L'auteure, ancienne infirmière, Katrien Vervaele.

Ma première semaine de pension : « Ce sont des vacances permanentes et il faut se faire à ce sentiment divin »

Je viens de prendre ma pension. Et je compte profiter de ces vacances au long cours. Mais, tout au fond de moi, je me sens un peu coupable.

C’est vendredi, mon dernier jour de travail. Enfin, ma dernière matinée de travail, car cet après-midi, ce sera la fête ! Mon pot de départ... J’ai vidé mes armoires, mes tiroirs, ma mailbox et le contenu de mon PC. Je suis prête. Mes collègues, elles, sont bien occupées. Pour la forme, je leur demande si je peux les aider. Il se trouve que non. Je m’y attendais... Il est 11 h, autant quitter le navire. Malgré tout, j’hésite à cliquer sur  » verrouiller  » pour fermer mon ordi. Cela sonne comme des adieux déchirants. Mais je n’ai pas envie de faire traîner les choses non plus. Je tente de me mettre en mode  » détaché « , car je sens monter une certaine nervosité. Allez, c’est décidé, je verrouille mon ordi, je prends ma veste et lance :  » A tout à l’heure ! « .

VENDREDI MIDI, FIESTA À LA CAMPAGNE

Mes collègues viennent me chercher en voiture. J’ignore où elles m’emmènent. Ce pourrait être à la mer, ou en pleine campagne. Pendant le trajet, je sens qu’on me mène en bateau... Jusqu’à ce qu’on arrive aux Grands Tilleuls, une ferme qui propose des activités pour petits et grands. Histoire de me mettre dans l’ambiance, je caresse une vache, tandis que mes collègues gloussent. On me donne une corde au bout de laquelle il y a un veau. Et hop, c’est reparti pour un tour ! Bon, toutes ces caresses ne m’enthousiasment pas plus que ça mais je retrouve ma bonne humeur dès que mes collègues s’y mettent aussi. Au programme suivent une course en sabots, une course de brouettes et un mini-golf à la ferme. Une belle partie de rigolade.

Vers 17 heures, il est temps de partir. Je dois retrouver la plupart des mes collègues ce soir, pour dîner, mais certaines ne seront pas là et ont prévu de me donner une carte ou un petit cadeau. Un câlin, un bisou, une larme... C’est seulement maintenant que je me rends compte à quel point elles comptaient pour moi, quel que soit leur âge. Impossible de rester plus longtemps en mode  » détaché « .

Le soir même, la direction se fend d’un très beau discours, après quoi je prends la parole. Trente-cinq années d’expérience en tant qu’infirmière, ça laisse des souvenirs! Je me surprends plusieurs fois à conjuguer ma carrière au passé.... Mais le délicieux repas, le cava et le vin ont vite fait de diluer mon spleen. On déterre quelques vieilles histoires et anecdotes oubliées. Pendant toute la soirée, je suis consciente de l’importance de se dire si joliment au revoir. De retour chez moi, j’en suis sûre : mes collègues vont terriblement me manquer.

SAMEDI, C’EST TOUJOURS L’EUPHORIE

Le samedi, je suis sur mon petit nuage. Je déballe mes cadeaux, petits et grands. Je lis et relis les cartes, je mets les fleurs dans un vase: un superbe bouquet champêtre. Sans oublier ce cadeau rigolo qui viendra à point lors des froides soirées d’hiver : un plaid imprimé sirène. Car mes collègues le savent, j’ai dû être une sirène dans une autre vie! Je demande à ma voisine de venir me prendre en photo dans mon plaid de petite sirène. Me voilà, à peine habillée, tenant entre les mains un livre choisi : Le Cabillaud (de Mark Kurlansky). Lundi, j’enverrai la photo au boulot, au moment de la réunion quotidienne, avec ce message: Pssst! Jetez un oeil dans le surgélateur... Il y a des glaces pour vous! Une manière de rester encore un peu auprès d’elles.

JE ME LÈVE À 7 HEURES, DIMANCHE COMPRIS. BIZARRE, CE DIMANCHE QUI RESSEMBLE À UN JOUR COMME LES AUTRES...

DIMANCHE, UN JOUR COMME LES AUTRES

Réveil en petite forme. Sans doute le contrecoup de la veille et de l’avant-veille. Alors c’est ça, être pensionnée ? En fait, rien ne change. Je me lève à la même heure, histoire de ne pas perturber mes biorythmes – 7 h, c’est parfait – chaque jour de la semaine, y compris le dimanche. Bizarre pourtant : je n’ai pas du tout l’impression d’être un dimanche, un jour of. Rien de plus banal qu’aujourd’hui, un jour comme tous les autres.

Je me lève, prépare du café, prends le petit-déjeuner avec mon compagnon qui, bien qu’âgé de 70ans, travaille toujours. Un poil inquiet, il me demande ce que ça me fait et si je vais m’y habituer. Pourquoi me pose-t-il cette question? Un quart d’heure plus tard, il remet ça. Je me rends compte que c’est surtout lui qui semble mal à l’aise. Qu’est-ce que ça sera quand il arrêtera ? Est-ce qu’il s’habituera ? S’il continue à travailler, c’est parce qu’il aime ce qu’il fait, mais aussi parce qu’il a peur de la pension, ces vacances permanentes. Ces journées qu’on est bien obligé de structurer soi-même.

Je me réjouis de passer un dimanche avec mon petit-fils. C’est la Journée du Patrimoine et nous allons faire plusieurs visites. Voilà des années que cela ne m’était plus arrivé, par manque de temps et d’énergie. Aujourd’hui, j’en ai vraiment envie. Et mon petit-fils aussi.

Le matin, nous suivons un atelier d’origami au Coq. L’après-midi, j’ai opté pour une visite guidée du  » Scute « , à Blankenberge. Une bonne idée, ce bateau de pêche historique, car mon petit-fils est encore assez jeune pour croire que les marins en uniforme bleu, avec leur barbe et leur casquette, sont de vrais pirates.

L’espace d’une journée, je ne pense plus du tout au fait que je suis fraîchement pensionnée. Je suis juste heureuse de la présence de mon petit bonhomme. Et je me réjouis d’avoir cinq autres petits-enfants auxquels je vais pouvoir consacrer désormais plus de temps.

LUNDI, LE MOT-CLÉ POUR TOUT PENSIONNÉ

Fidèle à mes habitudes, je me lève à 7h, en même temps que mon compagnon. Dès qu’il a quitté la maison, je traîne un peu à gauche, à droite. J’ai l’intention de reprendre petit à petit la maison en mains. Il y a urgence, depuis des mois déjà. Je fais un peu de ménage, par ci par là. Mais il y a tant à faire que je ne sais par où commencer.

Et le soleil qui brille... Qu’est-ce que je fais là, enfermée ? Le ménage peut attendre, non? Ne ferais-je pas mieux de prendre quelques heures pour lire le journal, un magazine, un livre ? Je m’installe au jardin. Je profite de la chaleur et de mes lectures, mais ça coince quelque part. Tout le monde est au boulot, occupé, et moi je suis là... à me dorer la pilule. Or, ne rien faire,  » pro-fi-ter « , voilà le mot-clé pour tout pensionné. On me félicite et on m’assure que je vais enfin avoir du temps pour moi. Le souci, c’est que ça ne me ressemble pas. Je suis active, moi, j’aime m’occuper.

J’essaie de me défaire de cette pensée et de disséquer ce sentiment de bien-être : ne rien faire. Pourquoi est-ce tout à coup si différent ? Sans doute parce que cela n’avait rien d’évident, même avant. C’étaient des moments volés, à midi ou en rentrant plus tôt, le soir, à la maison, avant le coucher du soleil. Je savais alors que ça ne durerait que le temps d’un week-end, d’un jour de congé, d’une semaine de vacances... Maintenant, ce sont des vacances permanentes et il faut un peu de temps pour se faire à ce sentiment divin. Cette impression si douce de pouvoir enfin profiter du moment présent.

MARDI, LE TEMPS C’EST DE L’ARGENT

Mon GSM montre des signes de faiblesse. Je décide d’aller en ville pour en acheter un nouveau. Pour fuir ce qui m’attend chez moi, les toiles d’araignées et la saleté dans les coins ? Mais non, tout cela aurait dû être réglé depuis bien longtemps !

J’en profite pour pousser la porte du secrétariat social, histoire de voir si je ne pourrais pas travailler un peu en plus de ma pension. Les cotisations sociales ont augmenté ces dernières années et j’avais déjà l’impression que le peu que j’écrivais avait fâcheusement tendance à grossir mes impôts et mes cotisations. Le jeu n’en valait presque pas la chandelle. Je voudrais savoir ce qu’il en est avec mon nouveau statut. La dame au guichet comprend ma frustration et abonde dans mon sens. Mais elle m’apprend aussi que ce changement de statut comporte un avantage: je vais pouvoir arrondir un peu mes fins de mois. Quelle chance! D’autant que, désormais, je ne manque plus de temps. Avant, je n’avais ni le temps, ni l’énergie. Il y a tant de choses que j’ignorais. Maintenant, après ce long entretien avec l’employée de la caisse d’assurances sociales, tout est plus clair. Ne dit-on pas que le temps c’est de l’argent ? Eh bien, oui !

MAINTENANT QUE J’AI DU TEMPS, JE PEUX ENFIN PROFITER PLEINEMENT DU MOMENT PRÉSENT !

En sortant, lorsque je vais faire des courses au supermarché, je me surprends à prendre plus de temps que d’habitude. J’examine les promos d’un autre oeil, je compare les produits, j’examine leur rapport qualité/prix... Plus besoin de me presser. Ici aussi, le temps c’est de l’argent !

Le soir, je prépare le repas à l’aise. Il y gagne en saveur. C’est en tout cas ce que me dit mon compagnon.

Ensuite, je m’occupe de régler mon nouveau smartphone. Zut ! Une série de fonctions doivent encore être installées. Je me trouve toujours une bonne raison pour stresser!

MERCREDI, MAIS OUI, ÇA VA ALLER!

C’est le premier jour d’un nouveau mois, la date officielle de ma mise à la pension. Rien que cette expression ! J’en profite pour annoncer mon nouveau statut sur Facebook. Je poste une photo clin d’oeil à mes anciennes collègues : une coupe en verre avec des coquillages et une page arrachée d’un calendrier, sur laquelle on peut lire  » Et ils travaillèrent longtemps pour la gloire « . Ce sont les coquillages qu’on m’avait donnés alors qu’il me restait cent jours à prester. La centaine de coquillages et la feuille de calendrier avaient été emballés dans du plastique avec un ruban. Pour entamer le décompte. Un coquillage par jour. Ça a filé à toute allure. Au point que j’ai commencé à me demander s’il ne serait pas plus intéressant de continuer à travailler. Disons jusqu’à la fin de l’année. Mais non, une fois qu’on a déposé la demande – ce qui doit se faire longtemps à l’avance – on ne peut plus revenir en arrière.

Je poste donc ma photo de coquillages avec un commentaire :  » Aujourd’hui, je prends officiellement ma pension. Sentiments mêlés.  » Dingue, le nombre de réactions que j’ai reçues ! La plupart prévisibles...

 » T’inquiète pas, au début il faut s’y faire mais au bout d’un moment, c’est super. « 

 » Tu ne culpabiliseras bientôt plus. Tu as des tas de centres d’intérêt, tu ne risques pas de t’ennuyer. « 

 » Je te comprends. Mon mari prend aussi sa pension aujourd’hui et nous devons trouver notre équilibre tous les deux. Mais ça va aller. « 

 » Félicitations pour ta pension ! Perso, je déteste ce mot, je préfère l’idée de  » vacances permanentes « . Je comprends tes sentiments mêlés. Mais tu ne vas pas t’ennuyer, tu trouveras bien vite les journées trop courtes. »

Tous ces gentils messages m’ont donné du courage. J’en suis maintenant persuadée: tout va bien se passer !

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