Les poissons ne parlent pas

J’ai interviewé, il y a des années de cela, un inventeur qui, dans un coin de sa ferme, quelque part dans le fin fond d’une campagne, avait développé un concept qu’à cette époque, personne n’avait encore songé à commercialiser. C’était tout bête.

Durant des heures, ce jeune agriculteur avait filmé son aquarium de manière à ce que le citadin peu enclin à badigeonner les poissons malades, à décrasser des filtres ou à veiller au maintien de la bonne température n’ait qu’à insérer une cassette vidéo pour bénéficier de l’apaisement que procure l’élégant ballet d’un banc de poissons colorés. L’homme, un aimable taiseux, avait eu l’excellente idée (même s’il est plus probable qu’il n’y avait pas pensé – c’était le miracle par omission) de ne pas incruster de fond musical, comme cela s’est pratiqué par la suite avec des petites musiques nostalgiques à vous filer le bourdon.

Le ballet des poissons. Le silence. Quel choc que ce spectacle sans paroles sur l’écran d’une télévision dédiée au bruit continu, où, plus souvent qu’à son tour, on parle pour parler, le message ayant moins d’importance que les décibels produits. Télé qui n’est à cet égard qu’un reflet de la vie. Pleine de bruit(s). Au point de nous rendre le silence étrange et angoissant.

Et pourtant, ce silence, que des voix de plus en plus nombreuses tentent de réhabiliter, ce n’est pas l’absence totale de sons. C’est s’asseoir le long de la rivière et tendre l’oreille pour écouter ce que d’habitude on n’entend pas. Le craquement des feuillages, le clapotis de l’eau, le bourdonnement d’un insecte... Si le bruit permet le retrait du monde (c’est ce qu’on fait lorsqu’on écoute son iPod dans le bus pour se réfugier dans sa bulle), le silence permet d’ouvrir tous ses sens et de faire corps avec le monde. De renouer avec soi-même. D’arrêter tout ce qui va trop vite.

Le silence, celui qui répare, c’est se promener ou manger en compagnie sans éprouver le besoin de parler à tout bout de champ pour meubler, mais quoi au fait? C’est de s’engager sur l’autoroute à bord de sa voiture et d’éteindre l’autoradio qui désormais se met automatiquement en marche lorsqu’on enclenche le contact. C’est de fuir les restaurants où la musique tonitrue à tel point que vos papilles ne comprennent plus ce qu’elles sont censées goûter. C’est se donner le droit de renouer avec une certaine qualité de vie.

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