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Le prénom, une question de goût... et un effet de mode!

Ils nous semblent vieillots, exotiques, voire carrément à coucher dehors... Les prénoms donnés aux bébés d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’il y a cinquante ans. Mais pourquoi chaque génération a-t-elle « ses » prénoms?

« Quand, en 2015, ma fille m’a annoncé que j’allais être grand-père d’une petite Louise, j’ai tiqué, avoue Marc, 68 ans. Pour moi, Louise, c’était celle qu’on appelait la « vieille marraine », une veuve de guerre – la Première, hein! – à qui on venait rendre visite le dimanche quand j’étais enfant. Ça m’évoquait avant tout un truc un peu poussiéreux... » Et pourtant, aujourd’hui, Louise est le 3e prénom féminin le plus donné en Belgique. À l’instar des Jules, Renée et autres Victor, il signe depuis quelques années sa grande réapparition, passant du statut de « totalement ringard » à celui de « carrément tendance ».

Ce que dit la loi

Depuis le vote d’une loi en 1987, le choix du ou des prénoms d’un nouveau-né est libre, y compris au niveau de l’orthographe. L’officier d’Etat-Civil peut toutefois refuser un prénom s’il estime qu’il pourrait nuire à l’enfant, s’il prête à confusion ou fait référence à des éléments pouvant porter préjudice à des tiers.

En 2021, certains prénoms acceptés laissent tout de même craindre de possibles moqueries à l’âge adulte: Tor (le superhéros de Marvel, mais sans le H? ), Sus, Rital, Phéline, Kiki, Vie...

Du neuf avec du vieux

Un retour en grâce qui n’a rien de neuf ni d’étonnant, à en croire Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à l’École normale supérieure Paris-Saclay et spécialiste des prénoms. « Le choix des prénoms est avant tout une question de goût et de mode, explique le sociologue. C’est exactement comme pour les baskets des années 70: à partir du moment où plus personne ne les porte, ils peuvent faire leur grand retour sur scène. Les jeunes parents d’aujourd’hui vont appeler leur fils Louis et Gabriel en sachant bien que c’est ancré dans une certaine époque mais, contrairement à leurs parents, sans avoir connu de personnes âgées s’appelant comme ça. Pour eux, ça ne sent pas la maison de retraite. En d’autres termes, on attend souvent le décès des porteurs de prénoms de l’ancienne vague pour les remettre en circulation. »

Ces prénoms anciens peuvent être utilisés comme tels, mais ils sont aussi sans cesse triturés à travers le temps pour bénéficier d’un petit vernis de modernité. Avez-vous par exemple déjà remarqué le nombre de petites filles portant un prénom se terminant par « A »? En Belgique, cela concerne actuellement environ une petite fille sur deux. « Cette terminaison a été très peu utilisée durant le XXe siècle: on lui a tour à tour préféré les prénoms en -ette (Linette, Georgette...), en -ie (Annemie, Sophie), ou encore en -ine (Aline, Catherine), qui chacun sont le reflet d’une époque », détaille Baptiste Coulmont.

Le A, comme les autres terminaisons avant lui, permet de recycler l’almanach des prénoms féminins traditionnels, en lui redonnant un coup de pimpant. Dans ce cas-ci, il lui donne aussi une connotation très tendance, un peu méditerranéenne, arabisante et ensoleillée. Lina, le 7e prénom de fille le plus donné en 2021, n’est donc pas qu’un prénom originaire du Moyen-Orient ou de Chine, comme on le lit parfois dans les recueils destinés aux futurs parents: c’est aussi tout simplement une version modernisée des Aline, Linette, Adeline ou Adèle d’autrefois.

Top 5 des prénoms en Belgique en 2021

Chez les garçons:

  • Noah,
  • Arthur,
  • Louis,
  • Liam,
  • Jules

Chez les filles:

  • Olivia,
  • Emma,
  • Louise,
  • Mila,
  • Alice

En deux temps

Une version modernisée... et souvent raccourcie. Car la mode est aussi aux prénoms courts, le plus souvent en deux syllabes, chez les garçons (Noah, Liam...) comme chez les filles (Mila, Emma...). « Désormais, plus un prénom est court, 4 ou 5 lettres, plus les parents vont le trouver jeune et moderne. C’est en réaction à une vogue, jusque dans les années 50, des prénoms longs ou composés. Prenez Elisabeth, un prénom souvent donné au début du XXe siècle. On assiste jusque dans les années 50 à une augmentation du nombre de lettres, avec des prénoms composés, tels que Marie-Elisabeth. Ensuite, on assiste à un basculement inverse: Liesbeth, Babette, Elisa, Lisa... ». Les prénoms de plus de 10 lettres et les prénoms composés font désormais figures d’exception.

On remarque toutefois que les prénoms courts typiquement flamands (Eef, Bart, Geert, Els...) ne font plus recette en Flandre, au profit des prénoms à la française ou internationaux, et ont parfois carrément disparu des registres de naissance. Peut-être s’agit-il ici simplement du phénomène inverse et d’une lassitude pour les prénoms monosyllabiques, très en vogue au nord du pays pendant des dizaines d’années. Mais comme pour les prénoms composés, il y a fort à parier que cette parenthèse ne sera que temporaire. Qui sait... Rik et Jean-Luc seront peut-être d’une modernité folle en 2080!

Claudia, Kevin et les autres

La mode des prénoms est aussi influencée par les personnalités en vogue du moment. On reprend souvent, non sans condescendance, l’exemple des Kevin des années 90 (et avec lui, par la suite, une vague de prénoms anglo-saxons) à la suite du film « Maman j’ai raté l’avion ». Idem, à la même époque pour Claudia (Coucou Madame Schiffer! ). Mais ce phénomène est en réalité fort ancien. « Victor Hugo, dans Les Misérables, se moquait déjà des Thénardier qui avaient donné à leur fille le nom d’une héroïne de roman bas de gamme », souligne Baptiste Coulmont, spéci A noter que si ce sont souvent les classes populaires qui sont pointées du doigt pour avoir choisi de telles références, le phénomène existe dans toute la population. Tout au plus les plus cultivés cherchent-ils souvent des références plus « huppées » et moins évidentes. Le marqueur social fonctionne dans les deux sens.

Un prénom d’appel

Mais il ne faudrait de toute façon pas trop faire de généralités avec les prénoms prisés. Au début du XXe siècle, les personnes possédant un prénom parmi les plus populaires (Jean, Jan, Marie, Maria, Julia...) étaient légion. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Chez les garçons comme chez les filles, les 10 prénoms les plus donnés en 2021 n’ont été donnés chacun que 300 à 600 fois, soit au total même pas 8% des nouveau-nés. Et pour cause: sur 117.914 naissances, l’État Civil a enregistré plus de... 3.200 prénoms différents.

C’est que, depuis 1987, la loi belge s’avère assez laxiste en ce qui concerne le choix des prénoms (voir encadré). Non seulement, l’orthographe est le plus souvent laissée à l’appréciation des parents, mais il n’y a plus réellement de règles imposées. « Car au-delà de la recherche d’originalité, un prénom singulier permet surtout de jouer le nouveau rôle qu’on donne au prénom depuis une cinquantaine d’années, fait remarquer Baptiste Coulmont. Dans la première moitié du vingtième siècle, et encore un peu par la suite, le prénom était utilisé dans la famille et c’était tout. Il n’était pas utilisé à l’école ou au travail, où on vous appelait systématiquement par votre nom de famille. » Il suffit de penser à la première page de l’album de Tintin « Le Trésor de Rackham le Rouge » où un marin interpelle son camarade d’un bruyant « Hé! Van Damme! ».

Ce n’est plus le cas aujourd’hui où, sauf dans un cadre assez protocolaire, tout le monde s’appelle par son prénom. Entre collègues, dans les jeux télévisés, à l’école, sur le gobelet du Starbucks, dans la bouche du livreur... C’est le prénom qui ressort en premier lieu. « Or, il en existe moins que les noms de familles qui, en Europe, sont très très variés. Vous avez probablement un collègue qui porte le même prénom que vous, c’est moins sûr que ce soit aussi le cas avec votre nom de famille. Comme le prénom se met à jouer le rôle du nom de famille, celui de distinguer les personnes, il doit se diversifier. » Les futurs parents ont donc plus tendance à se creuser la tête pour trouver un prénom qu’ils aiment et qui n’est pas trop courant. En espérant secrètement que leur enfant sera le seul de la crèche ou de la classe à le porter...

Et avant?

Avant la généralisation des noms de famille, au XIIe et XIIIe siècle, le prénom sert principalement à distinguer les individus. Il perd ensuite de son importance: les prénoms masculins passent alors du grand-père ou du parrain au bébé ; sont ancrés dans la langue locale et liés aux saints locaux. Les prénoms des filles, rapidement internationalisés (Marie, Sophie, etc.) se retrouvent dans toutes les cultures européennes et méditerranéennes. À la Révolution française, la loi du 11-21 germinal de l’an XI impose aux parents le choix de prénoms déjà portés par des personnages historiques ou présents dans le calendrier des Saints. Elle reste en usage jusqu’en 1987. Pour la contourner, certains parents donnent alors un prénom « officiel » à leur enfant, en utilisant un autre dans la sphère privée.

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