Hélène et Monique © P.G

L’amitié n’a pas d’âge

Les différences d’âge ont-elles une importance en amitié? Mille fois non! Et c’est formidablement enrichissant. Voici les témoignages d’amis de tous âges.

Pendant des années, Beate Volker, professeur de sociologie urbaine (à l’Université d’Utrecht) s’est penchée sur tous les aspects des amitiés à l’âge adulte. Avec un constat: les vraies amitiés avec une grande différence d’âge sont aussi spécifiques que rares. « Nous avons demandé à un grand nombre de participants s’ils étaient amis avec une personne nettement plus âgée ou plus jeune qu’eux, en excluant les membres de leur famille. Au sein des familles, on rencontre assez souvent ce type d’amitié, par exemple entre une nièce et sa tante ou entre un grand-père et son petit-fils. Mais en dehors des liens familiaux, on a constaté que c’était vraiment très rare. En général, la différence d’âge ne dépasse pas cinq ans. Chez les jeunes, c’est même encore moins. Logique! Entre 55 et 60 ans, la différence d’âge se marque évidemment moins qu’entre 13 et 18 ans, par exemple. »

LE FOSSÉ DE L’ÂGE

La rareté des amitiés avec une grande différence d’âge s’explique par la façon dont l’amitié se noue. Il est normal de se rapprocher surtout de gens qui nous ressemblent au niveau du milieu social, de l’éducation, de l’ethnicité, du sexe et, effectivement, de l’âge. Notre société est en outre structurée de telle manière à ce que nous rencontrions principalement nos alter ego.

« On se fait en général des amis au sein de la même génération que soi. Pourquoi? Tout simplement parce que nous évoluons dans un contexte social bien précis, comme l’école ou un club de sport qui regroupent des gens qui ont plus ou moins le même âge. Et dans la majorité des lieux de loisirs, comme les bars, le fossé de l’âge persiste. Il y a donc peu de mélanges spontanés, ce qui complique la rencontre avec des personnes plus jeunes ou plus âgées. On peut aussi se faire des amis dans le cadre professionnel, même si ce n’est pas évident. Sur le lieu de travail, l’ambiance est beaucoup plus formelle et la concurrence entre collègues laisse parfois peu de place à l’amitié. Ceci dit, il y a des métiers où c’est tout à fait possible. »

Se faire un(e) ami(e) plus âgé ou plus jeune n’est pas seulement compliqué, c’est aussi parfois jugé suspect par les autres. « On assiste encore souvent à une forme de de stigmatisation, parce que la différence d’âge en amitié est hors norme. C’est pourquoi il faut parfois lutter contre certains préjugés, mais cela peut justement renforcer le lien. »

Les grands amis célèbres

On connaît tous des duos célèbres d’amis dont l’un des deux est nettement plus jeune – ou plus âgé – que l’autre. Dans les films ou les livres, on voit souvent un enfant se lier d’amitié avec une personne qui pourrait être son père, sa mère ou un grand-parent. On pense à Léon et Mathilda dans le film Léon de Luc Besson, à Harry Potter et le demi-géant Hagrid...

Parmi les amis d’âges différents, et bien réels ceux-là, citons Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Joseph Haydn (1732-1809). Ils avaient une grande différence d’âge, mais aussi des modes de vie diamétralement opposés. Mozart était un enfant prodige excentrique, né dans une famille aisée qui ne vivait que pour la musique, tandis que Haydn était issu de parents pauvres et ne perça que tard dans sa vie. Malgré tout, ils s’aimaient et respectaient profondément l’oeuvre de l’autre. Leur amitié avait éclos lors d’un séjour à Venise, en 1781. Haydn s’est fait le mentor de Mozart et Mozart a dédié six quatuors à cordes à son ami, les Quatuors Haydn.

LE CAPITAL SOCIAL

On devrait davantage encourager les amitiés avec une grande différence d’âge, et ce pour plusieurs raisons. « Ce sont des liens d’amitié qui abritent un énorme capital social que nous laissons aujourd’hui se perdre, souligne Beate Volker. L’aîné peut apporter des trésors d’expérience et de points de vue et peut aider le plus jeune à relativiser les choses, par exemple, s’il perd son emploi ou se fait du souci pour ses enfants. A l’inverse, le plus jeune peut aider l’autre à rester dans le coup en le familiarisant avec son monde, en lui expliquant les avancées numériques et technologiques, par exemple. Comme chacun en est à une phase différente de sa vie et évolue dans un cadre différent, ce sont des amitiés très enrichissantes.

Les deux amis peuvent également porter un regard différent de celui d’une personne du même âge. L’aîné se reconnaîtra en grande partie dans le plus jeune au même âge ou verra quelque chose qu’il a perdu au fil de la vie. Le plus jeune, de son côté, développera une forme d’admiration pour son ami et se dira qu’il a envie de vieillir de la même façon. C’est une très belle relation complémentaire. »

Dans une amitié si différente en termes d’âge, il est important qu’il y ait suffisamment de similitudes dans d’autres domaines pour que cela fonctionne pendant longtemps. « Le fait d’avoir la même conception de la vie, de partager les mêmes valeurs, d’avoir eu une éducation semblable, de partager une passion ou un hobby peut agir comme un ciment fort pour le lien d’amitié. L’âge alors ne compte plus. »

DES AMIS POUR LA VIE

Les amitiés sont par définition dynamiques, certaines s’étiolent, d’autres se renforcent. On remarque chez les amis qui présentent une grande différence d’âge qu’il s’agit souvent de relations stables et durables. « Il y a plusieurs raisons à cela. Parfois ils ont déjà dû surmonter certains obstacles, comme les commentaires de leurs proches. Ils ont également dû faire plus d’efforts que des amis du même âge, qui se rencontrent, naturellement, à l’école, dans un club de sport ou au café du coin. La différence d’âge fait que tous deux se trouveront forcément toujours dans des phases de vie différentes. Cela peut être un atout.

Dans les amitiés classiques, on voit souvent les gens s’éloigner lorsqu’ils font des choix différents dans une même phase de vie, comme se marier, avoir des enfants, changer de métier, déménager, etc. Alors que chez des amis d’âges très différents, cela n’entre pas en ligne de compte. Du coup, ils peuvent se concentrer sur l’essence de leur relation, sur ce qu’ils pensent et partagent réellement, en dehors du contexte dans lequel ils évoluent à un moment donné. »

Parfois, cette différence dans les phases de vie peut faire du tort à l’amitié et devenir un écueil. « Si une des deux personnes vit un événement particulier, comme un divorce qui l’absorbe entièrement, alors que l’autre voit les choses d’une autre perspective, il y a un risque qu’elles s’éloignent. Idem si le plus âgé, par exemple, tombe malade, a besoin de soins et que se voir devient plus difficile. Ce genre de situation exige de la part des deux parties un surcroît d’empathie et d’attention pour garder l’amitié à flot. »

Dirk, 47 ans, et André, 81 ans, sont très différents

J’ai fait la connaissance de Dirk il y a environ vingt-cinq ans, aux Archives générales du Royaume, où nous travaillions en tant que collègues sur des archives de la même époque. J’ai retrouvé chez Dirk le zèle et la passion qui m’animent, même s’il reste très modeste. Cela m’a plu tout de suite. On s’est immédiatement compris et très bien entendus. Nos caractères, différents au possible, se complètent à merveille. Dirk est sociable et extraverti, alors que je suis beaucoup plus introverti, raconte André.

Dirk: « Ce sont justement nos différences qui font que ça fonctionne si bien entre nous. Comme nous habitons assez loin l’un de l’autre, nous nous voyons trois ou quatre fois par an, pas plus. Mais entre deux rendez-vous, on s’écrit de longs e-mails. Quand je lui rends visite, j’ai l’impression d’être en vacances! On s’installe comme dans une bulle et on papote à n’en plus finir... André est fort attaché à ma famille et s’intéresse à tout ce qui nous concerne. Quand mon frère est décédé, André a été un énorme soutien pour moi, l’un des plus importants. »

André: « Nous sommes tous les deux des bons vivants. On adore s’offrir un bon petit resto ou faire des balades dans la nature. C’est amusant, mais nous avons tous les deux des problèmes d’ouïe, alors on évite au maximum les endroits bruyants. Entre nous, la différence d’âge n’a aucune importance. »

Dirk: « Cette différence d’âge ne se voit qu’à des petits détails. Par exemple, au restaurant, j’aide André à remettre sa veste. Et j’ai tendance à m’inquiéter pour lui quand je n’arrive pas à le joindre immédiatement... André est resté actif professionnellement, comme chercheur, et de temps en temps il me demande de l’aider, par exemple pour me plonger dans les archives ou dans la bibliothèque à sa place. »

Dirk et André
Dirk et André© Frederic Raevens

Hélène, 55 ans, et Monique, 80 ans, prennent soin l’une de l’autre.

J’ai rencontré Monique il y a une vingtaine d’années, lors d’un entretien d’embauche dans une fabrique qui imprime des ballotins pour les chocolatiers. Avec son époux, Monique était la concierge de l’usine. Avant de pénétrer dans la salle de réunion, j’ai croisé cette petite dame blonde, qui m’a gentiment adressé la parole. Elle m’a demandé ce que je venais faire, m’a mise en confiance, disant que je serais bien au sein de l’entreprise. Et de fait, j’ai eu la place... Monique dit toujours que c’est un peu grâce à elle que j’ai été embauchée! (rire)

Pendant les dix années où elle a encore travaillé sur place, Monique était toujours aux petits soins avec les travailleurs. Une belle amitié s’est créée au fil du temps et, quand elle est partie à la retraite, je me suis rendu compte qu’elle était devenue une amie indispensable, que je n’avais pas envie de ne plus la voir. Finalement, c’est après son départ que notre amitié s’est vraiment consolidée!

Il n’y pas de choc des générations entre nous: elle a 80 ans mais, quand je la regarde, j’ai l’impression qu’elle n’a pas changé du tout en vingt ans. Elle reste très active, très jeune d’esprit, très impliquée, notamment dans une école de devoirs. En réalité, cette différence d’âge est plus une richesse qu’un inconvénient: elle offre un regard différent sur la vie. En Monique, qui est assez maternelle, je retrouve aussi un peu la maman que je n’ai pas eue quand j’en aurais eu besoin – ma maman est décédée quand j’étais jeune.

Pour autant, je ne la considère pas comme une seconde mère: c’est juste davantage qu’une simple amie, une personne qui m’est très précieuse. Nous prenons soin l’une de l’autre, nous nous disons ce qui ne va pas dans nos vies, mais aussi tout ce qui va bien. Si elle a besoin de moi, elle sait qu’elle peut toujours m’appeler. Elle a vu mes enfants grandir et envoie une carte pour leur anniversaire. Je fais de même pour les siens, même s’ils ont le même âge que moi! (sourire)

Le fait que Monique soit d’une génération différente fait qu’elle a plein de choses à raconter: elle a connu une époque qu’on ne pourrait même pas soupçonner. Sa vie est d’une richesse incroyable, un véritable bouquin! Elle vient d’une famille de 14 enfants, a grandi dans un Molenbeek qui n’existe plus, elle a fréquenté le même cours de danse qu’Annie Cordy...

Avec le confinement, nous n’avons plus pu nous voir comme nous le souhaitions. Mais dès septembre, après le covid, nous recommencerons nos petits rendez-vous, nous reprendrons nos vieilles habitudes. En attendant, ce témoignage, c’est un peu une façon pour moi de lui assurer mon amitié avec tendresse, et de la remercier pour tout ce qu’elle m’a donné, légué, transmis, avec les vingt années qu’elle a de plus que moi. Merci Monique! »

Marleen, 64 ans, et Tine, 44 ans, partagent le même goût de l’aventure

Avec Tine, j’ai ressenti une connexion dès notre deuxième rencontre. La première, c’était à l’école, pour le premier jour de ma fille en primaire. Tine a 6 ans de plus que ma fille et elle s’est spontanément rapprochée d’elle. Des années plus tard, lorsque j’ai rejoint un orchestre en tant que clarinettiste, nous nous sommes revues par hasard. J’avais alors une quarantaine d’années et deux grands ados. Tine avait dans les vingt ans et était encore aux études. Mais nous nous sommes très bien entendues dès que nous nous sommes revues.

Après les répétitions, nous allions prendre un verre, nous passions des soirées entières à nous amuser, mais aussi à parler de choses plus profondes. Mon lien avec Tine n’a cessé de se renforcer et, aujourd’hui, je la considère comme une de mes meilleures amies », raconte Marleen.

« Nous avions chacune des situations familiales très différentes, mais ça ne nous a pas empêchées de parler de tout à coeur ouvert. En tant que jeune femme de 20 ans, je trouvais fascinant d’entendre ce que mon amie, plus âgée, vivait de son côté. Je sais que si j’ai un problème aujourd’hui, c’est vers Marleen que je me tournerai en premier lieu. Comme elle a plus une plus grande expérience de vie, elle peut me donner des conseils différents de ceux que me donneraient des amies de mon âge », sourit Tine.

Marleen: « J’ai beau être la plus âgée, je ne pense pas tout savoir mieux que Tine. En tout cas, on sait qu’on est là l’une pour l’autre. Tine est d’ailleurs déjà venue à ma rescousse! Lors d’un voyage en Tunisie, j’ai été escroquée par un vendeur de voitures. Sans hésiter une seconde, Tine m’a envoyé l’argent nécessaire pour que je puisse acheter un autre véhicule! »

Tine: « Je fais souvent des projets un peu fous et Marleen est toujours prête à me suivre. Nous avons déjà plusieurs fois pris la route jusqu’en Tunisie avec une voiture pleine à ras-bord, pour meubler la maison que Marleen possède là-bas. »

Marleen: « L’âge ne compte pas pour moi! D’ailleurs, mon compagnon a 26 ans de moins que moi. Bien sûr, physiquement je suis parfois un peu à la traîne, mais pas mentalement! »

Tine: « Marleen est en pleine forme et les gens qui nous voient remarquent à peine qu’elle a vingt ans de plus que moi! »

Marleen et Tine
Marleen et Tine© FRANK BAHNMÜLLER

Guido, 72 ans, et Annick, 49 ans, sont sur la même longueur d’onde

Nous nous sommes rencontrés il y a une bonne dizaine d’années, dans le club de théâtre que ma copine de l’époque et moi avions rejoint. Le courant est bien passé avec Guido et sa copine, et après une répétition, nous avons décidé de partir en vacances ensemble, raconte Annick. Nous avons vite découvert que nous aimions les mêmes choses. Tout s’est super bien passé. Depuis, nous partons en vacances ensemble quasiment chaque année. Y compris avec nos trois jeunes enfants – même si Guido, lui, a depuis longtemps dépassé ce stade. L’âge n’a pas vraiment d’importance. Il nous suffit de deux mots pour éclater de rire. »

« Je n’ai jamais l’impression d’être avec quelqu’un de beaucoup plus jeune, enchaîne Guido. Un soir, après une répétition, au bar, on a longuement discuté et on s’est dit: On va rester amis jusqu’à la mort. Et si, un jour, on risque de se voir moins, on fera un effort pour rester en contact. Nous sommes là l’un pour l’autre, même dans les moments difficiles. »

« Nous avons déjà mis en scène une pièce de théâtre à deux et cela s’est super bien passé. Certes, je fais un peu plus de mon nez, parce que je suis comme ça... Guido, lui, dira la même chose, mais d’une façon plus calme. Nous avons des tempéraments différents mais très complémentaires. »

Guido: « Au cours d’une vie, on rencontre beaucoup de gens sympas, surtout quand on est actif dans une association. Et beaucoup restent de bons amis, mais souvent on ne se voit que de loin en loin. Mais quand quelqu’un est vraiment proche, comme Annick que je vois très souvent, c’est très enrichissant. Je me suis marié récemment et il était évident pour nous qu’Annick et son ex-femme – avec qui nous avons gardé d’excellents contacts – seraient nos témoins. »

« Depuis que j’ai divorcé, j’ai du mal à savoir ce que j’attends de la vie dans ce domaine, avoue Annick. Je sais que ma nouvelle compagne devra bien s’entendre avec les gens qui me sont chers. Le lien que j’ai avec Guido en dit long sur celle que je suis ou que je veux être. Nous nous ressemblons sur bien des points. Alors quelqu’un qui ne s’entendrait pas avec mon ami le plus cher ne risque pas de m’apprécier beaucoup non plus... »

Contenu partenaire