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Mode d’emploi pour survivre à l’actu sans perdre le moral

Dire que l’actualité n’est pas folichonne est un euphémisme : la plupart des informations développées dans les médias sont carrément déprimantes. Comment vivre avec, sans avoir la gorge nouée ni le moral dans les chaussettes ?

Un soir comme les autres. 19h30, à la télévision, le JT déroule sa litanie de titres, sur fond de musique baraquée et anxiogène. Au programme ? Le réchauffement climatique, des travailleurs ou pensionnés qui peinent à joindre les deux bouts, les turpitudes d’un homme politique véreux, le procès d’un ancien djihadiste, la montée de l’antisémitisme... Il faudra attendre vingt minutes pour entendre les premières nouvelles positives, juste avant les pages sportives et le clap de fin. Aujourd’hui, suivre l’actu équivaut souvent à se retrouver avec une angoisse sourde au fond de la gorge et l’envie de s’enfermer dans une coquille. A se demander si les médias ne favorisent pas volontairement les mauvaises nouvelles !

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Une réalité incomplète

Et si c’était, au moins en partie, le cas ? Chaque jour, l’actualité est émaillée de milliers d’événements, anecdotiques ou capitaux. Une matière énorme, colossale, qu’il est impossible de traiter de manière exhaustive. Chaque média doit donc poser des choix : certaines informations seront développées dans les colonnes ou à l’antenne, tandis que d’autres seront délaissées.  » En ce sens, le journalisme constitue un filtre de la réalité, il ne donne qu’une image partielle du monde, explique Ulrik Haagerup, journaliste danois et fondateur du Constructive Institute, qui milite pour un journalisme plus constructif. Le problème est que ce filtre est le plus souvent négatif : il donne une image plus pessimiste du monde qu’il ne l’est réellement. Il y a des nouvelles très réjouissantes chaque jour, mais ce ne sont pas elles qui ont la priorité dans les médias d’actualité.  » Une illustration ? Si un avion se crashe, il fera partout la Une. L’information est vraie, mais elle occulte le fait que chaque jour, 102.000 avions décollent et se posent sans aucun problème.  » Vous ne lirez presque nulle part qu’il n’y a jamais eu aussi peu de conflits armés dans le monde, ni que l’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée, tout comme le niveau d’éducation global... C’est pourtant le cas ! « 

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Mais pourquoi les médias mettent-ils si souvent en avant les nouvelles négatives ? Pour Ulrik Haagerup, il n’y pas de réelle raison objective, c’est davantage du registre de la tradition. C’est à la fois ce que le public s’attend à trouver dans un média et ce que désirent faire les journalistes.  » Quand j’ai commencé mes études de journalisme, lors du premier cours, la première phrase de mon professeur a été  » A good story is a bad story « .  » Sous-entendu : une belle histoire n’est pas nécessairement intéressante pour le journaliste d’actualité, au contraire d’une histoire révoltante ou inquiétante.  » Pour beaucoup de journalistes, faire un article positif sur une personne ou une thématique revient à se mettre en position de publicitaire. Dans leur tête, leur boulot consiste avant tout à être critique, à dénicher ou à dénoncer des manquements.  » Ils font ainsi leurs gros titres sur les politiciens corrompus – oui, il y en a et non, il ne faut bien sûr pas le taire – mais font pratiquement abstraction de tous ceux qui font consciencieusement leur travail.  » Je pense que les journalistes sont d’ailleurs en grande partie responsables du désamour de la population envers leur profession et la classe politique. « 

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Une caisse de résonance

Cette vision  » pessimiste  » de l’actualité n’a pourtant rien de neuf : les scandales et les mauvaises nouvelles ont toujours fait les gros titres. C’est vrai. Mais entretemps, de fameuses boîtes de résonance sont apparues, relayant l’info ad nauseam : les sites/chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux (voir encadré).  » Avec les réseaux sociaux, les journalistes ont perdu le monopole de l’information, expose Ulrik Haagerup. Nous sommes bombardés d’infos sans arrêt, qui émanent de tout côté. Tout individu peut désormais être une source d’information mondiale. En cas d’attentat, par exemple, n’importe qui peut expliquer ce qu’il voit, poster des photos, des vidéos...  » Pour ne pas être noyés dans la masse, les médias  » live  » essayent donc par tous les moyens de capter l’attention. De quoi créer un matraquage permanent, à coups d’éditions spéciales, de vidéos passées en boucle ou de reporters... n’ayant finalement pas grand-chose à dire.  » Or, cette dramatisation fait augmenter de façon exagérée l’impact émotionnel que l’actualité a sur nous, et notamment l’anxiété « , estime Pierre Philippot, professeur de psychologie clinique à l’Université de Louvain et responsable académique du centre de consultation spécialisé dans les troubles émotionnels.

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La machine à infos ne devant jamais s’arrêter, elle fait aussi feu de tout bois, en allant jusqu’à monter en épingle des faits divers qui, auparavant, ne se retrouvaient que dans les pages locales ou ne parvenaient même pas jusqu’à nous, puisque ayant eu lieu l’autre bout du monde ! La rubrique des  » chiens écrasés  » s’est non seulement étoffée ces dernières années, mais elle s’est aussi internationalisée. De quoi renforcer l’impression d’une société en pleine déliquescence, où tout part à vau-l’eau. Un comble car, en parallèle, les chiffres belges montrent une baisse régulière de la criminalité (-15% en dix ans, à nuancer). Mieux vaut garder tout cela à l’esprit au moment d’écouter le JT ! Le monde irait finalement moins mal qu’on ne le voit/l’entend...

Reste que si certains médias  » amplifient  » et exposent à outrance les actualités inquiétantes, ces dernières existent bel et bien. Et certaines, même sans dramatisation excessive, nous touchent particulièrement.  » L’actualité peut avoir un impact vraiment important sur notre humeur et nos émotions, confirme Pierre Philippot. Quand quelque chose nous touche dans l’actualité, c’est que nous présumons qu’il existe un rapport entre ce qu’il se passe et nos valeurs, nos objectifs, notre conception de certaines fonctions...  » En d’autres termes, si une nouvelle nous ébranle ou nous émeut, c’est qu’elle entre en résonance avec quelque chose de très personnel et important à nos yeux, comme des souvenirs ou ce que à quoi nous donnons beaucoup d’importance : la probité des hommes politiques, le respect de la vie, humaine ou animale, l’égalité des sexes...

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Comprendre pour agir

 » Si une information nous perturbe, il peut être utile de prendre conscience de cette émotion, de ce qu’elle mobilise en nous « , poursuit le psychologue. De quoi se positionner par rapport au problème et tenter d’y faire face plutôt que de le subir, en devenant acteur plutôt que spectateur impuissant. L’action est en effet l’un des meilleurs dérivatifs à l’anxiété ou aux idées noires dues à ce qui se passe autour de nous.  » Pendant la Seconde guerre mondiale, on a remarqué que dans la Royal Air Force, les personnes qui avaient le plus de problèmes de santé liés au stress n’étaient pas les équipages des bombardiers qui risquaient leur vie, mais les femmes qui étaient en contact radio avec ceux-ci. Elles assistaient souvent impuissantes aux derniers moments des appareils en détresse. Les problèmes qui nous impactent le plus sont souvent ceux sur lesquels on a l’impression de n’avoir aucune prise. « 

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Bien sûr, il serait par exemple illusoire de vouloir régler le réchauffement climatique à soi tout seul, mais le simple fait de s’investir dans un projet à l’échelle de son quartier, en créant du lien social, suffirait à diminuer le niveau d’angoisse ou de découragement. Il existe tout de même quantité de problèmes auxquels nous ne pouvons rien faire...  » En y réfléchissant, pas vraiment, rétorque Pierre Philippot. Il y a très peu de choses sur lesquels nous n’avons aucun levier d’action. La guerre au Yémen semble très lointaine ? On peut s’investir ici, en faisant pression sur la FN, qui vend des armes à l’Arabie... Quand j’étais jeune, on disait  » think globally, act locally « , c’est toujours valable

6 choses à garder à l’esprit

1. Les médias d’actualité n’offrent qu’une vision partielle de la réalité, souvent négative. Il existe quantité de raisons de se réjouir, chaque jour.

2. Favoriser les médias qui prennent le temps du recul et de l’analyse, plutôt que les médias directs, qui donnent une vision polarisée de l’actu et augment l’impact émotionnel négatif. En cas de catastrophe en cours, par exemple, on évitera les  » live  » qui peuvent donner des informations au compte-goutte, parfois mal vérifiées. Inutilement stressant !

3. Eviter de commenter l’actualité  » chaude  » via les réseaux sociaux, ils fonctionnent en vases clos, favorisent les réactions épidermiques et peuvent vous conforter dans vos craintes.

4. La titraille des informations en ligne ou des  » Unes  » peut être inquiétante, car elle a pour vocation d’  » accrocher  » le lecteur. Elle est insuffisante pour se faire une idée claire sur une thématique d’actualité. L’actualité de qualité n’a pas vocation à être toujours gratuite, il faut parfois se résoudre à payer pour s’informer correctement.

5. L’activité vaut toujours mieux que la passivité. S’investir, même à petite échelle, permet d’éviter l’anxiété et le sentiment d’impuissance. A noter que s’investir seul est presque toujours voué à l’échec : l’action efficace passe par la création de lien social (rejoindre/créer une association, un comité de quartier...).

6. Il est bon de parfois se recentrer sur soi, en laissant de côté l’agitation incessante de l’actualité pour se concentrer sur le moment présent, les petits bonheurs du jour. A ce niveau, les ateliers de pleine conscience peuvent être d’une aide précieuse.

Ici et maintenant

Être toujours dans la réaction face à l’actualité peut toutefois s’avérer rapidement épuisant. D’où l’importance, aussi, de savoir se poser pour quitter temporairement le brouhaha de l’actualité omniprésente. A ce niveau, la  » pleine conscience « , inspirée du bouddhisme, permet de se recentrer sur soi et peut être une alliée précieuse.  » Elle permet de prendre conscience de la valeur ou de l’objectif lié à nos actions quotidiennes et de vivre l’instant, sans continuellement se projeter dans les heures ou les minutes qui suivent. Elle aide aussi à  » défusionner  » l’actualité et les réactions qui en découlent, de quoi exercer un scepticisme sain sur nos impressions et nos pensées premières.  » Une respiration bienvenue, dans un monde qui tourne de plus en plus rapidement !

Le cercle vicieux des réseaux sociaux

Si les médias  » traditionnels  » filtrent la réalité, cet effet est décuplé sur les réseaux sociaux : les articles de presse que vous voyez sur Facebook, par exemple, sont déterminés par des algorithmes et vos contacts. Les algorithmes vont grosso modo faire remonter dans votre fil d’actualité des articles qui vont dans le même sens que ceux que vous avez lu précédemment. Si vous avez pour habitude de cliquer sur des nouvelles anxiogènes ou déprimantes, vous en verrez apparaître d’autres du même acabit !  » Les utilisateurs ont aussi tendance à rester dans des niches, des groupes qui correspondent à leur point de vue et à leur vision du monde : en s’informant par ce biais, ils vont s’auto-conforter dans leurs opinions « , ajoute Pierre Philippot. Une  » faille  » qui semble d’ailleurs avoir été employée pour influencer certaines élections, au profit de partis extrêmes, en entretenant un sentiment de peur ou de révolte.

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À noter aussi que la plupart des informations partagées sur les réseaux sociaux le sont sans avoir été lues. Le journal satirique américain The Science Post l’a prouvé en 2016, en lançant un faux article, limité à un titre accrocheur ( » 70% des utilisateurs Facebook lisent seulement les titres des articles scientifiques avant de les commenter « ) et à un texte bidon en pseudo latin. Résultat des courses : à l’époque, l’article a été partagé et commenté par 46.000 utilisateurs, qui pour la plupart n’ont pas été plus loin que le titre. Or, une titraille est par essence réductrice, peu nuancée, et cherche à  » accrocher  » le lecteur. Se limiter à lire les premières lignes d’un article augmente le risque d’une interprétation dramatisée ou fausse de l’actualité. Problème connexe : de plus en plus d’articles en ligne sont payants et le public continue à rechigner à mettre la main au porte-feuille pour une information de qualité, se contentant de partager les articles tronqués ou des résumés de seconde main...

Enfin, la possibilité de commenter les articles via les réseaux sociaux n’aurait pas que des avantages.  » On remarque qu’il s’agit d’un amplificateur extrêmement important d’affects négatifs, analyse le psychologue. Les avis exprimés sous les articles d’actualité sont rarement positifs, très polarisés, et chacun y présente ses opinions comme s’il s’agissait de la réalité. Il y a aussi un niveau incroyable de haine, d’agressivité : autant d’aspects qui font augmenter l’anxiété, encore plus que l’actualité proprement dite. On nous présentait les réseaux sociaux comme un formidable outil de démocratie et de liberté de parole, mais c’est une grande désillusion : ils favorisent davantage les réactions épidermiques que la réflexion ! « 

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