Anne Vanderdonckt

Le rêve démasqué

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

L’autre nuit, je me suis réveillée en sueur, les yeux écarquillés, encore dans l’horreur de mon cauchemar. Un peu comme une de ces femmes représentées en quadrichromie sur les couvertures des polars des années 50. Ce cauchemar-là, je ne l’avais jamais fait, et le sujet va vous sembler idiot, comme à moi dès que j’ai pu reprendre mes esprits.

Donc... Je me promenais dans une rue très fréquentée, peut-être la rue Neuve à Bruxelles où je n’ai plus mis les pieds depuis vingt ans. Tout le monde portait un masque. Moi pas. C’était, je crois, une version actualisée de ce rêve classique de la personne réalisant qu’elle est toute nue au milieu d’une foule habillée. Je me suis dit que le cerveau retraitant les informations vécues en journée, j’avais dû réinterpréter une « mésaventure » récente. Un jour où il pleuvait comme vache qui pisse, j’ai foncé dans un magasin d’alimentation pour acheter les légumes du dîner. Je me frotte les mains au gel hydroalcoolique, m’empare du caddy (obligatoire), baisse mon capuchon trempé. Une cliente me lance un regard choqué. Mon masque était resté dans la voiture... La honte!

Et ce n’est pas la première fois que je surgis de mon fier destrier hybride les cheveux au vent et le menton conquérant jusqu’au moment où quelque chose me dit que j’ai encore oublié d’y prendre ce satané masque. Donc, lorsque la presse a joué les mères la morale quand Angela Merckel, après un discours dans je ne sais plus quel hémicycle, avait omis de remettre son masque en allant se rasseoir, j’ai fondu d’empathie. Elle devait avoir ses idées ailleurs, et que celui à qui ce n’est jamais arrivé me jette la première pierre!

Quoi qu’il en soit, ébranlée par ce rêve si 2020-2021, je me suis renseignée. Plusieurs études de grande ampleur ont été menées sur l’influence de la crise du Covid sur le sommeil. Sans surprise, étant donné le stress et l’angoisse que charrient la situation sanitaire et ses conséquences sociales et économiques, nos nuits ont été fortement impactées avec leur cortège d’insomnies, d’hypersomnies et autres troubles. Dans le même temps, les rêves ont eux aussi payé leur écot. Jamais ils n’ont été aussi bizarres. Il y est question de masques, de distanciation sociale (« Je rêvais que des gens me frôlaient »). De perte de contrôle (« J’ai perdu le contrôle du véhicule ») ou d’anxiété (« Mon téléphone a été attaqué par un virus et mes photos personnelles ont été diffusées partout »).

Lorsque se produisent des événements terribles, comme les attaques du 11 septembre, il est connu que les rêves les intègrent. Mais c’est la première fois, ici, que le phénomène prend une telle ampleur. Parce que la pandémie est mondiale ; tout le monde est touché de près. En plus, avec leur lot d’émotions négatives, ce sont des rêves dont les dormeurs se souviennent davantage. Et qu’ils partagent depuis le départ sur les réseaux sociaux, ce qui offre aux scientifiques une matière première inédite pour mener leurs études à bien. Terrible, cette intrusion du virus dans nos cauchemars? Oui et non car les rêves nous aident à digérer nos émotions. Ils nous permettent aussi d’en parler avec d’autres et de se rendre compte qu’on n’est pas le seul à rêver de masques oubliés... Jef, t’es pas le seul tout-nu dans la foule!

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