Le hasard inouï de notre existence

Le développement d’un simple ovule en être humain complet et achevé dans toute sa complexité est une aventure scientifique fascinante. Un récit tissé de hasards, qui commence par la sélection d’un seul spermatozoïde parmi des milliers d’autres, capable de fusionner avec cet ovule.

Cette aventure fascine depuis des années l’anatomiste Alice Roberts, par ailleurs médecin et paléoanthropologue. Plusmagazine.be a eu la chance d’évoquer avec la spécialiste les hasards et le génie de notre existence. « Plus je me plonge dans la structure et le fonctionnement du corps humain, plus je me rends compte à quel point nous sommes en réalité faits d’un patchwork de fragments et de morceaux de toutes sortes. C’est absolument génial, mais pas toujours exempt de défauts ... », assure Alice Roberts.

L’embryologie et l’évolution expliquent pourquoi nous sommes ce que nous sommes

« Dans toute l’évolution, il n’existe aucun organisme qui s’est formé entièrement à partir de rien. Lorsque nous étions embryon, le fait de posséder un sac vitellin, même si nous sommes des mammifères avec un placenta et qu’il n’y avait par conséquent pas de vitellus dans ce sac, prouve que nos ancêtres y ont déposé des oeufs.

Au cours de la quatrième semaine après la fécondation, l’embryon humain ressemble à s’y méprendre à un embryon de poisson au même stade de développement. Durant la cinquième semaine, lorsque les membres commencent à se former, il a davantage de points communs avec un embryon de poulet et quelques semaines plus tard, la ressemblance est frappante avec les embryons des autres mammifères. C’est seulement lorsque la tête se forme et que les doigts et les orteils apparaissent, qu’on remarque clairement que l’Homme est un primate.

Mais nous ne parlons ici que des apparences. Les recherches embryonnaires ont fait un bond en avant avec la découverte de l’ADN comme support de l’information génétique. L’ADN est composé de quatre éléments appelés nucléotides. L’ordre dans lequel se succèdent les nucléotides le long d’un brin d’ADN constitue la séquence de ce brin. C’est cette séquence qui porte l’information génétique. Le séquençage complet de l’ADN du génome humain n’est connu que depuis 2001. Il permet d’analyser plus en profondeur les similitudes extérieures et plus particulièrement les ressemblances entre notre code génétique et celui d’autres espèces animales.

Si nous examinons notre anatomie, on se rend compte que nous ne sommes pas au paroxysme de l’évolution. Nous ne sommes pas tout à fait parfaits. Mais en termes de sélection naturelle, nous nous débrouillons pas mal, ce qui explique pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. L’embryologie et l’évolution nous apprennent pourquoi notre corps est tel qu’il est ».

Pouvez-vous nous donner d’autres exemples qui se réfèrent clairement à notre évolution ?

« Saviez-vous qu’à l’état de foetus, vers la cinquième semaine de vie, nous développons des branchies, cinq de chaque côté pour être précis, souvenir de nos ancêtres poissons? Mais elles ne se sont jamais développées en véritables branchies. C’est sans doute dommage, car nous aurions ainsi pu respirer sous l’eau sans problème. Mais alors qu’elles n’avaient aucune utilité lorsque ces ancêtres rampaient sur le sol, elles n’ont pourtant pas disparu. Pour nous, l’évolution a en revanche fait en sorte qu’elles soient destinées à autre chose: des petites parties de ces branchies ont donné naissance au larynx ».

Vous parlez d’une évolution géniale, mais pas toujours exempte de défauts. Qu’entendez-vous par là?

« Ce ne sont pas vraiments des défauts, mais tout au moins des bizarreries. Arrêtons-nous un instant sur le larynx. Le nerf qui part du crâne (le dixième nerf crânien) et dont une ramification se dirige vers le larynx ne parcourt pas un chemin direct. Il descend d’abord dans le cou pour gagner la poitrine avant d’emprunter un virage en U et de remonter vers le larynx. Un fameux détour ...qui est encore plus impressionnant chez la girafe! Pourquoi ce parcours au lieu d’emprunter le chemin de la ramification horizontale directe située dans le cou? Eh bien cette bizarrerie est due aux branchies. Les artères qui se trouvent dans ses branchies relient le coeur de l’embryon à l’aorte. Au stade embryonnaire, le coeur se développe donc dans la région du cou. Ce n’est que plus tard au cours du développement que le coeur va descendre dans la cavité thoracique. Dans sa descente, il entraîne vers le bas les artères ainsi que les nerfs laryngiens qui se sont formés depuis.

Un autre exemple de bizarrerie est la formation du coeur. L’embryon, baigné dans le liquide amniotique, est nourri en oxygène grâce à la veine ombilicale de la mère. La circulation sanguine est à ce stade très simple, comme chez le poisson. Le coeur humain ressemble d’ailleurs à un coeur de poisson. A la naissance, le coeur a besoin de quatre chambres. Mais jusqu’au moment du premier souffle qui suit la naissance, il continue à fonctionner grâce à une circulation du sang particulièrement simple. Une valve doit se former et elle ne se fermera qu’à la naissance pour séparer la circulation pulmonaire (entre les poumons et le coeur) de la circulation systémique (entre le coeur et le reste du corps). Cette fermeture est rendue possible par la différence de pression dans les chambres du coeur lorsque le bébé commence à respirer. Au cours des premiers mois après la naissance, les deux parties de la valve vont se développer ensemble. Il arrive parfois que les deux parties ne se chevauchent pas suffisamment. La valve ne peut alors se refermer correctement et un trou demeure dans le coeur. Les deux systèmes circulatoires ne sont pas assez séparés l’un de l’autre, ce qui engendre des complications. Heureusement, il est aujourd’hui tout à fait possible de refermer de tels trous grâce à une intervention chirurgicale.

Il existe encore de nombreux autres exemples concernant la formation à la fois complexe et merveilleuse de notre corps. Nous les devons à notre évolution, mais cela aurait été mieux si un créateur avait créé l’homme à partir de rien ».

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