Anne Vanderdonckt

Madame Steak

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

La cour de récréation retentit de cris perçants qui perforent les tympans des plus aguerris. Lorsque la meute enfantine s’y est déversée en libérant d’un coup sec toute son énergie à la façon d’une bouteille de champagne affranchie de son bouchon, le chat roux du concierge s’est, vite fait, réfugié dans le gros arbre autour du tronc duquel les filles ont attaché un élastique blanc chapardé dans la boîte à couture maternelle. Et elles sautent tour à tour, inlassablement, au dessus de l’élastique tendu que l’une d’entre-elles est chargée de faire tourner. Il est 10 heures. Cela sent le Mellow cake, le « sûr », incomparable bonbon à la citrique qui pique et râpe la langue, le Mars, le biscuit Prince, la gaufre au sucre industrielle, la sucette au coca, le chips au paprika que les plus méticuleux s’efforcent de lécher sans le casser. Pour ça, il y a des champions. Une petite fille, allez dire dire pourquoi ce sont toujours des filles !, croque une pomme que personne ne lui envie.

Il est 10 heures, et nous sommes quelque part à l’aube des années 70. Les institutrices papotent entre-elles, un oeil sur la marmaille qu’elles arrivent encore à calmer plus ou moins d’un simple lancer de regard noir.

 » Anne, peux-tu venir, s’il te plaît ?  » Ouille !  » La petite fille, là près de la barrière, avec ses cheveux bouclés, ses lunettes et sa robe bleue, elle habite dans ta rue, je crois. Connais-tu son nom?  » Ouf !, ça je sais. « Elle s’appelle Michèle, Madame.  » « Michèle comment ? Tu sais ?  » Et comment ! Comme tous les enfants, elle porte le nom de son père et de sa mère. Donc, la petite s’appelle Steak. Vu que tout le monde dans le quartier appelle sa plantureuse mère, Madame Steak. Fière comme un caniche, mais avec la modestie blasée d’une héroïne du Club des cinq, je réponds donc : « Michèle Steak, Madame.  » Crime de lèse majesté ! Atteinte à l’autorité ! L’institutrice est convaincue que je me fiche d’elle : elle rapportera l’incident à ma maman ce soir. Pauvre maman qui a le rire facile et doit se mordre très fort les joues pour  » tenir son sérieux « , au moins jusqu’à couvert dans la Fiat 600 garée derrière le coin.  » Steak « , c’est un surnom, évidemment ! Comme, dans notre rue, on dit  » la blonde « , « double mètre »,  » les rouquins « . Madame Steak, c’est parce que, chaque fois qu’on la croise, elle parle des steaks qu’elle va préparer pour le dîner. Pour se faire valoir, pour faire croire qu’elle est riche, tiens. Des steaks, ça m’étonnerait qu’elle en mange autant qu’elle en parle, franchement...

Aujourd’hui, la prestigieuse Université d’Oxford annonce que, réchauffement climatique oblige, elle ne servira plus de boeuf à la cantine ni n’en vendra désormais dans les commerces du campus. Suivant en cela, pour ne prendre qu’un exemple, la très chic Université de Cambridge. C’est fou comme les symboles statutaires peuvent changer très vite.

Hem, hem... Vous ai-je déjà parlé de mon carpaccio de courgettes aux graines de chia ?

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