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Maniaques de la propreté

Faire les poussières selon un rituel précis, passer un torchon humide avant l’arrivée de la femme de ménage, nettoyer systématiquement les poignées de porte après chaque visite... Si certaines petites manies sont normales, elles peuvent se transformer en véritable obsession de la propreté !

 » Quand je me suis installée, j’ai repris les habitudes de nettoyage de ma mère, raconte Anna. Lundi, les poussières. Mardi, le nettoyage à l’eau. Mercredi, la lessive. Ces rituels n’avaient rien d’anormal à mes yeux. Chaque jour, après le travail, je me lançais dans une nouvelle tâche ménagère : laver les carreaux, nettoyer les rails des tentures... Je passais aussi mes samedis à nettoyer ! Cela me semblait normal, jusqu’au jour où j’ai emménagé avec mon conjoint qui trouvait mes habitudes pour le moins saugrenues « , raconte Anna.

Marianne  » Cela m’agace de voir un tableau qui pend de travers. Je ne peux pas m’empêcher de le redresser.

Les rituels de nettoyage

Maniaques de la propreté
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 » Les rituels de nettoyage, assez fréquents, ne sont pas forcément problématiques, rassure Jos Jazie, comportementaliste clinique, qui traite les anxiétés et les obsessions en tous genres. Ils le deviennent à partir du moment où le stress et l’inquiétude perturbent le comportement, prennent beaucoup de temps ou détériorent la relation avec le conjoint. Le nettoyage compulsif, souvent lié à l’obsession de la propreté, est un trouble obsessionnel compulsif (TOC) qui va souvent de pair avec d’autres troubles comme la manie de vouloir toujours tout contrôler, le perfectionnisme et l’incertitude. On doute de l’efficacité du nettoyage qu’on recommence sans cesse jusqu’à l’obsession maladive. Les obsédés de la propreté éprouvent souvent un sentiment de responsabilité exacerbé. Ce qui se traduit, par exemple, par la crainte de contaminer les autres par les bactéries présentes dans la maison et les  » oblige  » à nettoyer toujours plus. Ils parlent non pas de peur mais de stress ou d’inquiétude qu’ils tentent de neutraliser par des rituels de nettoyage. »

Ces rituels peuvent prendre des formes très différentes. Jos Jazie cite l’exemple d’une dame qui avait rempli ses armoires de boîtes de coton-tiges devant servir à nettoyer les moindres interstices de la maison. Un homme a confié au thérapeute qu’après le départ de la femme de ménage, il faisait systématiquement le tour de la maison pour s’assurer que tout était bien à sa place habituelle. Il lui arrivait même de renettoyer après son passage sous prétexte que ses rituels n’avaient pas été respectés.

Une histoire de famille ?

 » Selon une étude scientifique, 85 % des obsédés du nettoyage avaient un père ou une mère présentant les mêmes symptômes, analyse Jos Jazie. La prédisposition est donc en grande partie génétique. Il ne faut pas en déduire pour autant qu’un enfant ayant grandi avec un parent obsédé de nettoyage intègre son comportement. Cela n’a rien à voir avec l’éducation. Les exemples sont légion : les enfants obligés de se laver les mains 100 fois par jour et de changer de vêtements pour pouvoir entrer dans la maison fraîchement nettoyée n’ont pas nécessairement développé la même manie obsessionnelle. « 

Fred  » Si un collègue s’assied sur ma chaise au bureau, j’aspire ma voiture le soir de peur que des bactéries ne s’incrustent dans mes vêtements.

Autre mythe tenace : l’anxiété qui est à l’origine de problèmes tels que le nettoyage compulsif remonte aux années de jeunesse.  » C’est faux, assure Jos Jazie. L’origine est dans la tête. Ceux qui présentent une certaine prédisposition génétique sont plus sensibles aux obsessions et pensent qu’il faut poser certains actes, même si, objectivement parlant, cela semble tout à fait idiot. Ils se disent par exemple «  Je dois traquer chaque jour la présence de poussières dans les armoires, sans quoi je ne me sentirai pas à l’aise « . Pensée et sensation sont étroitement liées, à tel point que la pensée conditionne la sensation mais on n’a généralement pas conscience de cette obsession du nettoyage. Le fait d’en prendre conscience est un premier pas vers la guérison. « 

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Comment vivre avec un(e) maniaque du nettoyage ?

Il faut commencer par identifier les différents signaux. Si votre conjoint est tendu, voire irrité, lorsqu’il est empêché de suivre ses rituels de nettoyage ou que vous refusez de vous y soumettre car vous n’avez pas envie de vous laver les mains quatre fois par repas, il s’agit probablement d’obsession. Nombreux sont ceux qui s’en accommodent pendant des années pour maintenir la paix dans le ménage mais ce n’est pas la meilleure façon de réagir.  » Si le nettoyage rituel gâche la vie de couple parce qu’il est tellement chronophage que votre conjoint n’a plus le temps de faire autre chose, il faut lui expliquer qu’il/elle a besoin d’aide, conseille Jos Jazie. La thérapie nécessite la participation de tous les membres de la maisonnée. Nous les préparons à des réactions qui risquent d’être virulentes, surtout en début du traitement. « 

Comment gérer la situation ?

L’obsession du nettoyage et les autres troubles obsessionnels ne disparaissent jamais mais il y a moyen de les rendre gérables. Il faut prendre conscience du problème et vouloir le résoudre.  » La thérapie comportementale cognitive intensive s’avère le traitement le plus efficace, constate Jos Jazie. Des résultats peuvent être obtenus au bout de quelques semaines, voire quelques mois. Le traitement commence par l’explication détaillée de ce qu’est un trouble obsessionnel. Pendant cette phase cognitive, le thérapeute comportementaliste aide le patient à comprendre pourquoi il fait certaines choses. Le mécanisme obsessionnel est particulièrement complexe et fonctionne selon deux systèmes de pensée : la pensée saine et la pensée obsessionnelle. Cette dernière utilise intelligemment la pensée saine pour justifier des agissements obsessionnels. Plus le patient est intelligent, plus le traitement sera difficile car il excelle dans l’art de se servir de sa pensée saine pour avancer de subtils arguments justifiant son comportement obsessionnel. « 

Marc  » Je rince la vaisselle qui sort propre du lave-vaisselle, pour être tout à fait sûr. Ça fait rire ma femme !

À partir du moment où le patient est conscient du problème, le thérapeute lui fait passer ce qu’on appelle une exposition avec prévention de la réponse (exposure and response prevention ou ERP) qui consiste à confronter progressivement la personne qui a une obsession à ses anxiétés.  » Prenons l’exemple d’une grand-mère qui veut accueillir ses petits-enfants chez elle mais en est incapable rien qu’à l’idée de voir sa maison d’une propreté irréprochable mise sens dessus dessous, explique Jos Jazie. Consciente de se priver de beaux moments en compagnie de ses petits-enfants, elle veut surmonter cette obsession. Nous envisageons avec elle les différentes solutions pour accueillir ses petits-enfants sans trop de stress. Elle pourrait commencer par les emmener à la plaine de jeux pendant une petite heure puis leur préparer des crêpes qu’ils mangeraient à la table de la cuisine. Encadrée par un thérapeute les premières fois, elle se rend compte par elle-même qu’elle arrive à gérer les risques. Les possibilités sont ensuite étendues et les enfants invités à jouer dans le salon, quitte à déplacer certains objets.  » Les rituels de nettoyage ne disparaissent pas pour autant. Ce n’est d’ailleurs pas indispensable. La suppression de tous les comportements obsessionnels chez le patient donnerait l’impression de le mettre à nu.

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Le traitement peut aussi consister à apprendre à nettoyer autrement.  » Nous conseillons, par exemple, de réduire le temps de nettoyage du sol à l’eau de 1 heure à 20 minutes, question d’alléger la charge des rituels, précise Jos Jazie. Une solution consiste à trouver une autre soupape permettant de se déshabituer sans trop de difficulté de certains rituels obsessionnels et de les rendre moins anxiogènes. Un psychiatre souffrant d’obsession a appris à focaliser son énergie sur son jardin qu’il entretenait avec minutie. Ce rituel lui a permis de retrouver une certaine sérénité, sans que cela soit perturbant pour les autres membres de la famille. Une autre technique consiste à déplacer son attention dès qu’apparaissent les pensées obsessionnelles, comme par exemple en écoutant attentivement de la musique ou en entamant une conversation. Ceci pour occuper le cerveau et l’empêcher de penser à autre chose. « 

Anita  » Je lave les fenêtres toutes les semaines et je passe la raclette cinq fois !

Et hors de chez soi ?

Mais comment se fait-il que certaines personnes qui ne supportent pas la moindre poussière à la maison arrivent à travailler dans un véritable capharnaüm au bureau ?  » Bon nombre d’obsédés du nettoyage sont physiquement épuisés par leurs nettoyages intensifs répétés et doivent, de ce fait, se limiter à un seul endroit, voire à eux-mêmes, analyse Jos Jazie. Ils concentrent toute leur énergie sur ce seul point parce qu’ils ne peuvent pas en faire plus. J’ai un jour rendu visite à une femme dont la cuisine était tellement propre qu’on pouvait manger par terre. Par contre, dans le reste de la maison, il fallait regarder où on mettait les pieds tellement c’était sale et encombré. Cette obsession du nettoyage s’est ensuite muée en collectionnite aiguë. Les obsédés de propreté se ménagent parfois de véritables royaumes qu’ils défendent bec et ongles : la salle de bain ou la cuisine, par exemple. Certains ont même une cuisine d’apparat et une cuisine de travail à l’arrière. Le conjoint doit clairement s’opposer à ce genre d’attitude sans quoi les royaumes risquent de se multiplier. « 

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