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Du patriarche à la mamy hyper impliquée : brève histoire des grands-parents

Dans le Plus Magazine de mars, nous revenons sur la relation souvent privilégiée qu’entretiennent aujourd’hui grands-parents et petits-enfants. Mais à partir de quand ces liens si particuliers ont-ils vu le jour ?

En toute logique, on pourrait penser que l’histoire des grands-parents est assez récente dans l’histoire de l’humanité : pour que grands-parents il y ait, encore faut-il que la société comporte des personnes en âge de le devenir ! Or, l’espérance de vie est longtemps restée très basse. Au XVIIIe siècle, elle ne tourne encore qu’autour de 25 ans ! Et pourtant... Les grands-parents ont de tout temps existé.

Grand-pater familias

Qu’on ne s’y trompe pas : si l’espérance de vie d’autrefois est particulièrement basse, c’est en partie dû à une mortalité infantile très élevée : une fois le cap de l’enfance passé – et avec lui, toutes les maladies infantiles meurtrières – et même s’il s’agit d’une minorité, il n’est pas si rare que des personnes atteignent l’âge de cinquante ou soixante ans. Et ce, dès l’époque romaine : des études réalisées sur des nécropoles antiques ont prouvé que les citoyens de plus de 60 ans représentent alors entre 6 et 30% de la population libre ! Il s’agit, dans la majorité des cas, d’hommes : statistiquement, les femmes meurent plus jeunes, le plus souvent des suites d’une grossesse et/ou d’un accouchement difficile.

Il y a donc, au moins depuis cette époque et probablement dès avant, un nombre limité mais pas négligeable de grands-parents, aptes à remplacer ou à seconder les parents si nécessaire. Reste qu’on sait très peu de choses sur les relations qu’ils entretiennent alors avec leurs petits-enfants. Les sources historiques n’abordent que très rarement ce point...

Dans la civilisation romaine, le grand-père reste dépositaire de la fonction de chef de famille, de  » pater familias « , jusqu’à la fin de sa vie. Il a donc une position d’autorité : il a son mot à dire sur l’éducation de son petit-fils ou de sa petite-fille et son consentement est requis en cas de mariage. Par ailleurs, si un grand-parent survit à ses enfants, ses petits-enfants ont le devoir – moral et légal – de subvenir à ses besoins. On est donc encore loin d’une relation  » privilégiée « , avant tout axée sur le ludique, la découverte ou encore la transmission d’un savoir !

Et si c’était la peste ?

Au Moyen-Âge, la notion de  » pater familias ad vitam  » est moins perceptible. Dans les classes les plus aisées, le grand-père garde une autorité importante sur ses descendants : il reste celui qui transmet son titre, sa fonction, son patrimoine aux générations suivantes. Mais, contrairement à ce que l’on pense souvent, il est rare que trois générations partagent alors le même toit : en règle générale, les grands-parents ont un domicile distinct de celui de leurs enfants et petits-enfants. On peut supposer que les relations intergénérationnelles sont assez limitées : les plus âgés vivent en retrait du monde, et sont surtout soucieux de préparer leur âme à l’au-delà.

La relation entre grands-parents et petits-enfants évolue brusquement au XIVe siècle. En 1347, le bacille de la peste bubonique débarque sur les rives de la Mer Noire. Par le biais des comptoirs de commerce vénitiens et génois, il se répand rapidement dans toute l’Europe où il fait des ravages. Au final, l’épidémie de 1347-1352 tue – les estimations sont variables – 30 à 50% de la population européenne, soit plus de vingt-cinq millions de personnes. Or, une caractéristique de la maladie va solidement bouleverser la société de l’époque : la peste semble délaisser les plus âgés. Un phénomène souligné par les chroniqueurs contemporains de l’événement : un bourgeois anonyme de Paris signale par exemple que cette épidémie  » était au dire des vieilles gens la plus cruelle qui eût sévi depuis trois siècles. Tous ceux qu’elle frappait, et particulièrement les jeunes gens et les enfants, n’en réchappaient pas... Sur quatre ou cinq cent morts, il n’y avait pas douze vieillards, il n’y avait presque que des enfants et des jeunes gens.  » Il en va de même pour les autres pandémies pesteuses qui surviennent dans les décennies suivantes. Confirmée par les sources démographiques disponibles, cette faible virulence de la peste chez les personnes plus âgées peut s’expliquer aisément.  » Vraisemblablement, la peste éliminait plus jeunes beaucoup de ceux qui seraient morts d’autres maladies plus tard : les moins résistants étaient enlevés, les survivants atteignaient en grand nombre la vieillesse « , écrit l’historien Georges Minois. La société connaît dès lors un déséquilibre important. Dans certaines régions de France, par exemple, plus de 20% des chefs de famille ont alors plus de 57 ans !

Cela n’est évidemment pas sans conséquences : là où, auparavant, les familles avaient tendance à écarter peu ou prou les grands-parents, ceux-ci retrouvent une place importante dans les cellules familiales décimées. Il leur revient souvent de transmettre leur expérience à leurs petits-enfants – travail autrefois dévolu à un père ou une mère, désormais décédés. Ce qui fait dire à Georges Minois que  » le XVe siècle marque sans doute une étape importante dans l’art d’être grand-père « .

Evolution rapide

Les choses évoluent encore au XVIIIe siècle, estime l’historien Georges Gourdon : sous l’influence des Lumières, les grands-parents détachés du monde et se préparant à l’au-delà se font plus rares, ils restent plus durablement  » actifs  » dans la société. Au sein de la famille, ils deviennent progressivement plus complices et échangent plus d’affection avec leurs petits-enfants. A cela, il faut ajouter une hausse graduelle de l’espérance de vie au tournant du XIXe siècle : à cette époque, un peu plus de la moitié des grands-parents sont vivants lorsque leurs petits-fils ou petites-filles viennent au monde. Pour autant, les relations intergénérationnelles varient selon la classe sociale et les zones géographiques : dans certains régions/pays, trois générations vivent ensemble sous le même toit tandis que dans d’autres, les grands-pères et grands-mères vivent de leur côté, dans un voisinage plus ou moins proche. Dans l’aristocratie, chacun dispose de ses appartements sous un même toit (le château, l’hôtel particulier...), tandis que dans les classes ouvrières du XIXe siècle, les mères sont bien souvent obligées de travailler. La garde des enfants est donc laissée aux bons soins de l’aïeule.

Mais c’est dans le milieu bourgeois, et son cortège de valeurs idéologiques, qu’apparaît l’ancêtre du modèle d’aujourd’hui : le grand-père et la grand-mère  » gâteau « , tendres, bienveillants, à qui l’enfant rend des visites  » ritualisées  » et chez qui il va passer une partie de ses vacances. Petit à petit, le rapport vertical entre un grand-parent et ses petits-enfants a tendance à s’effacer, notamment durant les années 70 (mai 68 est passé par là...), au profit d’une relation avant tout basée sur l’ouverture au monde et les bons moments passés ensemble.

Pour en savoir plus :

Histoire de la vieillesse en Occident. De l’antiquité à la Renaissance, Georges Minois, éditions Fayard, Paris, 1987. ISBN : 978-2213019307

Histoire des grands-parents, Vincent Gourdon, éditions Perrin, Paris, 2001. ISBN : 978-2262032968

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