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Bien s’habiller, c’est dépassé ?

Voilà venues les fêtes de fin d’année et l’occasion de sortir ses plus beaux vêtements... Mais bien s’habiller est-il encore tendance ? Ne risque-t-on pas d’avoir l’air en dimanché ?

Les grandes enseignes sortent leurs collections de fête : robes à paillettes, cols brodés de perles, escarpins en velours. Moi, j’adore mais je pourrais bien ne pas porter mes plus belles tenues cette année. En effet, qui, de nos jours, fait encore l’effort de bien s’habiller ? Je ressemble d’ailleurs de plus en plus à un anachronisme. Que ce soit au travail, à une fête, au restaurant ou au théâtre, tout le monde porte des jeans, des baskets, un sweat-shirt ou, pire, un polaire...

Le contraste est flagrant lorsqu’on regarde la série américaine Mad Men qui raconte le quotidien d’une agence de publicité dans les années 1960-1970. Les hommes impeccablement coiffés portent le costume. Les femmes, elles, sont soigneusement maquillées, affichent une coiffure impeccable et portent des toilettes ravissantes. Certes, la série se déroule dans le milieu chic et créatif de Manhattan et les personnages ne sont pas représentatifs du travailleur lambda de l’époque. Mais quand même.

Bien s'habiller, c'est dépassé ?
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 » L’évolution est indéniable, et ce, qu’on ait beaucoup d’argent ou pas. Il suffit de regarder les photos des visiteurs de l’Expo 58, confirme Edouard Vermeulen, styliste (Natan). Une excursion pour la plupart d’entre eux. Les dames portaient une robe, des chaussures à talon, un sac à main et parfois même des gants. Faites la comparaison avec le public qui visite Brussels Expo aujourd’hui. C’est le jour et la nuit. Les gens n’étaient pourtant pas plus riches à l’époque.  »

Les réseaux sociaux

L’Expo 58 est un exemple parlant, confirme la styliste Linda Van Waesberge, 64 ans.  » Mais c’était un événement vraiment exceptionnel. C’est là toute la différence : actuellement il y a des événements à tout bout de champ et nous y sommes habitués. En matière de vêtements, les normes sont devenues floues. Le style casual est accepté partout, en toutes circonstances. Le costume et la robe habillée s’affichent encore dans les manifestations élitistes, en cercle restreint. La tenue est plus décontractée et passe-partout, voire négligée dans la rue. Il n’y a plus de restrictions, ce qui est ressenti comme une liberté retrouvée.

En outre, beaucoup de gens ont du mal à s’accepter tel qu’ils sont et préfèrent ne pas attirer l’attention sur eux. Notre époque est plus cruelle de ce point de vue. Des millions de photos sont publiés sur les réseaux sociaux, ce qui suscite la comparaison et par conséquent un certain malaise. L’image de la rue est également devenue déterminante sous l’influence des réseaux sociaux. Ce n’est plus la mode qui dicte ce qu’il faut porter mais la rue qui dicte à la mode ce que les magasins doivent proposer.  »

Les grandes maisons de mode surfent sur ce phénomène et ont, par exemple, intégré la tenue sport et les sneakers dans leurs collections.  » Il faut aujourd’hui une bonne dose de courage pour bien s’habiller. Car une tenue chic attire les regards. Maintenant que le casual est devenu la norme, on hésite à s’en écarter. S’habiller de la même façon que le groupe est une façon de se protéger. D’où le succès de la petite robe noire.  »

La fin du formalisme

Comment en est-on arrivé là ? « La société devient de plus en plus informelle, explique l’observateur de tendances Herman Konings. Les conventions et la hiérarchie tendent à disparaître : les structures en entreprise sont plus horizontales, les enfants interpellent leur instit par leur prénom, les médias pratiquent un langage plus informel. Le vouvoiement est tombé en désuétude. À la télévision, la speakerine qui annonçait les programmes de la soirée a, elle aussi, disparu de l’écran. « 

Lorsque la société devient plus informelle, le besoin de se distinguer des autres revient en force !

La disparition du formalisme a débuté à la fin des années 1960, lorsque les baby-boomers sont arrivés à l’âge adulte. Rien à voir avec la génération – plus docile – d’avant-guerre. Le consumérisme à l’américaine s’est propagé, les conventions ont été remises en question et jetées à la poubelle, la mentalité sexe, drogue et rock’n roll s’est peu à peu imposée. Ils ont ouvert la voie à leurs enfants nés dans les années 1970-80. C’était la première génération à recevoir une éducation informelle et anti-autoritaire, la première à s’impliquer dans le débat. C’est aussi la génération qui occupe les postes clés aujourd’hui.

Le stress du choix

Indépendamment du contexte social, on peut évidemment prendre plaisir à s’habiller avec style.  » Le manque de temps et la difficulté de choisir constituent un stress supplémentaire. Les familles à double revenu avec enfants ont nettement moins de temps qu’il y a trente ans, constate l’observateur de tendance. Il faut suivre des formations, réseauter, etc. On n’a tout simplement pas le temps de se formaliser. Surtout pendant les loisirs. C’est pourquoi on n’éprouve aucune gêne à se rendre à une fête dans une tenue décontractée. Se mettre sur son 31 demande du temps et de l’argent : faire du shopping, aller chez le coiffeur... Il y a tellement d’autres choses à faire, tellement de choix possibles qu’on renâcle à faire l’effort. Pour les jeunes en tout cas, c’est une perte de temps.  »

Quelqu’un a lancé un jour :  » J’aimerais m’habiller pour aller dans un restaurant étoilé mais je ne voudrais surtout pas passer pour un paysan endimanché...  »

 » Ne serait-ce pas une forme de snobisme inversé ?, analyse l’observateur de tendance. Car le fait de bien s’habiller témoigne de l’importance toute particulière qu’on attache à l’événement. On peut effectivement parler reversed psychology ! L’offre de culture active est gigantesque : théâtres, musées, manifestations, voyages. Nous vivons une époque d’expériences. Chacun veut montrer qu’il est un citoyen du monde et qu’il participe activement à la société en marche. Le fait de bien s’habiller peut signifier que, à l’instar du paysan autrefois, on ne sort qu’une fois par an et qu’on tient à marquer le coup par une tenue de fête. On montre ainsi qu’on a fait un effort particulier. Alors qu’on veut paraître cool et signifier qu’on n’a pas de temps à consacrer à sa toilette. Vous pouvez être sûr que les gens qui vont en baskets au restaurant étoilé ou à une fête chic ont longuement pensé leur tenue mais ils ne veulent pas que cela se sache au risque de passer pour des novices. Même si manger dans un restaurant étoilé reste exceptionnel pour la plupart.  »

Des conventions claires

Bien s'habiller, c'est dépassé ?

 » D’un autre côté, ce qui est rare s’apprécie, note l’observateur de tendance. Si le formalisme tendait à disparaître complètement de la société, le besoin de se distinguer des autres se ferait plus pressant et il ferait son come-back. Certains événements à contre-courant commencent d’ailleurs à apparaître, comme les fêtes très branchées de Radio Modern qui impose un code vestimentaire et un carnet de bal. Je vois aussi des gens s’habiller chic quand les conventions l’exigent, dans le cadre d’une fête en cercle restreint. C’est souvent le cas pour le Nouvel An. Les invités conviennent d’une tenue chic. Ma femme et moi le faisons avec nos amis. Pour le réveillon, nous portons des habits de fête. Nous savons que nos amis respectent cette convention de sorte que chacun se sent parfaitement à l’aise. Quand le dresscode a été clairement annoncé, il est généralement suivi parce qu’on sait qu’il sera partagé. Dans d’autres circonstances, on part du principe que personne ne fera l’effort de soigner sa mise.  »

Bien s'habiller, c'est dépassé ?

Peut-être devrais-je donc convenir d’un code vestimentaire avec ma famille et mes amis pour les fêtes de fin d’année ? Je pourrais alors afficher ma plus belle robe de fête sans aucune arrière-pensée...

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