Anne Vanderdonckt

Du cocon à la bulle

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

Vous passez votre dimanche après-midi dans votre canapé emmitouflé.e dans un plaid moelleux. Vous vous plongez dans une série télé en sirotant un chocolat chaud garni de marshmallows. Vos vêtements sont confortables, rien ne serre. Tout à l’heure, vous prendrez un long bain à la lumière de bougies parfumées. Que faites-vous? Vous cocoonez. Cool dans votre cocon. Le concept est bien connu et le mot, inventé en 1981 par la célébrissime prévisionniste de tendances Faith Popcorn, est désormais employé à toutes les sauces, plus souvent dans le sens d’un bien-être chez soi que dans le sens originel, moins sympathique, de « casanier ».

Le cocooning ressemble un peu au chouchou des magazines de déco « nature », le hygge, ce vieux concept scandinave tout en grosses chaussettes de laine et peaux de mouton qui qualifie un bien-être lié à une ambiance chaleureuse, intime et rassurante. Mais avec une plus grande ouverture aux autres: on se rassemble entre amis pour déguster des petits plats cuisinés, rire et braver ensemble les lacs gelés. C’est une philosophie de vie (optimiste). Le cocooning n’est donc qu’un aspect du hygge. Si ce dernier est né à l’époque des grandes défaites militaires du Danemark qui voit son territoire se réduire drastiquement, le cocooning est lié aux épisodes de pollution majeurs, à la peur du sida, au stress de la vie professionnelle qui, déjà, fait des ravages.

Avec les attentats du 11 septembre 2001, arrive la tendance du bunkering qui, comme sa dénomination très martiale l’indique – Faith Popcorn a indubitablement le don du mot qui fait mouche – donne pour mission à notre maison de nous prémunir contre la vie extérieure devenue trop anxiogène. Finis les voyages, on investit dans son intérieur, son jardin, on adopte des systèmes de surveillance et d’alarme de tout poils, on rétrécit son cercle d’amis, on commence à parler de télétravail ou de télé-achat. On se replie sur soi dans son bunker. Dans sa bulle. Sans qu’aucun comité de concertation n’ait émis d’avis en ce sens.

Même si cette tendance s’est assouplie, et a sans doute eu plus d’écho Outre-Atlantique que chez nous, malgré les attentats qui nous ont touchés de près, on ne peut s’empêcher de penser que, quelque part, le terrain était déjà préparé à accueillir ce mode de vie que nous imposent aujourd’hui un sale virus et, cette fois, des consignes émanant de l’autorité publique. La tendance n’a pas encore gagné son mot en -ing, mais ce qui est sûr, c’est que si nos quatre murs nous protègent encore et toujours des autres, cette fois ils protègent aussi les autres de soi. Plus qu’un cocon, ils sont devenus notre univers. C’est là que nous restons entre nous, dans notre bulle. C’est paradoxalement là aussi que, sous la poussée digitale, notamment la visioconférence, ils deviennent un lieu partagé et notre nouvel extérieur. Lors de chaque crise, le lien entre l’habitant et son habitat évolue et se renforce. Nos architectes ont du pain sur la planche...

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