© Belga

C’est de la merde : Jean-Pierre Coffe nous a quittés !

Lunettes rondes sur visage rond. Noires, bleues, rouges ou écaille de tortue, ces bésicles à branches étaient la griffe pittoresque de Jean-Pierre Coffe. Mais penser que seules les lunettes rendaient l’homme truculent, c’était bien mal le connaître ! Son franc-parler et ses coups de gueule sans concession l’ont rendu tout aussi célèbre que son combat contre la malbouffe. Le bon vivant est mort en toute discrétion, alors qu’il venait de fêter son 78e anniversaire.

Jean-Pierre Coffe était une sorte de Rémi Bricka ayant troqué la musique contre la verve des hommes tranchants. Dans la nuit du 29 mars, cinq jours après avoir soufflé ses 78 bougies, il a quitté la table sans bruit, dans sa maison de Lanneray en Eure-et-Loir. Il ne souhaitait pas que l’annonce de son décès soit divulguée avant son incinération, mais la puissance des médias en a voulu autrement. Quelques heures à peine après sa disparition, les réactions affluent déjà de toutes parts. « J’aimerais tant qu’il m’engueule encore », a notamment regretté Laurent Ruquier, son partenaire sur les ondes de RTL. Référence sans doute à ses coups de gueule tonitruants et ses mots qu’il ne mâchait pas, quand il s’agissait d’alimentation de piètre qualité. Mais derrière le personnage haut en couleurs, se cachait un homme touchant, un caractère forgé par une vie jalonnée de failles et de douleurs.

De la misère aux planches

Très vite, Jean-Pierre côtoie la mort. Pierre, son père et coiffeur de son état, est tué par les Allemands en 1940 alors qu’il n’a que deux ans. Sa mère Gilberte, rasée à la Libération, reprend le salon de coiffure et l’élève sans amour. Il a connu la faim et la misère, mais dans ses souvenirs d’enfant, il garde l’image de sa grand-mère Marie, cuisinière dans une maison bourgeoise et, celle de son grand-père Victor, maraîcher à Lunéville, sa ville natale. Celui-là même qui fut arrêté par les Allemands pour avoir traité un officier de ‘cochon’. La gouaille sans rondeur serait-elle héréditaire ?

En 1944, le petit Coffe est, en tant que pupille de la nation, recueilli par une famille de fermiers. A 13 ans, il oublie la rigueur du pensionnat le temps des spectacles que sa mère lui fait découvrir à Paris. C’est donc tout naturellement qu’adolescent, il s’inscrit au cours de théâtre René Simon. Pour subvenir à ses besoins et payer ses leçons de comédie, il n’hésite pas à proposer ses services en tant que ... repasseur dans une teinturerie, toutes les nuits de 4h à 7h ! Comédien il le sera un temps, voire même acteur dirigé par Chabrol, Boisset, Barjol, Santini et aussi Balasko.

Infatigable et curieux de tout

Après trois ans à servir la France pendant la guerre d’Algérie, il décroche un premier emploi grâce à son annonce laconique publiée dans le Figaro : « Ne sait rien faire, mais plein de bonne volonté ». Durant sept ans, il assure ainsi la direction commerciale d’une marque de papier de cigarettes, avant de changer de crémerie et d’occuper les mêmes fonctions aux Editions Robert Laffont. La mauvaise fortune le rattrape toutefois. Victime d’un grave accident de la route, sa convalescence et le calvaire de la rééducation durent deux ans. Mais Jean-Pierre se relève. Il fonde alors sa propre agence de relations publiques ainsi que l’association ‘Les Grand-mères au pair’. Son objectif : accueillir des papys et des mamys dans des familles pendant les vacances. Son initiative permet de placer environ 5.000 personnes. Pourtant, son agence fait faillite et Jean-Pierre Coffe se retire dans sa maison de campagne à Lanneray. Mais Jean-Pierre reste debout. La gastronomie entre alors dans sa vie. A 35 ans, il ouvre à Paris les restaurants La Ciboulette et Modeste, des établissements fréquentés par les milieux du cinéma, du théâtre et de la télévision. Il côtoie entre autres Michel Serrault, Jean Poiret, Jean-Pierre Marielle, Luis Bunuel et Graham Greene. Nouvelle faillite. Mais Jean-Pierre ne fléchit pas. Cette fois, il pousse les portes du PAF. A partir des années 80, il passe de Canal+ à France Télévisions, s’arrête un instant sur RTL, s’entend avec Jean-Luc Delarue dans les couloirs de TF1, puis le conchie aussitôt qu’il lui ferme le plateau. Ses chroniques colériques et culinaires s’abattent sur les ondes de RTL et de France Inter, alors qu’il défend la bonne chère et les produits de qualité accessibles à tous. « Bon vivant qui avait le goût de partager avec ses amis et les Français le plaisir des rencontres et des saveurs, Jean-Pierre Coffe a contribué à redonner à notre gastronomie tout son prestige, mais aussi toute sa simplicité. Il voulait la mettre à la portée de tous », a réagi le président français François Hollande au décès du critique gastronomique.

Une cave à vider

Auteur de nombreux ouvrages allant du guide culinaire au recueil de conseils en jardinage, en passant par les livres de recettes, Jean-Pierre Coffe a également signé une autobiographie emplie d’émotions. S’il était conscient d’avoir eu une vie accomplie et d’avoir gagné de l’argent, le drame de sa vie ne porte pas de nom. L’enfant qu’il n’a jamais connu est mort dans une cuvette de bidet, avorté sous ses yeux par sa première femme. Il relate aussi la mort de Dominique, sa fille adoptive, emportée par un cancer. Dans un autre style, il évoque sa première nuit avec un homme, raconte ses trois mariages ratés, sa fidélité et ses cocufications, sa bisexualité assumée. Il revendique sa liberté, celle qui a fait de lui le trublion estimé ou au contraire, détesté. Un homme qui n’a jamais laissé personne indifférent. Lui qui avait pour petit plaisir de s’occuper de sa roseraie ou de tuer le temps en faisant des réussites, il aimerait tant que ses cendres soient dispersées dans son jardin de Lanneray, où il avait un jour invité tout le village. Après quoi, ses amis viendront vider sa cave. Telles sont ses dernières volontés.

Contenu partenaire