© GETTY IMAGES

Comment l’état s’enrichit sur notre chagrin

Nouvelle carte de riverain ou impôt sur les funérailles après 15 h, les autorités déploient une folle inventivité pour nous faire mettre la main au portefeuille après le décès d’un proche. Enquête.

« Mon mari est mort subitement, le 4 janvier dernier, témoigne Léonie. Le 11 janvier, je recevais une lettre de l’administration communale pour me dire que la carte de riverain au nom de mon mari expirait et que j’avais un mois pour en demander une nouvelle. La carte étant couplée à la voiture qui était également au nom de mon mari et à son numéro de registre national, je ne pouvais faire autrement que de demander une deuxième carte de riverain qui coûte 250€ par an. Cette lettre a été un coup dur, car je l’ai reçue alors que j’étais encore sous le choc. »

La ville (en l’occurrence Gand) n’a pas perdu de temps. D’autant que l’administration communale n’est qu’une des autorités belges qui perçoivent des taxes après un décès. Le plus gourmand en la matière est le gouvernement régional. À quoi s’ajoutent les frais d’acte chez le notaire, si vous devez y recourir dans le cadre de la succession.

Cet article ne se penche que sur les frais réclamés par les autorités au plus proche parent lors d’un décès. En Belgique, il s’agit principalement de la Région (droits de succession), de la commune et du notaire (officier public). Les communes font aussi preuve d’inventivité quand il s’agit de nous faire mettre la main au portefeuille. Principalement pour tout ce qui concerne le cimetière et les funérailles: une concession pour la tombe ou un emplacement pour l’urne, une niche ou un columbarium, les frais d’inhumation, le transfert de l’urne, l’ouverture du caveau... tout cela a un prix. On l’ignore souvent, car la commune facture nombre de ces frais directement à l’entreprise de pompes funèbres, qui les inclut ensuite dans la facture du client.

Après 15 heures? 150€ de taxe!

En Belgique, chaque commune pratique ses propres tarifs pour les enterrements et les cimetières communaux. Les concessions pour une tombe en pleine terre, pour un caveau ou une niche dans un columbarium représentent les coûts les plus importants. Les écarts de prix sont parfois vertigineux. Non seulement d’une commune à l’autre, mais aussi selon la durée de la concession et le fait que vous résidiez ou non dans la commune. La concession pour une tombe avec caveau en pleine terre pour une période de cinquante ans coûte 2.100€ à Molenbeek et 4.000€ à Evergem. À Jodoigne, on ne paie que 372€ la concession de trente ans pour un caveau familial de deux personnes. Mais pour les non-résidents, ce montant passe à 1.116€.

Pour la conservation d’une urne dans la niche d’un columbarium, les tarifs sont plus raisonnables. Sauf si le défunt repose dans un cimetière bruxellois sans avoir été résident à Bruxelles. Bruxelles-Ville a augmenté de 300% les frais d’inhumation pour les non-résidents. Une concession de quinze ans pour une niche dans un columbarium situé dans un cimetière urbain de Bruxelles coûte 1.200€ (concession + frais d’inhumation) pour un résident (18 ans et +), et 2.700€ pour un non-résident. À titre de comparaison: à Jodoigne, une niche pour une urne dans un columbarium coûte 250€ pour un résident et 500€ pour un non-résident, et ce pour une période de vingt ans.

En Belgique, chaque commune pratique ses propres tarifs pour les enterrements et les cimetières.

C’est à Molenbeek-Saint-Jean que nous avons trouvé la taxe d’enterrement la plus inventive. Si un défunt est enterré un samedi entre 8 h et 11h45, la commune lui fait payer une taxe de 150€. La même taxe s’applique si le cortège funéraire arrive après 15 heures un jour de semaine, ou même après 12h45 entre le 15 juillet et le 15 août.

Il n’est donc pas surprenant que de nombreuses familles endeuillées optent pour la dispersion des cendres sur une pelouse de dispersion. La plupart des communes le permettent gratuitement, d’autant plus si le défunt était un résident.

Et les droits de succession, bien sûr

Malgré tout, ce ne sont pas les frais communaux qui pèsent le plus lors du décès d’un proche. Dans la quasi-totalité des cas, la palme revient à l’impôt sur les successions ou droits de succession. Depuis 2015, cette taxe n’est plus perçue par le gouvernement fédéral mais par les trois Régions.

Certes, le conjoint survivant ne doit pas payer de droits de succession sur son habitation principale et les Régions ont fait des efforts ces dernières années pour réduire cet impôt pour les héritiers en ligne directe. N’empêche que les droits de succession demeurent une importante vache à lait pour les caisses régionales. En 2021, les droits de succession ont rapporté à Bruxelles et à la Wallonie ensemble plus de 1,3 milliard d’euros et à la Région flamande pas moins de 1,580 milliard d’euros de recettes.

Dans les trois Régions, les droits de succession sont progressifs: plus la succession est importante, plus ils augmentent. Les droits de succession dépendent aussi du degré de parenté entre le défunt et ses héritiers. Les écarts des montants à régler peuvent donc, logiquement, varier du tout au tout. Nos quatre exemples le montrent clairement (voir page suivante). Dans le cas de Miriam, le frère de son défunt mari avait contracté une dette de 160.000€ auprès de lui. Cette dette était déjà incluse dans l’actif de la succession, ce qui explique les droits de succession élevés.

Sans notaire?

Le troisième poste de dépenses officiel en cas de décès concerne les frais de notaire, qui comprennent les frais d’acte qu’on ne peut pas toujours éviter, et les honoraires du notaire qui ont posé de gros problèmes par le passé. Ainsi, si le défunt avait un contrat de mariage ou un testament, un acte de succession notarié sera nécessaire pour débloquer les comptes. Mais pour la simple déclaration d’une succession auprès de la Région wallonne, bruxelloise ou flamande, le recours à un notaire n’est pas obligatoire. Si vous prenez le temps et faites l’effort de rassembler les documents nécessaires, vous pouvez remplir et déposer cette déclaration vous-même. Après le décès de son beau-père, Alphonse s’est attelé à la tâche: « Je me suis rendu sur le site internet de la Région pour voir quels documents je devais rassembler. J’ai ensuite rempli moi-même la déclaration, l’ai fait signer par ma femme, son frère et ses soeurs, et l’ai déposée. J’ai été en mesure d’estimer les droits de succession. Tout cela a pris un certain temps, mais la succession de mon beau-père était simple. J’ai pu ainsi économiser les frais de notaire. »

Rarement moins de 5.000€

Chaque succession étant différente et les tarifs pratiqués par les autorités communales variant parfois du tout au tout, dégager une moyenne des coûts officiels n’est pas vraiment significatif. On constate néanmoins que, même dans le cas du décès d’une personne (très) proche, par exemple le conjoint ou un parent, les frais sont rarement inférieurs à 5.000€. Et ce sans compter les dépenses privées.

Mais même si on se limite aux montants perçus par le gouvernement, une question se pose: la mort d’un proche doit-elle vraiment coûter aussi cher? Le chagrin n’est-il pas déjà assez lourd à porter pour qu’on ne doive pas y ajouter des soucis financiers?

4 exemples, 4 factures

La facture pour Léonie

Léonie a perdu son mari en janvier 2022. Elle a trois enfants et était mariée sous le régime légal (communauté des biens acquis après le mariage). Elle est propriétaire de son logement.

  • Frais de notaire (frais de dossier + frais d’acte): 2.809,78€
  • Droits de succession: 5.956,24€
  • Plaque sur une colonne au cimetière: 84€
  • Total: 8.859,02€

La facture pour Alphonse

Le beau-père d’Alphonse est décédé en avril 2022. Il était veuf et laisse quatre enfants. Son gendre, Alphonse, s’est occupé des documents pour la déclaration d’impôts. Il n’est pas propriétaire de son logement.

  • Frais de notaire (frais de dossier + frais d’acte): 0€
  • Droits de succession: 2.002€
  • Plaque et dispersion des cendres: 84€
  • Total:2.086€

La facture pour Monique

Monique a perdu son mari en février 2021. Elle n’a pas d’enfant et était mariée sous le régime de la communauté des biens réduite aux acquêts. Elle est propriétaire de son logement.

  • Frais de notaire (frais de dossier + frais d’acte): 1.997,95€
  • Droits de succession: 2.665,89€
  • Niche au columbarium pour 2 personnes, pendant 50 ans: 1.550€
  • Total: 6.213,84€

La facture pour Miriam

Le mari de Miriam est mort en décembre 2021. Ils ont deux fils et se sont mariés sous le régime légal (communauté des biens acquis après le mariage). Elle est propriétaire de son logement. Les droits de succession ont réglé une dette que son beau-frère devait au mari de Miriam.

  • Frais de notaire (ce n’est qu’un acompte): 500 €.
  • Droits de succession: 18.882,49 €.
  • Emplacement au cimetière, pour 1 personne pendant 20 ans: 150€
  • Total: 19.532,49€

Ndlr: Léonie, Alphonse, Monique et Miriam sont des noms d’emprunt mais leurs récits sont bien réels.

Contenu partenaire