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Herman De Croo : « Le talent, ça se partage! »

Ann Heylens Journaliste

À une époque où les carrières politiques ont tendance à s’écourter, le ministre d’Etat Herman De Croo fête ses cinquante ans de vie parlementaire et publie sa biographie.

Un demi-siècle de politique belge dont plus de dix ans à des fonctions ministérielles, huit ans de présidence de la Chambre et près de vingt ans de mayorat. Le politicien libéral est assurément un témoin privilégié de son temps. Mais l’Oracle de Brakel ne ferait pas honneur à son surnom s’il se contentait de jeter un regard en arrière. Herman De Croo, 81 printemps, est plus occupé que jamais et résolument tourné vers l’avenir. Véritable workaholic, il nous a fixé rendez-vous dans son bureau au Parlement flamand.

Vous faites de la politique depuis plus de cinquante ans. Qu’est-ce qui vous motive ?

J’ai toujours été hyper actif. J’ai exercé plusieurs professions : agriculteur, avocat, professeur. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas comment j’ai fait.

Une journée ne compte que 24 heures...

J’optimise mon temps. Mon activité est de 30 % supérieure à la moyenne. Je ne m’octroie jamais de week-ends, ce qui fait 104 jours par an. Je ne prends pas de congés, 20 jours de gagnés. Je travaille 70 à 80 heures par semaine, soit quasi une demi-année de plus, pendant laquelle je peux faire énormément de choses. Je reçois plus de 3.600 invitations par an et j’en honore 800. Généralement sans compensation aucune. J’ai beaucoup à faire à la maison également. Je n’ai jamais considéré mon activité comme un travail à proprement parler. Je suis continuellement occupé, c’est tout. J’aime ce que je fais, sans quoi je ne le ferais pas. Notez, je petit-déjeune quand même tous les matins avec ma femme (rires).

J’entretiens une relation fantastique avec mes enfants Alexander et Ariane.

Quel est votre secret pour soutenir un tel rythme ?

Je passe 1.500 heures par an en voiture mais heureusement, j’ai un chauffeur, ce qui me permet de travailler pendant les trajets. Sans quoi cela ferait 1.500 heures de perdues car les navettes représentent quand même 3 à 4 heures par jour. Quand Alexander a été nommé président de parti, je lui ai conseillé de prendre un chauffeur. Encore faut-il être capable de travailler à l’arrière d’une voiture. Je connais un Premier ministre qui devenait nauséeux en voiture, donc incapable de faire quoi que ce soit. Quelle perte de temps. Heureusement, Alexander et moi n’avons aucun problème de ce côté-là.

Que faites-vous pour vous détendre?

L’équitation m’assure la détente mentale. Je me vide la tête quand je monte à cheval. Impossible de penser à autre chose. Si vous montez la tête pleine de soucis, le cheval le ressent. Je monte une fois par semaine avec Alexander. Une heure et demie pendant laquelle je ne pense à rien. Des moments rares et précieux. Je ne devrais plus monter à cheval parce que l’équitation est malgré tout un sport assez dangereux. Je suis déjà tombé plusieurs fois. Mais bon, il y a tellement de choses qu’on n’est pas censé faire... J’ai la chance d’habiter les Ardennes Flamandes, une superbe région. Il n’y a pas un sentier dans un rayon de 15 km que je n’aie encore emprunté. Je fais aussi de la natation deux fois par semaine. Alexander et moi vivons à proximité et nous avons fait installer une piscine dans une vieille grange. Avant, je me rendais à la piscine communale tous les dimanches et je me retrouvais à faire de la politique en maillot de bain ! J’étais constamment sollicité. Désormais, je peux nager à mon aise, quand j’en ai envie.

Conseillez-vous votre fils ?

S’il me le demande, uniquement. Nous nous entendons très bien, Alexander et moi. Nous discutons de tout et de rien. Notre relation va bien au-delà d’une simple relation père-fils ou père-fille en ce qui concerne Ariane. Nous sommes de véritables amis ! Alexander et sa soeur entretiennent aussi des liens très étroits. Il n’y a rien que je puisse dire à Ariane qu’Alexander ne sache déjà et inversement.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

De faire partie d’une famille qui a toujours oeuvré pour l’intérêt général. Mon père était bourgmestre lui aussi. Il disait toujours :  » Quand tu as du talent, il ne faut pas le cacher mais le partager. Quand tu as la chance d’avoir de bonnes capacités physiques et intellectuelles, tu dois en faire profiter les autres.  » Une philosophie inscrite dans nos gènes. Il faut pouvoir prendre du recul par rapport au confort matériel, même si c’est facile à dire quand on en bénéficie. Mais la vie ne se limite pas aux besoins égoïstes. Sans intérêt général, la société n’a aucune chance de progresser.

J’étais un enfant chétif, souvent malade. Je souffrais d’asthme et de néphrites. Chez les Jésuites à Mons, on me surnommait  » le microbe « . Le jour de mes 16 ans, je me suis dit: fini ! je ne veux plus être malade. Un peu d’autosuggestion, je vous l’accorde, mais je n’ai plus jamais été malade depuis soixante-cinq ans et j’en suis très fier.

Jusqu’en 2009...

En 2009, on m’a diagnostiqué un cancer des cordes vocales. Je ne m’y attendais pas. Un accident de travail, en quelque sorte, car je parle énormément, beaucoup trop peut-être...

La maladie a-t-elle changé votre vie ?

Non. Malade, j’ai continué à travailler. Et maitenant que je suis guéri, je travaille toujours. J’ai eu de la chance : la maladie a été diagnostiquée à un stade précoce. Ma réaction n’a pas tardé. Au bout d’une semaine, j’ai demandé au médecin :  » Pourquoi le traitement se fait-il uniquement en semaine et pas le week-end ?  » Il a répondu :  » C’est trop difficile le week-end, il n’y a pas assez de personnel, pas assez d’appareils disponibles.  » Ce à quoi j’ai rétorqué :  » Et mes cellules cancéreuses? Elles cessent de se développer du vendredi au lundi ? Vous croyez qu’elles sont en week-end ? « . J’ai alors lancé une campagne dans la presse, pas pour moi car mes rendez-vous étaient déjà fixés, mais pour les autres patients, pour que des séances d’irradiation supplémentaires puissent être organisées. Certains hôpitaux, conscients du problème, se sont adaptés. Ceci dit, je ne suis pas éternel, j’en suis conscient. J’ai 81 ans et je peux très bien mourir demain.

C’est pourquoi vous avez rédigé votre autobiographie...

Pour le moment, je suis encore parfaitement capable de réfléchir, de parler, de me souvenir. Leo Tindemans (ancien Premier ministre, ndlr) a dit un jour :  » Quand on écrit sa biographie trop tard, on n’a plus de lecteurs. Quand on l’écrit trop tôt, on n’a plus d’amis.  » Je me suis dit : c’est le moment. Mais j’ai sous-estimé l’ampleur du travail. Cela m’a pris une année. J’avais l’intention de tout dicter mais ce n’était pas aussi simple ! Il m’est arrivé plus d’une fois de me lever à 4 heures du matin pour y travailler.

Dicter ?

Oui, depuis quarante ans, je dicte tout ce que j’ai à faire, toutes mes notes dans mon dictaphone. Et mes collaborateurs tapent ce que j’ai dicté.

Vous êtes aussi un homme d’avenir. Quels sont les plus grands défis de demain, selon vous ?

La tolérance! Je suis un homme hybride : un Flamand qui a fait ses études en français, qui a voyagé dans 31 pays et s’est rendu plus de 30 fois au Congo. Je suis du nord et du sud, de la ville et de la campagne. J’ai reçu une éducation catholique mais je suis aujourd’hui athée. La tolérance est pour moi la plus grande des vertus. Une vertu pour laquelle il faut se battre chaque jour. Une vertu dont nous devons tous faire preuve car la migration et l’explosion démographique en Afrique sont à court terme le grand défi auquel nous devrons faire face.

Vous présenterez-vous aux élections de 2019 ?

Je ne sais pas encore. Mais si je me présente, je suis sûr d’être élu.

Et la pension ?

Jamais! Même si j’ai déjà payé pour pendant cinquante ans !

Enraciné dans la vie. Autobiographie, Herman De Croo, Éditions Racine, 39,99 ?.

Bio express

Herman De Croo :
© PHOTOS FRANK BAHNMÜLLER

  • 12/7/1937 : Naissance à Opbrakel
  • Études : Sciences politiques et droit, ULB, Bruxelles Droit à University of Chicago Law School (EU)
  • Carrière :
  • 1964-1971 : Bourgmestre de Michelbeke
  • 1968 : Élu parlementaire libéral, membre du parlement depuis lors
  • 1974-1988 : Postes ministériels: Éducation Nationale, Pensions et PTT, Transports et Commerce Extérieur
  • 1995-1997 : Président du VLD
  • 1999-2007 : Président de la Chambre des Représentants
  • 2001-2012 : Bourgmestre de Brakel
  • 2014 à aujourd’hui : Membre du parlement flamand
  • Vie privée : Marié à l’avocate Françoise Desguin Père d’Ariane et Alexander De Croo

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