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Les enfants quittent le nid: une transition pas toujours facile pour les parents

Le départ des enfants rime encore rarement avec mariage. Mais même si le nid ne se vide pas du jour au lendemain, la transition est une période compliquée pour les parents.

Compliqué. Le mot est lâché: la relation entre les parents et leurs enfants jeunes adultes est particulièrement compliquée. Avant, le mariage mettait un point final à la vie des enfants au sein du cocon familial. Aujourd’hui, la séparation n’est plus aussi clairement marquée. Était-ce au moment où votre fils s’est installé en kot? Ou quand votre fille a fait le choix de vivre en colocation avec des amies? Ou encore quand ils sont partis faire leur tour du monde? Quid de l’année que votre progéniture a passée au bercail pour se remettre de sa rupture amoureuse?

« Le concept de nid vide a incroyablement évolué ces dix dernières années, constate Karen Van den Broeck, coach en relations. Lorsque j’ai fait mes études de sociologie il y a trente ans, le couple entamait une nouvelle phase de vie quand les enfants quittaient le domicile familial. Les parents se retrouvaient du jour au lendemain en tête-à-tête. Aujourd’hui, les grands-parents vivent plus longtemps et il n’est pas rare que les parents doivent s’en occuper. La composition de la famille a changé. Les enfants s’installent en colocation, reviennent parfois habiter à la maison un temps, ... mais ils finissent toujours par la quitter définitivement. »

Sandra a surmonté son blues grâce au karaté

« J’habitais en Belgique mais travaillais aux Pays-Bas quand je suis tombée enceinte de ma fille. Difficile d’assumer tous ces allers-retours quand on est jeune parent. Comme j’adorais m’occuper de mon bébé et que notre situation financière le permettait, nous avons décidé que je deviendrais maman à temps plein. Cette période de ma vie m’a procuré beaucoup de satisfaction. Je m’occupais du club de golf, du club de hockey... j’aurais fait n’importe quoi pour me rapprocher des enfants. Jusqu’au jour où ma fille est partie étudier aux Pays-Bas. Nous entretenions d’excellentes relations. Quand elle a quitté la maison, j’ai reporté toute mon attention sur mon fils. Mais il n’appréciait pas du tout que je m’occupe autant de lui. Un beau jour, il s’est écrié: trouve-toi une vie! Cela m’a fait beaucoup de peine, j’avais l’impression d’être devenue inutile, moi qui avais toujours tout réglé pour mes enfants.

Un jour, mes amies m’ont proposé de les accompagner à une initiation au karaté. J’avais fait du karaté toute ma jeunesse et cela ne m’intéressait plus. Mais elles ont su me convaincre et le virus m’a repris. J’ai commencé à m’entraîner comme une dingue. Je tenais à récupérer ma ceinture noire et à participer au championnat du monde des plus de 50 ans. C’était un moment exceptionnel. Toute la famille m’a accompagnée en Tchéquie. J’avais si souvent supporté mes enfants lors des tournois de hockey et voilà que les rôles étaient inversés, ils avaient fait le déplacement pour me supporter. J’ai gagné la compétition et mes enfants étaient très fiers de moi.

Notre relation a changé. Elle est aujourd’hui plus équilibrée. Mes enfants sont fiers de ce que je fais. J’ai ouvert un centre sportif d’autodéfense et ils me soutiennent à 100%. Je ne m’occupe plus de leurs problèmes et cela ne me gêne plus du tout. Au contraire, ça m’embête parfois quand ils me demandent l’un ou l’autre service. Aujourd’hui, je ne comprends pourquoi j’ai fait tout ça pour eux. Ils s’en sortent parfaitement et je suis très fière d’eux.

Le karaté et le lâcher-prise m’ont permis de surmonter le blues du nid vide, même s’il m’arrive encore de ressentir une certaine nostalgie. Je ne regrette pas du tout ma décision de devenir maman à plein temps mais je ne me sens pas encore être prête à assumer mon rôle de grand-mère auquel j’aspirais tant il y a peu. J’ai beaucoup évolué et je suis heureuse de ne pas m’être enlisée dans ma tristesse. »

Les enfants quittent le nid: une transition pas toujours facile pour les parents

Des raisons économiques

Le départ des enfants se fait de plus en plus tard. Du fait de la pandémie et de la crise économique, ils ont tendance à s’éterniser chez papa et maman. L’âge moyen de la séparation tourne actuellement autour de 26,2 ans (27 ans pour les garçons, 25,4 pour les filles). Une donnée qui ne tient pas compte des années pendant lesquelles les enfants habitent ailleurs tout en restant domiciliés chez les parents. À titre de comparaison: l’âge moyen était de 24,4 ans en 2000.

« La raison principale de cette évolution tient à la durée des études. Les jeunes étudient plus longtemps et ne deviennent économiquement autonomes que bien plus tard, analyse le sociologue Dimitri Mortelmans. L’autonomie financière et la stabilité d’emploi sont deux facteurs déterminants dans la décision de quitter le domicile familial. C’est pourquoi en période d’incertitude comme la pandémie que nous venons de traverser et la crise actuelle de l’inflation, l’âge du départ augmente. Les parents font l’impossible pour que leurs rejetons prennent un bon départ. Les deux parties veulent absolument éviter que cette nouvelle phase de vie soit un fiasco car revenir à la maison la queue entre les jambes est le pire des scénarios. »

En Scandinavie, les enfants quittent la maison beaucoup plus tôt (19 ans en Suède) car ils bénéficient d’indemnités sociales leur assurant une certaine indépendance financière. En Europe méridionale, ce sont généralement les familles qui subviennent aux besoins des enfants. Résultat: ceux-ci prennent leur envol à un âge déjà avancé (33,6 ans en moyenne au Portugal).

« Le départ différé des enfants peut causer pas mal de problèmes, souligne Karen Van den Broeck. Je constate que les enfants restent plus longtemps chez les parents ou beaux-parents tout simplement parce qu’ils ne sont pas encore financièrement assez solides pour voler de leurs propres ailes. Si la situation s’éternise, des tensions peuvent apparaître. D’un côté, les enfants sont reconnaissants de pouvoir rester, d’un autre côté, les parents influencent davantage les décisions des enfants du fait qu’ils partagent encore et toujours leur quotidien. Il y a un moment où le parent doit se départir de son rôle de tuteur et où l’enfant doit prendre ses responsabilités. Il faut évoluer vers une relation d’égal à égal. Mais le changement de rôle ne peut se faire qu’à condition de prendre ses distances l’un vis-à-vis de l’autre. »

Rozemie et Luc ont transformé leur salon en restaurant

Luc: Nous sommes une famille recomposée. Lorsque nous nous sommes connus, deux enfants de Rozemie vivaient encore à la maison. L’idée de créer un restaurant dans notre salon est venue quelques années avant la retraite et avant le départ de la cadette.

Rozemie: La maison a toujours grouillé de vie. Les enfants avaient l’habitude de ramener des copains qui restaient souvent manger à la maison. Quand les enfants sont partis, les uns après les autres, la maison est devenue silencieuse. C’était vraiment très dur. Je n’avais plus envie de cuisiner rien que pour nous deux. Moi qui adore faire la cuisine pour les autres, je n’en avais plus l’occasion. Je me sentais comme inutile. Je ne voulais plus travailler à l’extérieur non plus. Dans notre restaurant, nous travaillons à notre rythme.

Luc: Notre restaurant social propose une cuisine traditionnelle à des prix démocratiques. Nous avons beaucoup de clients réguliers qui mangent ici chaque semaine. Un vieux monsieur nous a fait le plus beau compliment: « C’est comme au bon vieux temps, quand je mangeais chez ma maman! ». Le salon-restaurant est une petite entreprise familiale. Notre beau-fils, spécialiste IT de formation, s’occupe du site internet. Le dimanche soir, nous mangeons les restes ensemble et décidons du menu de la semaine suivante.

Rozemie: Les enfants reviennent volontiers à la maison. Ils ne viennent pas quand le restaurant est ouvert mais je les invite souvent à partager les restes. Nous n’avons pas dépensé un centime pour la décoration. Nous avons tout reçu ou récupéré de la maison de nos parents. Le résultat est bluffant. Je ne me gêne pas pour dire: cette peinture est de ma mère. Je ne l’accrocherais pas dans mon salon mais elle est du plus bel effet au restaurant.

Luc: Les quatre chambres à coucher des enfants sont restées telles quelles. Une chambre sert aujourd’hui de bureau, les autres sont souvent occupées par les petits-enfants. Nous avons aussi hébergé une famille de cinq Ukrainiens. Ils ont pu bénéficier d’un logement assez vite mais nous sommes restés en contact. Ils nous aident encore pour le lessive et le repassage des nappes du restaurant.

Les enfants quittent le nid: une transition pas toujours facile pour les parents

Prendre sa vie en main

Les enfants doivent prendre leur vie en main. C’est peut-être le passage le plus difficile à négocier dans cette nouvelle phase de vie car le parent ne peut s’empêcher d’éviter à son rejeton de prendre de mauvaises décisions. Autrement dit, n’essayez pas de lui trouver une habitation mais donnez votre avis s’ils le demandent. « Quoi que vous disiez, c’est aux enfants à décider. La responsabilité finale n’incombe plus aux parents », résume Karen Van den Broeck. Ce n’est pas une raison pour subir cette transition passivement. « Le départ des enfants ne signifie pas une rupture de la relation. La relation change, tout simplement. Le plus important? Maintenir le contact et se mettre d’accord sur certains points. Parlez-en avec vos enfants. N’hésitez pas à suggérer un contact une fois par semaine au moins. Tout se négocie. »

Un nouvel équilibre

Les négociations seront différentes dans chaque famille et déboucheront sur des accords différents. Dans les familles monoparentales, les enfants hésitent parfois à prendre leur indépendance car ils se sentent coupables d’abandonner leur parent seul. Dans les familles recomposées, il peut arriver qu’un des partenaires souffre du syndrome du nid vide tandis que l’autre est encore confronté aux affres de l’adolescence.

« Malgré toutes ces différences, on constate que le noyau familial constitue toujours la norme sociale. Nombreux sont ceux qui ont du mal à accepter que ce n’est pas le cas chez eux. Le fait de ne pas correspondre à cette norme leur procure un sentiment d’échec. C’est regrettable. Le schéma de la famille clanique a énormément évolué. Ce sont précisément ces différences qui font toute la richesse de la polyparentalité actuelle. Le rôle de parent ne se limite plus à être des géniteurs biologiques. Le plus important aujourd’hui, pour les parents et pour les enfants, est de trouver un nouvel équilibre lorsque la nouvelle génération quitte le cocon familial. »

Marleen et ses nombreux hobbys

« L’aînée a quitté la maison très jeune. Je me suis alors approprié sa chambre parce que mon mari ronflait. Le vide laissé par notre aînée a vite été comblé par l’ami de notre cadette qui a emménagé chez nous. Mon mari était déjà malade à l’époque et je travaillais plein temps. Il y avait donc toujours quelqu’un pour s’occuper de lui. Mon mari est décédé peu après leur emménagement dans leur propre logement. La maison était terriblement vide tout à coup. Après l’enterrement, j’ai entrepris de rafraîchir les chambres des filles. Je travaillais plein temps et j’avais déjà plusieurs hobbys. J’ai beaucoup voyagé et me suis engagée dans différentes associations. Je n’avais pas le temps de souffrir du syndrome du nid vide. Qui plus est, j’aime la solitude. J’ai parfois besoin de silence autour de moi pour me ressourcer. Je n’ai jamais été une mère poule qui se coupe en quatre pour ses enfants mais ils savent qu’ils peuvent toujours me demander conseil. »

Gerlinde a fait le choix d’un logement plus petit

« Mère d’un fils unique, j’ai ressenti le syndrome du nid vide comme de véritables montagnes russes émotionnelles. Au début, j’étais plutôt rassurée de le voir quitter la maison. Après tout, il avait 25 ans, l’âge d’emménager avec sa copine. Sa présence a commencé à me manquer au bout de quelques jours. Je feuilletais les albums photos, je farfouillais dans ses livres d’école pour me replonger dans le passé. Cette impression de changement irréversible était très difficile à supporter. J’ai fini par comprendre qu’il me fallait tourner la page et penser au futur de notre couple en le voyant heureux dans sa nouvelle vie.

Il devenait tout aussi évident que nous devions trouver une habitation plus petite. Comme mon fils et son amie cherchaient un logement, nous leur avons vendu notre maison pour les aider à prendre un bon départ. Avec l’argent de la vente, nous avons pu acquérir une maison plus petite. Vivre dans un logement plus modeste ne signifie pas renoncer au confort. Nous avons pris le temps de trouver ce qui nous convenait le mieux. Nous avons opté pour un bungalow dans un quartier très différent de celui où nous habitions mais nous sommes encore assez jeunes pour prendre un nouveau départ. Les années qui ont suivi le départ de mon fils ont été stressantes mais ce déménagement m’a reboostée. »

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