© Fréderic Raevens

Bruno Brel: ‘Jacques, mon père et moi avions la même voix’

Pascal Belpaire Journaliste freelance

Après cinquante ans de carrière, le neveu de Jacques Brel a raccroché sa guitare. Il ne supportait plus le trac les nuits précédant ses concerts. Il préfère désormais l’écriture de romans et le VTT en Ardenne.

L’autre Brel de la chanson, Bruno, neveu de Jacques, habite depuis un an dans un chalet à Wellin, aux portes de l’Ardenne. Lui qui a écumé les centres culturels et les autres salles de Wallonie, de France, du Québec, lui qui a chanté dans 36 pays, qui totalise 52 années de carrière au compteur, savoure le calme de la campagne. Fier de son long parcours d’artiste, il a rassemblé ses souvenirs dans un livre intitulé « Le neveu de mon oncle ». Aujourd’hui, il prend le temps. Celui d’écrire des romans, de composer une chanson quand lui vient l’envie ou d’enfourcher son VTT pour s’enivrer du bon air des forêts.

Votre fierté, c’est d’avoir vécu du métier de chanteur pendant des décennies. Pourquoi décider soudain d’arrêter?

Avec la pandémie, des organisateurs ont commencé à annuler mes concerts. J’approchais de mes 70 ans, j’avais de plus en plus un trac insupportable les nuits précédant mes soirs de spectacle. Mon oncle Jacques aussi avait un trac terrible. Une demi-heure avant d’entrer en scène, mon trac disparaissait. Face au public, j’étais bien. Mais qu’est-ce que j’avais dégusté avant! Et puis, les tournées, c’était 50.000 kilomètres par an en voiture, plus les avions, les trains, les bagages, les soucis, les hôtels qu’on n’a pas choisis...

La scène vous manque-t-elle?

Pas du tout. Je me suis fait à l’idée que c’était terminé. Les guitares sont toujours là. J’enregistrerai encore éventuellement un disque si j’en ai l’opportunité. Je m’épanouis dans ma nouvelle vie, heureux de mon choix.

Vous avez commencé très jeune sur scène, à 16 ans, lorsque vous avez quitté la cartonnerie familiale Vanneste & Brel. Mais comment faire sa place quand on s’appelle Brel, d’autant que vous aviez un air de ressemblance avec Jacques dans les traits, dans la voix, peut-être aussi dans les mots?

Ce métier, c’est un coup de poker. J’ai eu la chance de rencontrer Jacques Canetti. Ce grand monsieur a fait rechanter Edith Piaf quand il n’y avait plus personne pour s’occuper d’elle. Il a aussi découvert Félix Leclerc, seul avec sa guitare, à Montréal et il l’a amené à Paris. Il a convaincu Georges Brassens de chanter alors qu’il se contentait de faire chanter les autres. Il avait compris tout le potentiel des chanteurs à la guitare. Il a été précieux pour moi.

Vous avez ramé pour vous faire accepter dans le milieu du show-business à Paris. Cela avait aussi été le cas pour Jacques Brel, que vous évoquez dans « Le neveu de mon oncle ». Avez-vous des souvenirs de ses débuts?

La galère, Jacques l’a connue. Au point d’être à deux doigts d’arrêter de chanter. Après deux 78 tours qui n’ont pas marché, c’était quitte ou double. Son producteur Jacques Canetti a dû se battre pour que sa firme de disques continue. Alors, il lui a demandé d’écrire une chanson qui se retiendrait facilement. Ainsi est née « Quand on n’a que l’amour ».

Et vous avez un souvenir personnel à ce sujet...

Jacques vivait déjà à Paris. Il revenait très peu à Bruxelles. J’avais 5 ans, j’étais très impressionné par ce grand maigre moustachu. Un dimanche, j’étais chez Moucky, ma grand-mère maternelle. La veille, il avait chanté à l’Ancienne Belgique. Fait exceptionnel, il est arrivé avec sa guitare. Il a chanté le premier couplet de « Quand on a que l’amour » et il a demandé à sa maman si elle pensait que ça allait se retenir. C’est une des rares fois où il lui a demandé conseil. Chez Philips, Jacques était vu comme le petit Belge qui leur faisait perdre de l’argent. Ils avaient vendu un millier d’exemplaires de son premier disque ; le deuxième, moins de 500. Ils ont accepté de ressortir celui-ci à l’identique, avec la même photo sur la pochette, en y ajoutant « Quand on n’a que l’amour ». Et ça a décollé tout de suite.

Mon grand projet: qu’un de mes romans devienne un film.

Pierre, votre père, avait donc repris la cartonnerie familiale, et votre oncle Jacques était parti faire carrière à Paris. Les deux frères sont pourtant restés très unis, très complices, même s’ils ne se voyaient pas très souvent...

Ils comptaient beaucoup l’un sur l’autre. Même à distance, ils se remontaient le moral. Dès que ça a commencé à marcher pour Jacques, ça a été un sprint invraisemblable. A son impresario, il avait dit: « On accepte tout ». Il voulait être disponible pour tout le monde, sans mettre la moindre limite, même si ce n’était pas bien payé. C’est tellement hasardeux d’arriver au succès! Le talent ne suffit pas, il faut le coup de chance. Jacques Brel serait-il devenu ce qu’il est devenu s’il n’avait pas remplacé en dernière minute Marlène Dietrich à Bobino? Elle était tombée malade, et il y avait le petit Belge qui était libre.

Vous a-t-il donné des conseils quand vous vous êtes lancé dans la chanson?

Il m’a juste conseillé sur l’attitude à avoir vis-à-vis des autres, de ne pas me laisser influencer par les critiques.

A l’époque, vous vous êtes demandé si vous deviez garder Brel comme nom d’artiste. Qu’en pensait Jacques Brel?

Il a été catégorique: « Si tu changes de nom, c’est foutu ». Je ne l’ai jamais imité, mais il ne faut pas fuir les ressemblances. Mon père, mon oncle Jacques, mon frère aîné et moi, on avait tous la même voix. Les chats ne font pas des chiens.

Jacques Brel vous avait aussi conseillé de chanter en anglais. Pourquoi ne l’avez-vous pas écouté?

« Le genre de chansons qu’on fait, m’a-t-il dit, ça ne va plus durer longtemps. » Il sentait très bien que tout changeait avec la montée en puissance du rock. Il m’a expliqué que les Américains aimaient qu’on leur raconte une histoire. « Tu fais bien cela. Eh bien, traduis tes textes en anglais, ce sera bingo. » Mais j’étais trop amoureux de la chanson française. J’écoutais Brassens des nuits entières. Je ne comprenais pas comment il était possible d’écrire aussi bien. En anglais, les mots n’ont pas la même saveur. J’ai toujours adoré Julien Clerc, Souchon, Voulzy. Eux ont fait des choses magnifiques en français, avec une influence anglo-saxonne dans leur musique.

Parmi les très nombreuses chansons que vous avez écrites, quelle est celle dont vous aimeriez qu’elle entre dans la postérité? Celle qui dit le mieux qui est Bruno Brel?

Les émigrants, chanson que j’ai sortie en 1979. C’est une de celles qui ont suscité le plus de réactions dans le public. Enrico Macias m’a dit que c’est la plus belle chanson qu’on a écrite sur le sujet. Venant de lui, ça m’a fait chaud au coeur. De façon plus générale, il m’a sans doute manqué de faire un vrai tube, mais bon, mon oncle non plus n’écrivait pas des tubes, même si certaines de ses chansons sont devenus des succès phénoménaux.

Vous composez toujours des chansons?

Quand on me le demande, oui. Je l’ai fait récemment pour Tima, qui a participé à The Voice et qui a une voix extraordinaire. Elle veut dédier une chanson d’amour à l’homme avec qui elle partage sa vie maintenant.

Avez-vous d’autres projets?

J’ai deux buts. D’abord, la littérature. J’ai écrit un roman qui s’intitule « L’Ile morte », une fiction qui se passe il y a trente ans. Je vais le faire éditer. Ensuite, avoir un de mes romans porté à l’écran. « L’Ile morte » deviendra un film, ou un téléfilm en trois parties. Jean-Jacques Annaud et sa fille ont montré beaucoup d’intérêt. Le projet est retardé car Annaud tourne actuellement un film sur l’incendie de Notre-Dame. Mais c’est en bonne voie.

Le reste du temps, je le garde précieusement pour faire du VTT. Je me sens bien en Ardenne. La gentillesse des gens me touche. Ce mot n’a jamais été péjoratif dans ma famille. Pour mon père et pour Jacques, la première qualité de quelqu’un, c’était la gentillesse.

Bruno Brel, « Le neveu de mon oncle », Editions Café de la Rue, 18,99 €.

Bruno Brel

  • 1951 : Naissance à Bruxelles
  • 1967 : Débuts au Grenier de la Chanson à Bruxelles
  • 1970 : Rencontre et tournée avec Anne Sylvestre, sa marraine du métier
  • 1977 : Participation au Grand Echiquier
  • 1978 : Première partie de Marie-Paule Belle
  • 1994 :  » Le Touareg blanc « , premier roman
  • 2018 : Livre  » Jacques Brel en 40 chansons  »
  • 2020 : Retour en Belgique, s’installe en Ardenne

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