Anne Vanderdonckt

Jamais sans mon émoji

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

Il y a quelques années, un lecteur m’envoie un mail pointant d’un adjectif furax une phrase dont j’avoue ne plus me souvenir aujourd’hui. Je lui réponds que j’avais juste tenté une pointe d’humour et que la phrase était à prendre au second degré. « Ah, mais quand vous faites de l’humour, il faut le signaler alors! », rétorque l’homme. Bon, c’est vrai, tout le monde ne manie pas l’humour de la même manière et ce qui fait rire l’un laisse l’autre de marbre. On court donc toujours le risque d’être mal compris par l’un, par l’autre, voire par tout le monde. C’est là une grande leçon de journalisme. Et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles les journaux ne sont pas plus marrants.

Remettons maintenant cette anecdote à la mode de 2023. Vraisemblablement, ce lecteur n’aurait jamais été choqué car l’intention humoristique de ma phrase aurait été soutenue par un émoji. Et si je n’avais pas utilisé d’émoji dans le magazine (car cela reste quand même largement l’apanage des e-mails, des sms et des médias sociaux), je lui aurais répondu avec les mêmes mots sans doute, mais en terminant avec un petit smiley indiquant ma sympathie, et on se serait quittés amis.

Né avec le téléphone portable, descendant de l’émoticône (combinaison de signes de ponctuation ; -) par ex), l’émoji est un communicateur efficace. En un minuscule dessin, ce signe indique votre état d’esprit, l’émotion que vous souhaitez faire connaître ou partager, rectifiant ainsi la neutralité ou la sécheresse d’un message tiré d’un ordinateur ou assimilé.

Lointain cousin des hiéroglyphes ou des pictogrammes, il peut aussi considérablement diminuer la longueur d’un sms ou d’un tweet, formats courts par essence. Je n’ai rien vu, rien entendu, je ne dirais rien. Clair et court. Simple, prêt à l’emploi dans notre machine, il est égalitaire, effaçant le fossé entre ceux qui écrivent sans fautes et les allergiques au Bescherelle, à condition que ces derniers s’en tiennent au dessin bien sûr.

Espéranto compris par tous, l’émoji, dont le répertoire est de plus en plus étoffé, raconte son époque. Aujourd’hui, les personnages se déclinent en diverses couleurs de peau et de cheveux, le couple peut être homosexuel, la famille homo ou monoparentale, la personne handicapée et les métiers exercés au masculin ou au féminin. Le microbe, très présent dans nos conversations depuis le covid, s’est taillé une place de choix. De fait, n’importe quelle communauté peut demander à figurer dans le catalogue des petits dessins numériques.

Dont l’usage en raconte beaucoup sur vous... et sur votre âge. Boudé par les jeunes, l’émoji qui pleure de rire a été ainsi progressivement disqualifié au profit de l’émoji qui pleure à chaudes larmes. Lui-même remplacé par une tête de mort. Il faut suivre! Mais cela n’a rien de particulier, cela a toujours été le cas avec des mots boudés ou lancés par les jeunes soucieux de se créer une identité. L’émoji ou le prolongement d’une langue qui évolue pour s’inscrire dans son temps.

Bonne année.

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