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La pension, un nouvel élan pour le couple

Dans un couple, le départ à la retraite représente une étape dans la relation qui suscite souvent pas mal d’inquiétude. Patience et ouverture à l’autre sont de mise pour se réinventer et prendre un nouveau départ.

La perspective de voir votre vie réduite aux balades à vélo et aux terrasses en tête-à-tête ne vous réjouit guère. L’interventionnisme de votre partenaire dans la gestion du ménage vous fait peur. Son ambition de jouer son rôle de grand-père/mère à temps plein avec pour conséquence la présence quotidienne des petits-enfants n’est pas pour vous plaire. De quoi parlerez-vous dorénavant ? Autant d’idées qui peuvent inquiéter quand sonne l’heure de la retraite pour l’un des deux, voire les deux partenaires.

« La retraite représente un changement de cap à 180 degrés, avec un impact non négligeable sur la relation, analyse Kries Van Damme, psychologue et thérapeute relationnel. Le couple entame alors une nouvelle phase de conscientisation : chacun prend conscience de ses responsabilités comme lorsqu’il/elle devient parent ou que le conjoint tombe malade. »

QUE SUIS-JE SANS MON TRAVAIL ?

« Certains s’identifient complètement à leur travail : « Bonjour, je m’appelle Untel et je suis avocat.e. » Sans profession, c’est comme si la vie perdait tout son sens. Il faut une sacrée volonté pour se forger une nouvelle identité », avance Kries Van Damme. La fin d’une vie professionnelle impliquant de grandes responsabilités ou la direction d’une équipe peut aussi générer une certaine anxiété. « À la maison, votre statut est radicalement différent. Vous vous demandez alors : qui suis-je vraiment ? Qu’est-ce que je représente pour ma/mon partenaire ? Certains ne vous accordent plus la même considération. »

MA PETITE ENTREPRISE

Tant qu’un des partenaires ou les deux travaillent, la famille se gère comme une petite entreprise : on conduit les enfants à l’école, un des deux va les chercher et prépare à manger. Mardi cours de yoga pour Madame, mercredi et vendredi tennis pour Monsieur... « De nombreuses dispositions pratico-pratiques sont prises pour faire tourner la petite entreprise familiale, constate Kries Van Damme. Mais la retraite chamboule complètement cet emploi du temps. On se retrouve en tête-à-tête et on se rend compte qu’on a parfois pris des chemins divergents. La retraite est un moment de la vie où il faut prendre un nouvel engagement.

Bien de l’eau a coulé sous les ponts. Un des partenaires connaît peut-être des problèmes de santé ou vous avez perdu un être cher. La façon dont vous avez digéré le passé peut aider à trouver un nouvel équilibre, à mieux négocier cette nouvelle phase de vie. »

Le nouveau retraité a horreur qu’on lui impose ce qu’il doit faire

Kries Van Damme distingue deux grandes tendances. « Certains veulent fusionner, tout faire ensemble. D’autres, au contraire, souhaitent chacun prendre du temps pour soi après s’être beaucoup investis dans leur vie professionnelle et familiale. » La première attitude peut procurer un sentiment de sécurité mais aussi d’oppression. La seconde peut susciter la crainte de voir les chemins s’écarter un peu plus. « Il est aussi des couples qui se retrouvent au moment de la retraite. Toute la difficulté consiste à prendre conscience que chacun a suivi son propre chemin pendant tout un temps et qu’il est aujourd’hui dans l’intérêt de chacun de reprendre un cheminement commun. »

ACCEPTER LES DIFFÉRENCES

Le rapprochement des chemins individuels peut provoquer certaines tensions, voire des conflits. De vieux démons peuvent resurgir à ce moment délicat qu’est la retraite. Pour commencer, il faut souvent se contenter de moyens financiers plus limités. La manière de gérer les ressources peut diverger. Par exemple, votre partenaire veut s’offrir le luxueux camping-car dont il a toujours rêvé pour sillonner l’Europe alors que de votre côté, vous préféreriez ne pas toucher à votre compte d’épargne pour parer à d’éventuels frais médicaux.

Au niveau de la sexualité également, les choses ne sont pas toujours simples. Enfin libéré de tout stress professionnel, l’un aimerait plus d’intimité et une vie sexuelle plus intense alors que l’autre ne voit pas nécessairement les choses de la même façon. Le désir d’intimité, de partage de moments de bonheur et de gestes de connivence n’est pas mort pour autant. « Dans une relation saine et équilibrée, ces différences sont perçues comme naturelles et il n’est pas question de se battre pour imposer sa vision des choses. »

Accepter l’idée d’avoir pris des chemins différents est un premier pas important vers les retrouvailles. Prendre conscience de ne plus partager la même vision des choses sur certains points et en parler constitue l’étape suivante. « On a facilement tendance à s’inventer des occupations et pour soi, et pour sa/son partenaire. Surtout au moment de la retraite, constate la thérapeute relationnelle. Une fois votre conjoint retraité, vous aimeriez le voir s’occuper du jardin. N’avait-il pas laissé entendre qu’il aimerait partir plus souvent à la pêche avec ses amis ? Ou encore : vous achetez des tas de livres pour qu’il/elle se remette à la lecture. Or, c’est précisément ce dont a horreur le nouveau retraité : qu’on lui impose ce qu’il doit faire. »

La vraie question à se poser, selon Kries Van Damme, est celle-ci : pourquoi sa/son partenaire veut ou ne veut plus faire certaines choses ? « Demandez-vous pourquoi votre conjoint n’aime plus lire, pourquoi il a une soudaine envie de jouer au golf. La curiosité, la volonté de mieux comprendre l’autre est fondamentale. La/le regarder comme au premier jour est la seule façon de réinventer la relation. » S’intéresser à l’autre, intégrer ses nouveaux centres d’intérêt, ses nouveaux amis, partager ses nouvelles expériences permet de s’enrichir mutuellement et de nourrir votre nouvelle vie commune.

Apprenez à exprimer vos sentiments

Le départ à la retraite rime souvent avec frustration et insécurité, sentiments qu’il est parfois difficile d’appréhender et de formuler. L’écoute mutuelle est indispensable pour une meilleure compréhension. Avez-vous bien compris ce que votre partenaire a essayé de vous dire ? Expliquez le plus clairement possible en quoi votre ressenti diverge ou non, ce qui vous tient réellement à coeur et demandez-lui ce qu’il en pense.

A :  » J’ai peur que ma vie devienne monotone.  »

B :  » Tu as perdu goût à la vie ? Ou tu t’inquiètes du rôle que tu pourrais encore jouer ?  »

A :  » J’ai peur de ne plus exister pour la société.  »

B :  » Tu as peur de ne plus exister pour la société alors que moi, je suis heureux.se de passer plus de temps avec toi à la maison. J’espère prendre avec toi une nouvelle direction commune pour retrouver la satisfaction de mener une vie pleine et utile. « 

S’INTERROGER SUR SES PROPRES FRUSTRATIONS

Le plus difficile pour un couple est le décalage entre le conjoint et le conjoint encore actif. Vous rentrez du boulot après une journée de travail et la lessive attend toujours, la pelouse n’a pas été tondue, le repas n’est pas prêt... Et votre conjointe vous raconte sa formidable balade à vélo avec les amis, suivie d’un verre en terrasse. Ou inversement : votre conjoint.e retraité.e s’investit tellement dans les tâches ménagères que vous ne vous sentez plus chez vous.

« Ce genre de situation peut générer des frustrations. Au lieu d’en faire le reproche à votre conjoint.e, commencez par analyser vos frustrations. Que révèlent ces irritations sur vous ? Sur votre vie ? À propos de la balade à vélo par exemple, vous pourriez dire : je suis heureux.se de savoir que tu as passé une bonne journée. Mais ce n’est pas drôle de rentrer fatigué.e le soir et de n’avoir rien à manger.  » Il est essentiel de pouvoir s’exprimer en toute franchise, question que l’autre puisse en tenir compte à l’avenir. C’est la définition même de l’amour. »

« Il faut aussi oser se montrer sous un jour plus vulnérable. Dire ce qu’on ressent, ce qui nous manque, ce qui pose problème, demander à l’autre comment il vit ce moment difficile pour évoluer l’un vers l’autre, retrouver un terrain d’entente. Il y a des moments où on ne sait plus ce qu’on veut, ce qu’on ressent, tellement on est habitué à répondre aux besoins des autres. Jusqu’à ce qu’apparaissent frustrations et colère. Une fois retraité, ce sentiment est encore plus difficile à supporter parce qu’il n’y a plus d’échappatoires. Ni dans le travail, ni dans les confidences aux collègues. Une période dangereuse où la tentation est grande de faire taire son ressenti avec l’alcool, les somnifères, les calmants... »

UN NOUVEAU DÉPART

Ceci dit, organiser sa retraite dans les moindres détails et s’inscrire dans une multitude d’associations et de clubs de loisirs n’est pas la meilleure idée. « Il est important de développer des centres d’intérêts en-dehors de son travail mais il faut à tout prix éviter de remplir complètement le vide de l’après-retraite, ce qui reviendrait à entrer dans le même carcan que celui de la vie professionnelle. Ne croyez pas non plus que vous êtes fin prêt, sans quoi les déconvenues risquent d’être plus cuisantes encore. Il est impossible de se préparer à un changement aussi radical. Prenez le temps de réfléchir à ce que vous aimeriez faire dans cette nouvelle phase de vie. Donnez le temps à votre partenaire de faire pareil. Ne considérez pas la retraite comme la dernière et ultime partie de votre vie, une dernière chance en quelque sorte, mais plutôt comme un nouveau départ. »

La crise sanitaire a agi comme un signal d’alarme pour Linda et son partenaire

« Quand j’ai pris ma retraite, mon partenaire me demandait constamment si je m’habituais à ma nouvelle vie. Lui travaillait encore et adorait son travail. Mais le coronavirus est passé par là et il a été licencié comme plusieurs de ses collègues. Son monde s’est écroulé. Il est devenu dépressif, fumait à longueur de journée dans le canapé, somnolait constamment, se traînait dans la maison. Je me sentais mal, moi aussi. J’avais perdu mon espace vital, ma liberté.

Un traitement pour chasser les idées noires et quelques séances chez le thérapeute m’ont aidée à tenir le coup. Tout est rentré dans l’ordre le jour où il a été réembauché. J’étais heureuse de le voir partir en voiture chaque matin. Mon compagnon va bien aujourd’hui. Il se préoccupe davantage de sa santé, fait attention à sa condition physique, se repose quand il en ressent le besoin. Mais surtout: il se projette dans l’avenir.

Il envisage de réduire son emploi du temps, voire d’arrêter de travailler. Il réfléchit à la meilleure façon d’occuper son temps libre. On en parle ensemble. Comment organiser notre future vie de retraités? Je veux pouvoir vaquer à mes occupations comme je l’entends, il veut rester actif et être utile, ce qui ne nous empêchera pas d’avoir des activités communes. »

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