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Le naturisme nous séduit-il toujours autant?

Quoi de plus naturel que de profiter pleinement, dans son plus simple appareil, du soleil et de la nature ? Pourtant, le naturisme reste un sujet de plaisanterie; et ce mode de vie et ses adeptes, intrigants.

Pourquoi certaines personnes tiennent-elles tant à se dorer nues sur le sable ou à jouer à la pétanque en tenue d’Adam ? Un petit morceau de tissu ferait-il donc une telle différence ? Il semblerait que oui. Mais attention, naturisme n’est pas nudisme. Nuance!

Un retour à la nature

Les nudistes aiment quitter leurs vêtements et s’asseoir de temps à autre fesses nues sur l’herbe. Ou bronzer sans traces. Les naturistes, eux, obéissent à une philosophie de vie centrée sur le respect du corps et de la nature : mode de vie sain, sans alcool ni tabac, respect mutuel, refus de jeter quoi que ce soit par terre, végétarisme strict ou occasionnel... Ce courant a vu le jour au début du XXe siècle en réaction à un monde de plus en plus industrialisé accusé d’aliéner l’homme. Déambuler nu, en plein air, était considéré comme une cure de santé et de lumière. Il faut attendre les années 1970 pour que les naturistes soient reconnus comme tels et bénéficient de plages et de domaines récréatifs dédiés. La Belgique n’a eu sa plage réservée aux nudistes qu’en 2001, voici tout juste quinze ans, lorsque Bredene donna enfin son feu vert. Aujourd’hui, notre pays compte une dizaine de sites naturistes.

Les naturistes obéissent à une philosophie de vie centrée sur le respect du corps et de la nature.

« Les naturistes ont toujours existé, assure l’anthropologue Chris Paulis de l’Université de Liège. Ils sont à la recherche d’un sentiment symbolique de liberté : ôter ses vêtements et revenir à l’état naturel. Après tout, c’est ainsi que nous sommes nés. La démarche est la même que celle du camping sauvage, il s’agit d’un désir de retour à la simplicité.... Parmi les naturistes, on compte néanmoins une minorité qui aiment se montrer. »

La Fédération belge de naturisme compte 7.500 membres.  » Je suis née naturiste, raconte Agnès Solon, secrétaire à la Fédération. J’ai grandi dans cet esprit et, à la maison, il était tout à fait normal, par temps chaud, de retirer ses vêtements. A 18ans, je suis devenue consciemment naturiste. Je me rends bientôt en France. Au programme ? Farniente, randonnées, pétanque, barbecues, papotages...

La philosophie d’origine est toujours bien vivace, en ce sens que la plupart des naturistes vivent effectivement dans le respect de la nature et des autres. Mais les règles sont devenues moins strictes. On a désormais le droit de boire un peu d’alcool et tous les naturistes ne sont pas végétariens. On respecte certaines obligations, mais pas toutes. Sur la plage et à la piscine, on doit être nu. Mais on peut garder ses vêtements dans certaines circonstances. Une femme indisposée garde un slip; pareil à vélo. Si on est sujet aux coups de soleil, il vaut mieux se couvrir. Le soir, au restaurant, on peut s’habiller. Tout cela se fait très spontanément.

Dans les magasins et au comptoir, certains campings exigent qu’on s’habille, d’autres non. Parfois, c’est laissé au choix de la personne. Une règle tacite veut qu’on emporte une serviette de bain avec soi, pour des raisons hygiéniques quand on s’assied sur une chaise, par exemple. On met donc dans ses bagages à peu près la même chose que pour des vacances classiques. Juste un peu moins de vêtements et un peu plus de crème solaire. »

Faut-il avoir peur des voyeurs ?

« D’une manière générale, je pense que les naturistes sont beaucoup plus cool et plus respectueux des autres, poursuit Agnès Solon. C’est un aspect important du naturisme, parce que sans vêtements, on est plus vulnérable. » Pour les naturistes, cette vulnérabilité est une question épineuse. Car avec une philosophie si pure, comment se protège-t-on des gens dont les intentions peuvent être moins louables ? Les voyeurs, par exemple. Ou ceux qui sont en quête d’aventures sexuelles... Il suffit de faire une recherche google sur la plage naturiste de Bredene pour en ternir l’image idyllique.

 » Il y a une différence entre plage nudiste et domaine naturiste, explique la secrétaire de la Fédération. La plage nudiste de Bredene est tout à fait libre d’accès. N’importe qui peut la fréquenter, alors qu’en Belgique, pour entrer dans un camp naturiste, il faut posséder une carte de membre. Pour en obtenir une, il faut donner ses coordonnées complètes, ce qui instaure une forme de contrôle. En cas de problème, on doit rendre sa carte de membre et il arrive que nous prenions d’autres mesures. On est donc parfaitement en sécurité dans un domaine naturiste.

Nous repérons tout de suite les voyeurs. Les hommes qui auraient de mauvaises intentions sont, eux aussi, vulnérables. Il est, par exemple, interdit de filmer ou de prendre des photos dans les camps ou sur les plages naturistes. Pour la plupart des naturistes, cela ne pose aucun problème, car ils ne sont pas accrochés à leur smartphone ou à leur tablette. Si, malgré tout, on est photographié et qu’on estime qu’il y a eu atteinte à la vie privée, on peut porter plainte. On ne se dévisage pas entre naturistes. Chacun est accepté tel qu’il est. Inutile de cacher un bourrelet ou une cicatrice. Pour nous, il n’y a rien de plus neutre qu’une corps nu. Une personne en maillot ou en bikini est, elle, jugée beaucoup plus sexy. »

« Les voyeurs sont rarement exhibitionnistes, confirme Chris Paulis. Or, sur les sites naturistes, il faut se déshabiller. Bien sûr, le risque zéro n’existe pas. Mais on peut tomber sur un voyeur n’importe où... »

Du naturisme au libertinage

La prudence est cependant de mise si vous souhaitez rejoindre un domaine naturiste. En effet, si les lois belges sont sévères, il n’en va pas forcément de même à l’étranger. En France, la carte de membre n’est pas exigée.  » Nous séjournions souvent au Cap d’Agde, dans le Midi de la France, mais le domaine a beaucoup changé, racontent Walter et Lieve Jaspers, de Hombeek, naturistes convaincus depuis quarante ans. Avec l’arrivée des nightclubs et de boutiques un peu spéciales, l’endroit est devenu carrément libertin et a attiré un autre type de public, tout en gardant le nom de village naturiste mais cela n’a plus grand-chose à voir avec le naturisme des débuts. Or, ce que nous aimons, c’est le vrai naturisme. Nous attachons de l’importance au respect du calme et de la nature. Pour nous, c’est un style de vie. Chez nous aussi, nous aimons être nus. Dans le temps, nous emmenions nos enfants et nos petits-enfants mais nous n’osons plus le faire. On doit faire attention où on va sur le domaine et il arrive que nous soyons témoins de choses qui relèvent du domaine privé. Comment expliquer cette évolution ? L’approche du naturisme est devenue trop commerciale. Les véritables naturistes sont détachés du matériel et consomment peu. A l’inverse, les gens en quête d’aventures sexuelles fréquentent les clubs, achètent de la lingerie et des gadgets. Ça rapporte ! Attention, nous restons naturistes dans l’âme mais nous avons envie de retrouver un endroit fidèle aux vraies valeurs. Bredene, par exemple, n’est pas une plage naturiste, c’est une plage de nudistes. « 

Un sentiment de liberté totale

« Le naturiste n’a ni d’âge, ni de profil particulier. Les adeptes peuvent être universitaires ou non, jeunes ou moins jeunes, trois générations se côtoient souvent, analyse Chris Paulis. « Les habitués de nos domaines reflètent assez fidèlement la société actuelle, renchérit Agnès Solon. Même si nous avons l’impression d’attirer un peu plus d’hommes et de personnes âgées. Nous ignorons pourquoi... Peut-être parce que cette génération dispose de plus de temps et que les femmes sont plus complexées par rapport à leur physique. Pourtant, chez nous, le physique ne compte pas. Nous avons aussi des familles avec enfants. Mais les adolescents ont plus de mal. Ils se sentent rarement très bien dans leur corps et peuvent garder leurs vêtements ou une serviette autour des reins. » « A l’adolescence, nos enfants n’ont plus voulu se dénuder« , se souvient Lieve Jaspers. Le naturisme, c’est aussi savoir respecter cela et ne forcer personne. »

Comment expliquer que la nudité connaisse un succès tel que de plus en plus de resorts, de campings et de domaines lui soient consacrés ? Un petit morceau de tissu en plus ou en moins fait-il tant de différence? « Mais oui, assure Agnès Solon. On oublie son stress quand on ne doit plus rien cacher. On sent l’air et l’eau caresser des parties du corps d’habitude enfermées dans des vêtements. Marcher pieds nus, c’est tellement plus agréable qu’avec des chaussures ! Tous les sens sont en éveil. C’est comme prendre un bain. Personne ne se baigne habillé, non ? La nudité n’est pas un tabou. On jouit d’une totale liberté. »

Nu, tout le monde est sur pied d’égalité : il n’y a plus de différence entre un roi ou un comptable !

« C’est précisément ce sentiment de liberté qui est fantastique, s’enthousiasme Lieve Jaspers. Se lever et ne pas devoir enfiler de vêtements, quel bonheur ! C’est difficile à expliquer; il faut en avoir fait l’expérience. Côtoyer d’autres naturistes est aussi très agréable. On a un centre d’intérêt commun et cela crée tout de suite un lien. Dans un camp naturiste, les différences et les inégalités sont gommées. Nu, tout le monde est sur pied d’égalité : il n’y a plus de différence entre un mendiant, un roi ou un comptable. Après les vacances, par contre, c’est dur de se réhabituer aux vêtements ! »

Plus pudiques qu’il y a trente ans...

La Fédération belge de naturisme voit cependant le nombre de ses membres diminuer d’année en année. Sans trouver d’explication, selon sa secrétaire.  » Les gens ont moins envie de s’inscrire dans un club. Et je suppose que l’influence de l’islam freine le développement du naturisme. C’est une culture qui tolère moins la nudité. Au final, c’est devenu plus compliqué qu’il y a trente ans. Les gens sont plus prudes. Dans les années 1980, je pouvais donner le sein à mes filles sans problème. Aujourd’hui, on fait des remarques aux femmes qui s’y risquent. De même, on ne voit presque plus de monokinis. »

« C’est une question de perception, nuance l’anthropologue liégeoise. On peut établir un parallèle avec les gens qui se sentent moins en sécurité parce que davantage de musulmans vivent dans leur rue. Le naturisme pose question dans toutes les cultures. Chez nous comme ailleurs. Les musulmans n’ont tout simplement pas besoin de naturisme, ils ont le hammam. Chez eux aussi, la nudité joue un rôle. Mais ils se dénudent dans l’espace clos du hammam, hommes et femmes chacun de leur côté. Il serait absurde de prétendre qu’ils sont moins tolérants que nous à l’égard de la nudité. »

« J’ai l’impression que le naturisme a toujours été accepté, conclut Lieve Jaspers. Nous invitons notre famille et des amis. Les patients de Walter savent qu’il est naturiste. Et ceux qui ne l’acceptent pas, tant pis pour eux. La façon dont nous passons nos vacances ne regarde que nous. »

Le site de la Fédération belge de naturisme, www.naturisme.be, reprend la liste complète des campings et des domaines récréatifs

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