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Entretien avec Anne Glenconner : « Nous étions formées à devenir de bonnes épouses »

Ann Heylens Journaliste

Anne Glenconner a été pendant trente ans la dame d’honneur, la confidente et l’amie de la princesse britannique Margaret, disparue en 2002. Agée de 88 ans, elle nous offre un point de vue unique sur la vie de l’aristocratie.

C’est dans le comté de Norfolk que s’est retirée Lady Glenconner. Elle y possède un cottage acheté en son temps sur le conseil avisé de son père afin de pouvoir échapper de temps à autre à un mari aussi flamboyant qu’instable,  » Le meilleur conseil qu’on m’ait jamais donné.  » Sa propriété n’est pas très éloignée de Holkham Hall – où, fille du 7ème comte de Leicester, elle a passé toute son enfance – et de Sandringham, résidence de la famille royale britannique à laquelle elle restera attachée toute sa vie. Peu de gens ont été aussi proches des Windsor, la famille la plus célèbre du monde. Rien d’étonnant à ce que les mémoires de Lady Glenconner rencontrent un tel succès en Grande-Bretagne mais aussi outre Atlantique.

J’ai écrit ce livre pour redorer l’image peu flatteuse de Margaret dans la série télé « the crown ».

D’où vous est venue l’idée d’écrire ce livre de souvenirs ?

Tout est parti de la série The Crown diffusée par Netflix (série télévisée consacrée à la reine Elisabeth, ndlr). Les producteurs m’ont demandé si j’accepterais de rencontrer Helena Bonham-Carter, qui interprète la princesse Margaret. J’ai donné mon accord et elle est donc venue plusieurs fois prendre le thé. Elle voulait tout savoir des attitudes de Margaret, comment elle parlait, fumait ou bougeait. Mes descriptions étaient si vivantes que nous avions parfois l’impression que la princesse était assise avec nous. Nous avons parlé plusieurs heures toutes les deux. Je n’avais jamais songé à écrire un livre, mais ces entretiens m’ont rappelé un tas de souvenirs. Par la suite, j’ai également rencontré Nancy Caroll, l’actrice qui joue mon rôle. La télévision nous a donc réunies une dernière fois, la princesse Margaret et moi.

Que pensez-vous du résultat ?

Pour être franche, j’ai été un peu déçue. Helena Bonham-Carter est parfaite : elle a la même taille que la princesse, la même allure et le même regard. Mais la Margaret de la série est un peu « too much » et tout n’est pas nécessairement exact.

Anne Glenconner dans son rôle de dame d'honneur (à droite) lors de la répétition générale du couronnement de la reine Elizabeth en 1953.
Anne Glenconner dans son rôle de dame d’honneur (à droite) lors de la répétition générale du couronnement de la reine Elizabeth en 1953.© GETTY IMAGES

Margaret est présentée comme paresseuse et trop gâtée.

C’est en partie pour redorer cette image peu flatteuse que j’ai décidé d’écrire ce livre. Je n’ai jamais pensé qu’elle était trop gâtée. Je connaissais Margaret depuis l’enfance et j’ai travaillé pour elle pendant trente ans. Nous avons même vécu ensemble les deux dernières années de sa vie. Bien sûr, elle avait une attitude royale, très royale même, mais elle avait élevée ainsi, de manière très traditionnelle. Cela ne l’a pas empêchée d’être une amie très fidèle. Elle possédait un grand sens de l’humour, ne dramatisait rien. Quand vous étiez confronté à un problème, elle vous aidait à le considérer sous un angle différent. Lorsque mon fils Henry a contracté le sida et que beaucoup de nos amis ont préféré l’éviter, Margaret est allée lui rendre visite, bien avant la princesse Diana. Dans mon cottage du Norfolk, elle pouvait être elle-même, loin de la presse et des paparazzis qui se montraient parfois très envahissants. Elle prenait beaucoup de plaisir à jardiner ou à laver ma voiture.

Feriez-vous un parallèle avec le prince Harry et sa femme Meghan Markle, qui ont pris leurs distances avec la cour?

Je ne souhaite faire aucun commentaire à ce sujet. Je n’ai que très peu côtoyé Harry et, à l’époque, c’était encore un petit garçon. Et je n’ai jamais rencontré madame Markle.

Quel est finalement le rôle d’une dame d’honneur ?

L’idée est que la princesse ait en permanence une personne de confiance à ses côtés. La dame d’honneur doit garder le contact visuel pour savoir si elle a besoin de quelque chose. Lors de ses visites offcielles, je m’assurais de savoir où se trouvaient les toilettes, les gens me demandaient la couleur de sa tenue, pour qu’elle soit assortie aux fleurs, ce qu’elle aimait manger ou boire. Lors des réceptions et des cocktails, je recevais une liste des personnes qui désiraient la rencontrer. Je les lui présentais et je veillais également à ce que la conversation se termine avec élégance lorsqu’elle souhaitait y mettre fin ou qu’il était temps pour elle de s’entretenir avec l’invité suivant. Mais nous étions surtout des amies de coeur. Mon premier souvenir de Margaret et d’Elisabeth remonte à l’âge de deux ou trois ans. J’ai beaucoup joué avec Margaret. Elisabeth, qui avait cinq ans de plus, nous rappelait parfois à l’ordre.

Margaret était votre amie mais vous l’appeliez « Madame » ?

C’était normal, je n’ai jamais imaginé remettre le protocole en cause. Je n’aurais pas pu l’appeler autrement.

Margaret en compagnie du mari d'Anne, Lord Glenconner, sur l'île Moustique.
Margaret en compagnie du mari d’Anne, Lord Glenconner, sur l’île Moustique.© GETTY IMAGES

Etes-vous encore en rapport avec la famille royale ?

Uniquement avec le prince Charles à qui j’ai offert un exemplaire de mon livre, qu’il a d’ailleurs beaucoup aimé. Je n’oserais certainement pas demander à la reine ce qu’elle en pense. En tout état cause, il ne contient aucune attaque contre la famille royale, bien au contraire.

Votre livre est un document historique sur la vie de l’aristocratie dans la seconde moitié du XXe siècle. Est-elle comparable à ce qu’elle est aujourd’hui ?

Les choses ont beaucoup changé. Quand j’étais enfant, le personnel à demeure était nombreux : majordomes, cuisiniers, femmes de chambre, nounous etc. Aujourd’hui, nous ne faisons appel à du personnel qu’à l’occasion des réceptions. Nous faisons beaucoup de choses nous-mêmes, comme la cuisine par exemple.

Les enfants étaient élevés par des nounous et allaient en pensionnat. Est-ce toujours le cas ?

C’était effectivement assez courant et personne ne songeait à modifier la tradition. Ma mère, par exemple, ne m’a jamais habillée ni mise au lit. C’était le travail des nounous. Plus tard, on attendait de nous que nous soyons aux côtés de nos maris, que nous organisions des réceptions le week-end. Mais si c’était à refaire, j’élèverais moi-même mes cinq enfants. J’ai été trop peu présente, surtout pour les deux aînés. Je le regrette d’autant plus profondément qu’ils sont décédés prématurément à l’âge adulte (Charles était toxicomane et est mort d’une hépatite C, Henry est mort du sida, ndlr). Je pense avoir été une meilleure mère pour les plus jeunes. Tous les cinq sont allés en pensionnat et je ne leur imposerais certainement plus cette épreuve aujourd’hui. Je constate qu’au sein de l’aristocratie, le style d’éducation est moins froid et moins distant qu’autrefois. Mais quand j’étais jeune, l’époque était fort différente et vous vous conformiez aux usages de votre milieu, sans vous poser de questions. Il est clair que je ne le referais plus.

Aujourd’hui, je n’enverrais plus mes enfants en pensionnat

Même les femmes de l’aristocratie ne suivent plus la voie traditionnelle.

A mon époque, vous faisiez votre entrée dans le monde à l’âge de 18 ans. L’objectif était de vous faire rencontrer des jeunes aristocrates de bonne réputation et de vous marier le plus tôt possible. Toutes les jeunes-filles avait droit à leur bal des débutantes. Dans les années 50, une jeune-fille encore célibataire à 21 ans perdait toute chance d’avenir. Ma mère s’est mariée à 18 ans et moi... à 23 ans. Les adolescentes apprenaient l’étiquette et à tenir n’importe quelle conversation pour, le moment venu, faire bonne figure aux côtés de leur mari. Nous étions formées à devenir de bonnes épouses. Aujourd’hui, les jeunes femmes issues de l’aristocratie vont à l’université, cherchent du travail et ne se marient généralement pas avant 30 ans.

Avant votre mariage avec Colin Tennant – lord Glenconner – vous étiez fiancée à John Spencer, le père de la princesse Diana...

Je n’ai jamais su pourquoi il a rompu nos fiançailles et je ne saurai jamais si nous aurions été heureux ensemble, mais cette rupture m’a profondément affectée. Par la suite, ma rencontre avec Colin a changé ma vie. C’était un homme difficile à canaliser, régulièrement en proie à des crises de colère mais, par ailleurs, il était aussi créatif et excentrique. C’est lui qui nous a fait découvrir Moustique.

John Spencer, le père de la princesse Diana, a été fiancé à Anne Glenconner
John Spencer, le père de la princesse Diana, a été fiancé à Anne Glenconner© GETTY IMAGES

L’île des Caraïbes dont vous avez fait la réputation, parfois sulfureuse...

Les premières années ont été très difficiles et pas du tout glamour. Mon mari avait acheté l’île, mais il n’y avait ni électricité ni eau courante. Il a fallu investir énormément d’argent. Colin a offert une maison et un bout de terrain à la princesse Margaret. Cette maison est devenue son refuge.

L’île était connue pour les fêtes décadentes rassemblant des personnes riches et célèbres.

Il n’y avait rien de décadent ! Non, c’était magique, théâtral, excitant. Colin adorait organiser des fêtes. Il invitait Mick Jagger, David Bowie, Tommy Hilfiger, et bien d’autres. Comme la presse n’était pas la bienvenue, les journalistes ont inventé beaucoup d’histoires et créé un mythe sans rapport avec la réalité.

Quel souvenir de la famille royale vous touche le plus ?

J’ai fait partie des demoiselles d’honneur lors du couronnement de la reine Elisabeth II. Notre tâche consistait à porter sa traîne de velours violet qui faisait 6,50 m de longueur ! Nous marchions juste derrière elle. Nous ne l’avions jamais vue porter sa robe avant la cérémonie et je garde un souvenir ébloui du moment où elle nous est apparue. Quelle splendeur ! Je me souviens également très bien de notre petit groupe portant la traîne. On me demande souvent dans quel état d’esprit elle était ce jour-là. Elle a été d’un calme incroyable. Elle s’est tournée vers nous et a simplement lancé  » Ready girls ? « .

Avez-vous le sentiment de faire partie de l’histoire ?

Je dirais d’une toute petite partie d’un tout petit morceau d’histoire. Mais il est vrai que les images du couronnement sont encore régulièrement diffusées à la télévision. Le moment le plus solennel, presque sacré, fut l’onction. A la demande de la reine elle-même, les caméras n’ont pas été autorisées à le filmer. Quatre chevaliers de l’Ordre de la Jarretière ont tendu un baldaquin pour la cacher aux regards. Seule une poignée de personnes, dont moi, ont été les témoins de l’épisode le plus important de la cérémonie. Je mesure la chance extraordinaire qui m’a été donnée. Je me souviens aussi de l’enthousiasme de la foule quand la reine est venue saluer au balcon. La guerre était encore dans les esprits mais il soufflait un vent d’optimisme. Ce couronnement était l’espoir d’une nouvelle ère. La plupart des Anglais ont grandi sous son règne et sont très attachés à sa personne. Je pense qu’elle a fait de l’excellent travail.

Anne Glenconner

Entretien avec Anne Glenconner :
© P.G. / HAL SHINNIE

16/7/1932 : Naissance à Holkham Hall, à Norfolk en Grande-Bretagne, de Anne Veronica Cooke, fille du comte de Leicester

1953 : Demoiselle d’honneur lors du couronnement de la reine Elisabeth II

1956 : Mariage avec Colin Tennant, Lord Glenconner (1926-2010)

1971-2002 : Dame d’honneur de la princesse Margaret

Mère de cinq enfants, trois fils et deux filles

La dame d’honneur. My extraordinary life in the shadow of the crown – Ma vie extraordinaire dans l’ombre de la couronne. Anne Glenconner. Editions Ambo|Anthos, 304 p.

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