparaît désormais que si les résidents eux-mêmes sont heureux, les stations côtières seront d’autant plus agréables aux yeux des touristes. Jusqu’il y a peu, on avait encore tendance à répéter, façon mantra : « Hourra, plus de touristes égale plus de revenus ! « .

Des séjours de proximité

Selon Dominique Vanneste, une autre tendance devrait s’inscrire durablement : les séjours de proximité.  » Cet été, nous devrons passer nos vacances dans un rayon proche, en Belgique ou en Europe. Or, depuis quelques années, il était bien vu d’aller loin, très loin,  » souligne-t-elle. Surtout chez les jeunes : il y avait une véritable pression pour voyager autour du globe. Passer des vacances près de chez soi était considéré comme banal et inintéressant. D’autant que s’envoler pour l’autre bout de la planète ne coûtait pas forcément très cher. En termes d’égalité sociale, c’est évidemment très bien mais, à la longue, on a fini par faire des voyages lointains pour de mauvaises raisons, presque comme si on cochait un maximum de cases dans une liste de destinations.

Partira, partira pas... Voyager après le corona
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 » Je pense qu’il faudra un certain temps avant que la confiance revienne au point de partir loin en avion. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, on verra des épidémies de Covid-19 se produire ici comme ailleurs. Et, par la suite, on se rendra compte qu’on risque de tomber malade loin de chez soi, qu’on peut rester bloqué à l’étranger, où les infrastructures médicales ne sont pas forcément suffisantes. « 

Certes, on peut aussi tomber malade en Europe, mais le rapatriement est plus rapide. En tout cas, ces  » leçons  » nous donneront l’envie de moins s’éloigner. Les destinations lointaines en souffriront. A l’avenir, nous n’aurons plus honte de passer nos vacances dans les Ardennes. Cette tendance qui existait déjà pour des raisons climatiques est susceptible d’imprégner des couches plus larges de la population.

Des tarifs en hausse ?

 » La crise du coronavirus pourrait bénéficier aux tour-opérateurs, estime le Pr Vanneste. Pour la bonne raison qu’ils offrent des garanties si un problème survient. En cas de crise ou de catastrophe, ils rapatrient leurs clients, alors que ceux qui voyagent individuellement sont livrés à eux-mêmes.

D’un autre côté, certains tour-opérateurs ne survivront pas à cette crise. La compétitivité risque d’en prendre un coup, avec des hausses de tarifs à la clé. Peut-être pas dans un premier temps, parce qu’il faudra se montrer attractif pour séduire à nouveaux les clients. Mais à moyen terme. Ce n’est sans doute pas une mauvaise chose, car on peut se demander pourquoi les prix sont si bas... Les employés du secteur touristique doivent se contenter de contrats de travail médiocres. Mais toute la question est de savoir si les consommateurs voudront – et pourront – payer plus...  »

Et les destinations elles-mêmes ? Veut-on encore d’un tourisme de masse ? Les avis ont tendance à diverger. Certains trouvent que le monde se porte mieux sans touristes. D’autres les supplient de revenir, car ils représentent une indispensable source de revenus.  » Je pense qu’on se trompe dans un cas comme dans l’autre, tranche Dominique Vanneste. Sans nécessairement revenir au monde d’hier, il n’est pas souhaitable de voir les villes et les stations balnéaires rester complètement désertes. Je suis convaincue que dans la plupart des endroits on parviendra à un compromis pour un meilleur tourisme. Alors une hausse des tarifs, oui, mais assortie d’une hausse de qualité. Il est bien sûr extrêmement regrettable de constater l’ampleur des dégâts financiers touchant de plein fouet ceux qui ont investi dans une activité touristique. Mais pour le secteur en général, il y a une marge d’amélioration. Le vaccin se fera peut-être attendre longtemps... si longtemps que, d’ici là, nous aurons tous changé d’attitude.  »

À l’avenir, nous n’aurons plus honte de dire que nous passons nos grandes vacances dans les ardennes ou à la côte.

De nouvelles tendances ?

Mais l’industrie touristique est-elle prête ?  » Pour nous, il est crucial qu’on trouve un vaccin qui permettra de recommencer à voyager comme avant, affirme sans détour Pierre Fivet, président de l’ABTO, l’association belge des tour-opérateurs. Cela dit, on voyait déjà se dessiner une série de tendances qui ne vont faire que s’amplifier. Les énormes complexes hôteliers et les packages all-inclusive ont atteint leur maximum. La tendance était déjà aux resorts de plus petite taille et aux découvertes à l’écart de la foule. On allait déjà dans ce sens avant le coronavirus. « 

A en croire Pierre Fivet, les séjours de proximité n’ont rien de neuf.  » On aurait tort de croire que tout le monde prend à tout bout de champ l’avion sur de longues distances. En réalité, avant la crise, les 75% des touristes passaient déjà leurs vacances en Europe ou dans leur pays. Seul un faible pourcentage voyageait hors d’Europe. Cette tendance pourrait se renforcer. Les gens joueront de plus en plus la carte de la sécurité et les tour-opérateurs sortiront renforcés de cette crise. Mais voyager est devenu un besoin fondamental et on ne le fera pas disparaître d’un simple coup de baguette magique.  »

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