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Connard, Salpéteur, Cocu : ces noms de famille injurieux... qui ne le sont pas vraiment!

Certains noms de famille sont plus difficiles à porter que d’autres. Pourtant, à l’origine, la plupart n’ont pas une signification négative. C’est que la langue a bien évolué depuis leur apparition !

Chez nous, la grande majorité des noms de famille remontent au Moyen-Âge : avant cela, la densité de population était tellement peu importante qu’un simple prénom suffisait à être identifié. On parlait alors de « nom de baptême », nom généralement tiré de la Bible ou faisant référence à un saint populaire. La donne change à partir des XIIe et XIIe siècles, quand la croissance démographique s’envole et que se développent les premières villes. Les « Jacques », « Pierre », « Marie » et autres « Jeanne » se font alors légion, et il devient nécessaire de pouvoir les différencier.

Un sobriquet avant tout

Comment ? Tout simplement en accolant au nom de baptême un surnom, qui deviendra notre nom de famille. D’ailleurs, pour la petite histoire, « nom de famille » se dit encore aujourd’hui « surname » en anglais. Dans la grande majorité des cas, ce sobriquet fait référence au nom d’un ancêtre, le plus souvent paternel* : les gens du cru parlent alors du Jacques « qui est le fils de Paul » et qu’on finit par appeler Jacques Delepaul, par exemple. C’est aussi la raison pour laquelle les Martin, Peeters, Janssens (« fil de Jan ») ou encore Maes (contraction de « Thomaes ») sont aujourd’hui si nombreux en Belgique.

Parfois, il s’agit plutôt de mettre en avant une profession (Boulanger, Desmet, Lefebvre... ces deux derniers faisant tous deux référence au métier de forgeron, qui se dit « fèvre » en vieux français et « smet » en néerlandais), un trait physique ou moral (Legrand, Rousseau, Ledoux...), voire un lieu (Dubois, Delmotte, Dehainaut, Casteele...). Cet ancêtre du nom de famille est avant tout donné et utilisé oralement par des tiers, ce qui explique qu’il évolue souvent avec les siècles et suivant les régions. Il peut être raccourci, écorché, mal traduit, allongé d’un suffixe... Pire : dans les rares cas où il est écrit, son orthographe est aléatoire jusqu’à une époque assez récente. Celle-ci peut fortement varier d’un document à l’autre, même lorsque le patronyme désigne une seule et même personne ! Ce qui fait qu’il existe aujourd’hui énormément de variations autour d’un même nom de famille. Une illustration ? Binet et Robin partagent la même étymologie... qui n’est autre que Robert.

* C’est la raison pour laquelle on parle de « patronyme », littéralement le « nom du père », pour désigner un nom de famille.

Déformations et prénoms oubliés

Mais qu’en est-il des patronymes les plus difficiles à porter actuellement ? Hé bien, dans la plupart des cas, il ne faut pas y voir une origine négative. Beaucoup de ces noms de famille sont aujourd’hui en voie de disparition ou ont été modifiés légalement – et on peut comprendre la démarche – mais, assez souvent, ils découlent d’un prénom ou d’un qualificatif assez innocent, eux aussi altérés au fil des générations. Au registre des prénoms déformés, se retrouvent notamment les cas de Crétin ou Catin, provenant respectivement de Chrétien (variante ancienne de Christian) et de Catherine. Parfois, les prénoms d’origine sont tombés en désuétude, ce qui rend l’étymologie des noms de famille encore plus obscure : Connard, Pisman et Salaud font référence à des prénoms germaniques qui, en réalité, s’avèrent plutôt flatteurs, Conhard (littéralement « hardi et fort »), Peirsman (qui n’est autre que notre Perceval) et Salawald (« chef de la maison »). Et Roquet? Ce n’est que le diminutif affectueux du prénom Roch.

Cocu, quant à lui, fait référence au coucou (l’oiseau), Rotai renvoie par dérision à l’image d’un roitelet (rôtya, en wallon, voir aussi plus bas), Moucheron à Mouscron, tandis que Salpéteur désignait autrefois une personne récoltant le salpêtre, matériau rare et recherché pour confectionner la poudre à canon. Le nom de famille Delputte, lui, ne fait pas référence à un métier peu estimé, mais n’est rien d’autre qu’une variation régionale, néerlandisée, de Dupuis (Delpuits, dans sa version ancienne).

Retour de balancier

A contrario, certains noms peu flatteurs à l’origine ont aujourd’hui perdu toute leur saveur « piquante » : c’est ainsi le cas des Crombez, Brognaux et autres Loens, ainsi que leurs variantes, renvoyant à des mots wallons ou flamands bien souvent oubliés (et qui sont ici traduisibles par « tordu », « boudeur » et « bigleux »). Lorsque les noms de famille font référence à une caractéristique physique ou morale, ils sont d’ailleurs le plus souvent un tantinet moqueurs ! C’est qu’ils sont donnés par des tiers... et qu’il est tellement plus plaisant de dire du mal d’une personne que du bien ! D’ailleurs, méfiez-vous si vous portez un nom de famille grandiloquent, tel que Leroy, Dekeyzer ou Depaepe. Dans la majorité des cas, ces surnoms étaient attribués à des personnes qui se donnaient de grands airs mais qui, pour paraphraser l’artiste... « n’avaient pas l’air du tout ». Autrement dit, il s’agissait bien souvent de bigots, de personnes imbues d’elles-mêmes ou de grands pédants.

Autant garder ces détails en mémoire avant d’envisager de vous moquer, la prochaine fois que vous rencontrerez un nom de famille cocasse !

Sources : Dictionnaire des noms de famille en Wallonie et à Bruxelles, Jean Germain et Jules Herbillon, éditions Racine , 2007.

Les noms de famille et leurs secrets, Jean-Louis Beaucarnot, éditions Robert Laffont, 1988.

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