Le Belge Lucien Van Impe et Chris Froome, vainqueur du Tour de France 2015. © BELGA

Lucien Van Impe: « Il est temps qu’un Belge gagne à nouveau le Tour de France »

Dernier Belge victorieux du Tour de France il y a quarante ans, Lucien Van Impe évoque sa vie, avant et après le maillot jaune.

Juillet 1976. Un été caniculaire. Le roi de la montagne, surnommé  » le Ouistiti  » pour ses capacités de grimpeur, remporte le Tour de France. La Belgique est en liesse ! Quarante ans plus tard, les hommages à Lucien Van Impe continuent... Nous voici à Impe (tiens, donc !), un village près d’Alost. Nous avançons dans une rue tranquille, bordée de pistes cyclables, jusqu’à l’apparition d’une villa située en retrait dont la façade arbore l’inscription  » Alpe d’Huez « . Pas de doute, nous sommes à la bonne adresse ! C’est Rita, présente depuis toujours aux côtés du champion, qui ouvre la porte. Elle nous emmène dans le salon, présente son perroquet Jaco, avant d’appeler son époux. Face à nous, un sexagénaire souriant et radieux.

Quel souvenir gardez-vous de votre victoire en 1976 ?

J’ai réalisé mon rêve de jeune coureur. Passer la ligne d’arrivée avec le maillot jaune à Paris, c’était vraiment un moment inoubliable... Je garde énormément de souvenirs de ce Tour mais le plus beau c’est lorsque j’ai endossé le maillot jaune pour la première fois à l’Alpe d’Huez. Et à mon retour en Belgique en pleine nuit, mon Dieu, des milliers de supporters m’attendaient chez moi, à Mere ! Je voulais fêter ma victoire avec eux mais je n’aurais jamais pensé voir tant de monde.

Cette victoire a-t-elle changé votre vie ?

Ah oui ! J’étais déjà un peu connu grâce au maillot à pois de meilleur grimpeur que j’avais remporté à plusieurs reprises mais avec la victoire du Tour, j’ai ressenti la pression de toujours devoir être le meilleur, j’étais surveillé et je recevais des remarques, par exemple, quand je mangeais des frites ou que je buvais un verre. C’est parfois un peu embêtant d’appartenir au public... Surtout que je préfère la discrétion.

Repensez-vous souvent à ce fameux tour ?

J’y suis obligé car tout le monde veut célébrer ce 40e anniversaire. Une statue sera notamment érigée, cet été, en mon honneur à Mere. Et quand je vais quelque part, que ce soit dans un restaurant, un café ou ailleurs, des anciens supporters ou leurs enfants me demandent un autographe, une photo... C’est tous les jours ! Mais c’est assez maintenant, il est temps qu’un autre Belge gagne le Tour de France. La Belgique est quand même le pays du vélo, non ?

Pour beaucoup vous êtes le meilleur grimpeur de tous les temps. On vous a d’ailleurs surnommé « le Ouistiti »...

Oui (rires) ! Ici, on m’appelait le petit Lucien ou le petit de Mere mais en France, c’était d’abord  » Petit Pois « . D’ailleurs, au début, j’avais l’impression de ressembler à un clown dans ce maillotà pois rouges. Puis, on m’a surnommé « Ouistiti » et quand on m’a expliqué qu’il s’agissait d’un petit singe qui grimpe très vite, j’ai trouvé ça sympathique.

N’est-ce pas frustrant pour un grimpeur d’habiter en Flandre ?

Il n’y a pas de col en Belgique, mais quand on a 15 ou 16 ans, les Ardennes conviennent pour commencer à s’entraîner. A 19 ans, je suis allé en Espagne et en France car mon père voulait que je m’attaque à des grands cols.

Allez-vous encore à la montagne ?

Non ! Quand je vais en vacances, je préfère la plage (rires). Mais c’est beau de voir une course dans les montagnes, pour les paysages et le spectacle. Un sprint dure 2 minutes et un col dure parfois 1h ou plus.

Faites-vous encore du vélo ?

Non, je n’ai plus roulé depuis que j’ai arrêté ma carrière en 1987. Pas un mètre, même pour m’amuser. J’ai un vélo électrique que j’utilise, discrètement et vraiment très rarement, pour aller chez mes enfants, Bart et Suzy, qui habitent tout près d’ici. Ça roule bien, ce n’est pas fatigant ! Je dis à tout le monde de faire du vélo en disant que c’est bon pour la santé mais moimême je ne pédale pas (rires)...

Le vélo ne me manque pas !

Pourquoi avoir arrêté ?

J’étais coureur, c’était mon métier et c’est tout. D’ailleurs, à la maison nous n’avons jamais parlé de vélo. Et, regardez, ici, à la maison vous ne voyez aucun trophée. Rien du tout. Là, par terre, dans un sac, il y a la coupe que j’ai remportée en 1976 à Paris. Je ne l’avais plus vue depuis des années et je ne savais même pas où elle était. C’est Bart qui l’a trouvée parce qu’il rassemble des affaires pour l’un ou l’autre événement autour de ce 40e anniversaire...

J’ai encore mon maillot jaune et ceux à pois mais ma femme et mes enfants les cachent car je serais capable de les offrir à de grands supporters. J’ai également encore le vélo avec lequel j’ai gagné le Tour de France mais si j’y touche, mon fils me tue ! Il a trop peur que je l’abîme. Pour moi, ce n’est que du matériel. Pour ma famille, c’est important...

Enfilez-vous encore votre maillot jaune ?

Non(rires)... Après quarante ans et 12 kilos en plus ! Non, non.

Mais pédaler ne vous manque pas ?

Non. C’est drôle, hein !?! Moi aussi je trouve ça bizarre... Cinq mois après avoir arrêté le vélo, mon frère, qui tient un café à Mere, m’a demandé d’accompagner un club de cyclistes à son entraînement. J’ai accepté. Il faisait froid et ils avaient prévu un parcours plein de bosses. J’ai rapidement été lâché ce qui a bien amusé le groupe. J’étais content de rouler avec eux mais pas pour faire la course. J’ai fait demi-tour et j’ai dit à ma femme que je ne ferais plus de vélo de ma vie !

A la base, vous vouliez devenir chanteur. Il n’est pas trop tard...

Oh non, j’aime bien la musique mais je suis trop vieux pour devenir chanteur (rires). Il m’arrive de chanter avec des amis mais seulement entre nous.

C’est votre père, fou de vélo, qui vous a obligé à courir...

Oui, il voulait un coureur dans la famille Van Impe. Il me donnait tout ce que je désirais pour que je le devienne. Mais il était très sévère. S’il me demandait de grimper dix ou vingt fois le mur de Grammont, j’étais obligé de le faire parce qu’il se cachait avec sa moto pour me surveiller ! C’est grâce à lui que je suis devenu le coureur que j’ai été...

Des regrets par rapport à votre carrière ?

J’aurais pu remporter plusieurs Tour de France, deux ou trois peut-être... Il m’arrive de réfléchir à ce qu’il m’a manqué pour gagner. Pas grand-chose et un peu de chance aussi...

Etes-vous déçu que vos enfants ne prennent pas la relève ?

Non, car c’est un sport très dur et on n’est jamais à la maison. Je ne souhaitais pas cette vie pour mes enfants. Mais Bart trouve ça dommage, lui. Il me reproche de ne pas l’avoir poussé vers cette voie... Il travaille dans une firme de sécurité et Suzy est coiffeuse. Et je n’ai pas de petits-enfants.

De gauche à droite: Joop Zoetemelk, Eddy Merckx et Lucien Van Impe lors du Tour de France 1971.
De gauche à droite: Joop Zoetemelk, Eddy Merckx et Lucien Van Impe lors du Tour de France 1971.© BELGAIMAGE

Etes-vous encore ami avec Eddy Merckx ?

Oui, je le vois lors de l’un ou l’autre événement, de même que d’autres anciens coureurs. Dans la course, nous étions concurrents mais en dehors amis.

Viennent-ils par exemple manger chez vous ?

Non, non, aucun. Ce serait pour parler de vélo pendant des heures et, ça, je ne veux pas !

Justement, que pensez-vous de l’évolution du cyclisme professionnel ?

C’est mieux qu’avant. L’équipement notamment s’est amélioré : mon vélo pesait 10 ou 11 kilos et n’avait que 6 vitesses, alors que maintenant un vélo pèse 6,8 kilos et compte 11 vitesses, les cuissards sont aussi bien plus confortables qu’à mon époque... Puis, le Tour de France est plus court : nous parcourions plus de 4.000km en 21 jours contre 3.000 et quelques actuellement. Et nous grimpions plus de grands cols. Le Tour de France est plus facile qu’avant...

Peut-on encore le gagner sans dopage ?

Bien sûr, avec un bon entraînement... Ce n’est pas parce qu’on gagne le Tour qu’on a pris quelque chose. C’est bien contrôlé mais il y aura toujours des coureurs qui feront des bêtises. Et maintenant, on parle aussi beaucoup de moteurs dissimulés dans les vélos.

Que ferez-vous durant le prochain Tour de France ?

Je le suivrai à la télévision. Je ne manquerai pas une étape quitte à l’enregistrer si je ne suis pas à la maison. J’adore regarder le Tour car c’était ma vie, et surtout observer les étapes en montagne, évidemment, pour voir qui est le meilleur grimpeur. C’est drôle mais il m’arrive de regretter de ne plus avoir une vingtaine d’années pour courir parmi eux dans la montagne... Ça ne m’intéresse pas d’aller voir la course sur place mais je m’y rendrai sans doute avec mon fils. Pour lui.

Le Tour de France est plus facile qu’avant !

Qui remportera le TDF cette année ?

Froome, Contador, Quintana, peut-être Nibali ?

Que manque-t-il aux Belges pour gagner ?

Commencer l’entraînement plus jeune, vers 14-15 ans, s’entraîner davantage et effectuer un entraînement spécifique pour une course d’étapes. Et peut-être avoir un père aussi sévère que le mien (rires)... Quand un coureur belge arrive 9e ou 10e au Tour, on lui consacre plein de pages dans les journaux, on organise une grande fête. Ce n’est pas normal d’être déjà content avec un tel résultat. Moi quand j’étais 6, 7 ou 8e, je n’étais pas heureux, hein ! Il faut être plus ambitieux.

Qu’avez-vous fait après votre retraite cycliste ?

J’ai été consultant pour les médias puis directeur sportif jusqu’en 2013. Cette année-là, j’ai arrêté de travailler pour m’occuper de ma fille tombée gravement malade. Elle va mieux. Pour le reste, je regarde donc les courses cyclistes à la télévision, j’aime pêcher, je joue tous les lundis au foot avec mon fils et des BV (ndlr : Bekende Vlamingen, Flamands connus) et nous disputons des matchs pour des bonnes oeuvres. J’adore courir vite. On s’amuse !

Des projets ?

On vient de créer un parcours cycliste de 35kilomètres de longueur à mon nom dans la région. Ma fille a souhaité que je le fasse avec elle et son frère (ma femme n’a jamais pédalé). J’ai donc décidé de préparer un de mes anciens vélos de course pour cet agréable moment familial !

La brochure gratuite du parcours  » In het wiel van Lucien Van Impe  » est téléchargeable via www.aalst.be/toerisme

Entretien: Olivia Van de Putte

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