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Elles ont choisi de ne pas avoir d’enfant

Julie Luong

Viennent de sortir plusieurs livres sur les femmes qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants. Un véritable tabou encore dans cette société qui glorifie l’enfant. Un sujet qui reste controversé.

Dans son dernier ouvrage, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, l’essayiste française Monique Chollet l’exprime avec beaucoup de force (1) : la femme sans enfants est aujourd’hui, avec la femme âgée et la femme indépendante (veuve, célibataire), l’héritière directe de la sorcière d’autrefois. Quelles sont les raisons de ces femmes à refuser d’endosser le rôle que la société attend d’elle ? Il existe, bien sûr, autant de raisons de ne pas enfanter que de femmes. Parmi lesquelles le refus de mettre au monde un enfant qui n’a rien demandé dans une société brinquebalante et qui ne promet pas d’aller mieux, avec, en toile de fond, la catastrophe écologique qui menace. Pour beaucoup, ne pas avoir d’enfant, a permis de poursuivre leurs ambitions et de s’extraire de leur milieu social. D’autres ne souhaitaient pas reproduire le schéma de leur propre enfance malheureuse ou le schéma familial avec papa au boulot et maman aux fourneaux. D’autres encore préféraient se focaliser sur leur couple...D’aures enfin, préfèrent s’abstenir en l’absence de couple ou de travail de stable.

En tout cas, difficile de résister à la pression quand toutes les people s’affichent avec leurs bébés radieux, resplendissantes et pomponnées comme Kate Middelton le lendemain de son accouchement et quand, sans arrêt, on vous demande de justifier votre choix. D’après une récente enquête de la VUB (Vrije Universiteit Brussel), quelque 13% des jeunes Belges entre 25 et 35 ans, ne souhaitent pas d’enfants. Même si la parole s’est libérée et que la société évolue vers l’acceptation (?) de la diversité des styles de vie, leur choix reste mal compris. Il l’était d’autant plus pour les femmes qui ont aujourd’hui passé la cinquantaine, et qui si elles ont bénéficié de la pilule et de l’ouverture d’esprit de Mai 68, ont dû avoir un caractère bien trempé pour résister à la norme..

Un choix, une liberté

« Aujourd’hui, en Europe, près d’une femme sur cinq décide de ne pas avoir d’enfant. Dans  » Libre à elles « , la journaliste française Laurence Santantonios interroge les raisons de ce choix – mais aussi les raisons d’être mère, à l’heure où les femmes se sentent davantage maîtresses de leur destin.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Je voulais interroger le mystère de ce choix de ne pas être mère. Je suis moi-même mère de deux enfants et j’ai ressenti de façon puissante le désir d’enfant à près de vingt ans de distance, puisque la première fois j’avais 22 ans et la deuxième fois 40. Mais je me suis toujours sentie très proche de ces femmes qui choisissaient de ne pas avoir d’enfant, de leur liberté sans doute. Et je me suis demandée pourquoi elles n’avaient pas ressenti ce désir, quelle était la part de biologie et de culturel. J’ai donc rencontré une quarantaine de femmes et j’ai compris qu’elles avaient le désir que leur parole circule et qu’on les considère comme des femmes à part entière... ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui ! Contrairement aux hommes, on continue à avoir du mal à considérer les femmes en dehors de leur statut de compagne et de mère. Elles restent invisibles alors que c’est une tendance sociétale très nette.

Qu’est-ce qui vous est apparu en rencontrant ces femmes et qui vous était  » invisible  » ?

Ce qui m’a surprise, c’est qu’aucune de ces femmes n’avait ressenti de pulsion physique. L’autre chose, c’est ce grand besoin de liberté. Non pas de liberté comme absence de contraintes mais de liberté intérieure, de cohérence avec soi-même, avec la peur de se lancer dans une aventure qu’elles imaginent pour la plupart délicieuse mais où elles ne seraient pas  » elles-mêmes « . Ce n’est pas un renoncement mais une décision de vivre autrement.

Est-ce que ces femmes savaient depuis toujours qu’elles ne voulaient pas d’enfants ?

Une minorité était déterminée. Comme Simone de Beauvoir, elles savaient depuis très jeunes qu’elles ne voulaient pas d’enfant. Mais pour la majorité, c’est plus ambivalent et lié à leur parcours de vie. Les longues études, la difficulté de trouver du travail, la difficulté de concilier la vie privée et professionnelle, les problèmes écologiques... Beaucoup ont reporté, reporté... jusqu’à se dire qu’au fond, ce n’était pas pour elles, que ce n’était sans doute pas par hasard.

Comme s’il fallait du temps pour assumer ce choix ?

Au final, elles se disent que c’est bien comme ça. Et se sentent très bien dans leurs baskets.

Pensez-vous que ces femmes suscitent aujourd’hui plus d’admiration que de méfiance ?

Non ! Elles suscitent toujours la méfiance. Beaucoup s’étonnent que, mère, je me sois intéressée à elles. Mais je pense que c’est un éloge de la différence et de la solidarité entre femmes.

Revenons sur cette question de la pulsion physique : au fond, ne pas la ressentir serait la condition minimale pour faire ce choix de ne pas être mère ? Et la ressentir ne laisserait pas aux femmes d’autre choix que de le devenir ?

Sur la quarantaine de femmes rencontrées, seule une l’avait ressentie. Il s’agit d’une institutrice qui, à 38 ans, a eu très envie d’être enceinte... et puis c’est passé. On a toujours le choix mais quand on a des pulsions fortes, ça joue beaucoup ! On le voit avec ces femmes seules qui vont se faire inséminer à l’étranger. J’ai eu mes enfants avec deux hommes qui n’étaient pas vraiment partis pour être pères... Mais moi, j’avais envie qu’ils soient pères ! Je me suis donc interrogée sur le conditionnement culturel qui était à l’oeuvre dans les années 70, et qui impliquait notamment que pour une femme, c’était bien de rendre un homme père... Par ailleurs, il faut aussi dire que la plupart des mères que je connais n’ont pas ressenti cette pulsion physique. Le fait que certaines femmes ressentent cette pulsion et d’autres pas restent par ailleurs un grand mystère...

Est-ce plus facile aujourd’hui qu’hier d’assumer ce choix ?

Je ne sais pas, mais beaucoup de jeunes de 30 ans et moins s’intéressent à cette question. Non pas qu’ils ne veulent pas d’enfants mais ils ont besoin de questionner le fait d’en avoir.

Dans le désir de maternité, il y a aussi la question de la relation amoureuse...

La passion que j’ai éprouvée pour chacun des hommes avec qui j’ai eu un enfant m’a conduit à vouloir leur prouver qu’ils pouvaient être des bons pères. Bizarre, non? Je me suis donc demandé si, 30 ans plus tard, dans un autre contexte social, j’aurais eu ce désir... et ces enfants. La plupart des femmes que j’ai rencontrées avaient eu plusieurs relations et beaucoup ont évoqué l’absence de relation stable ou le fait que leur compagnon avait déjà des enfants. Car la majorité de ces femmes aiment les enfants ! Beaucoup m’ont dit aussi qu’elles ne se sentaient pas assez fortes pour se lancer seules mais que si elles avaient rencontré un homme prêt à prendre cette responsabilité avec elles, elles auraient sauté le pas...

Leur choix est donc en partie lié aux hommes rencontrés ?

La romancière Nancy Huston a longtemps dit qu’elle ne voulait pas d’enfants jusqu’à rencontrer Tzvetan Todorov. Quand elle l’a vu s’occuper de ses propres enfants, elle s’est dit que c’était un homme-mère ; ça a tout changé.

Va-t-on voir de plus en plus de couples où c’est la femme qui ne veut pas d’enfants ?

La planète est surpeuplée, donc ce n’est pas un problème ! Par ailleurs, il est vrai qu’on pourrait assister à une réappropriation de cette question de la parentalité par les hommes. Mais pour que cela se traduise ensuite par une implication plus grande des hommes dans l’éducation des enfants, il faut que la société évolue.

Y a-t-il la formulation d’un regret chez certaines ?

C’est en tout cas ce qu’on ne cesse de leur renvoyer :  » Vous allez le regretter plus tard !  » Cela les agace et les blesse. On est tout de même assez grandes pour savoir ce qu’on veut...

D’ailleurs, on ne demande jamais à une mère si elle ne regrette pas...

Une étude israélienne s’est penchée sur cette question. Ces mères existent : cela ne signifie pas qu’elles n’aiment pas leurs enfants mais qu’elles pensent que d’une certaine manière, ce n’était pas pour elles. »

Bizarrement heureuses

Lisette Schuitemaker, 64 ans et nullipare (sans enfant), sortira son livre le 8 mars, Journée Internationale de la Femme, ouvrage né de longs entretiens avec des femmes, certaines mères, d’autres sans enfants.

Le projet d’enfant ne faisait pas partie de mon chemin de vie

 » J’ai été frappée par le fait que les femmes osent parler de leur choix de ne pas avoir d’enfants quand elles ont 20 ou 30 ans, donc en pleine fertilité. Mais que, par la suite, elles n’en parlent plus du tout. J’ai réalisé que j’ignorais comment mes amies qui n’ont pas eu d’enfants vivaient leur choix.

Pour ce qui me concerne, ce n’est pas une décision prise consciemment, à un moment donné. Petit à petit, je me suis rendu compte que le projet d’enfant ne faisait pas partie de mon chemin de vie. Je suis l’aînée de ma fratrie, et je n’aimais pas m’occuper de mes petits frères et soeurs. Ma mère était femme au foyer. J’ai vu, chaque jour, mon père partir le matin pour travailler au dehors. Sa vie me semblait bien plus passionnante que celle de ma mère. J’étais une petite fille difficile. Ma mère pensait que cela s’arrangerait quand je serais mariée et mère de famille. J’ai fait de mon mieux pour la satisfaire, mais cela n’a pas marché. Je me suis même fiancée. Puis, une nuit, j’ai rêvé que, une fois devant l’autel, je répondais  » non « . Il y a eu comme ça des tas de signaux... Alors que mes amies se mariaient, achetaient une maison et attendaient des enfants, j’ai rompu mes fiançailles, je suis partie vivre à l’étranger et j’ai lancé ma boîte. Plus je m’éloignais d’une vie conventionnelle, mieux je me sentais. « 

Lisette Schuitemaker a enquêté auprès de 700 femmes dans 30 pays. Ses interlocutrices lui ont paru  » bizarrement heureuses  » par rapport aux autres femmes.  » L’avantage que mettent en avant les femmes sans enfants, c’est la liberté. Elles ont le sentiment de contrôler leur vie et de contribuer à la société, à la collectivité, comme elles l’ont choisi. Elles ont cette liberté de pouvoir vivre où elles veulent, de faire du bénévolat, de multiplier les hobbys... D’adapter leur vie à leurs aspirations personnelles. « 

Au cours de ses entretiens avec des femmes sans enfants, Lisette Schuitemaker a été frappée par leur dévouement. Envers les amis, envers une bonne oeuvre, à leur travail, mais aussi vis-à-vis des enfants des autres.  » Souvent, elles font figure d’adulte supplémentaire dans la vie d’un enfant qui n’est pas le leur. Hors de toute contrainte, elles prennent l’enfant tel qu’il est, sans faire aucune des projections si fréquentes entre des parents et leurs rejetons. On peut tout à fait donner de l’amour à d’autres enfants que les siens. « 

L’instinct maternel, ça existe ?

Elles ont choisi de ne pas avoir d'enfant
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 » La diminution du nombre de naissances est une donnée biologique remarquable, affirme Dirk Draulans, biologiste et journaliste scientifique. Il y a cinquante ans, on n’avait pas vraiment le choix. Des moyens de contraception très efficaces permettent désormais de faire le choix de postposer, voire d’exclure la venue d’un enfant, et c’est quelque chose de tout à fait anti-biologique. Cela prouve que la biologie peut s’effacer au profit de la culture. Or, rien d’indique qu’il y ait quelque chose de biologique derrière le choix de ne pas avoir d’enfants : il n’existe pas de gène qui annihile le désir d’enfant. « 

Pourtant, toutes les femmes ne ressentent pas l’envie de devenir mère, loin de là.  » Il y a des femmes faites pour la maternité et d’autres que cela n’intéresse pas. La majorité d’entre elles se situent au milieu. Il n’y a pas non plus de preuve scientifique d’une quelconque alarme ou d’une horloge biologique qui dirait : Attention, il est temps ! Mais les femmes sont bien conscientes qu’à partir de 40 ans, les chances de tomber enceinte diminuent fortement. Quoi qu’il en soit, le femmes qui n’envisagent absolument pas d’avoir d’enfant sont peu nombreuses. L’instinct maternel reste très fort. Le lien entre une mère et son enfant est le plus puissant qui existe dans la nature. Dans un système très culturel comme le nôtre, cette donnée peut passer au second plan mais elle ne disparaîtra pas. « 

La pression sociale

 » Alors, quand comptez-vous avoir des enfants ?  » Cela reste la grande question que les couples de trentenaires s’entendent poser plus souvent qu’à leur tour. Malgré le fait qu’un nombre non négligeable de femmes n’aient pas d’enfant, par choix ou non, la famille avec enfants reste la norme.  » Nous sommes en quelque sorte les saumons qui allons à contre-courant. Oui, on se sent parfois isolé, mais cela vous donne aussi une force : celle d’agir en accord avec votre moi profond et non en fonction de ce que l’on attend de vous.  » Lisette Schuitemaker a été surprise que les femmes qu’elle a rencontrées sont confrontées aux trois mêmes questions : Tu ne trouves pas que c’est égoïste de ta part ? Tu ne risques pas de le regretter plus tard ? et Sur qui pourras-tu compter quand tu seras vieille ?  » Une Indienne, qui avait témoigné en ce sens, n’a pas caché sa colère. Jusqu’à ce qu’elle interroge ses parents et se rende compte que leurs questions trahissaient l’angoisse de ne pas savoir ce que leur fille deviendrait après leur disparition. Ces questions sont donc légitimes, tant qu’elles ne sonnent pas comme des reproches. « 

Les femmes sans enfants s’inquiètent-elles pour leurs vieux jours ? Craignent-elles la solitude ?  » J’espère rester suffisamment enga pour conserver une vie sociale. Mais je connais des gens – surtout des célibataires – que cela angoisse, comme :  » Qui va s’occuper de mes démarches administratives si j’ai l’Alzheimer ? « 

La psychologue Leen Heylen a mené, dans le cadre de son doctorat, une recherche sur les facteurs de risque de solitude sociale et émotionnelle chez les personnes âgées. Il en ressort que les gens qui n’ont jamais été mariés mais qui ont su développer leur vie sociale et leur réseau d’amis sont mieux armés face à la solitude. Il n’en reste pas moins que la relation parents-enfants semble la plus solide et plus fiable et que le risque de perdre des amis suite à un décès ou une maladie est bien réel. Mais il ne faut pas occulter que nombre de personnes ne voient plus leurs enfants, et que cela, c’est encore plus triste. Et puis, enfin, l’enfant ne doit pas être considéré comme un bâton de vieillesse !

Références :

Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, éd. la Découverte.

Libre à elles, le choix dene pas être mère, LaurenceSantantonios, éd. Mauconduit

Lisette Schuitemaker : Gelukkig zonder kinderen, Mensen wereldwijd over hun keus en hun leven (Heureux sans enfants, Partout dans le monde, elles parlent de leurchoix et de leur vie vie. Paru uniquement en néerlandais). A lire :

Etre femme sans être mère, Emilie Devienne, éd. Robert Laffont

Une vie sans enfant, Isabelle Tilmant, éd. De Boeck

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