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Apprendre à gérer sa relation avec un patron plus jeune

Au travail, il n’est plus rare d’avoir un(e) supérieur(e) (bien) moins âgé(e) que soi. Comment faire en sorte que cette relation se passe au mieux?

En décembre dernier, Philippe, 54 ans, a appris que son supérieur direct, bientôt pensionné, allait être remplacé par un fringant quadra. « J’ai directement pensé que j’allais me retrouver avec un jeune blanc-bec qui allait nous parler en charabia marketing et nous expliquer comment travailler, alors que j’ai plus de vingt ans de boîte ! »

Autant d’aprioris négatifs qui soulignent qu’avoir un supérieur plus jeune que soi est encore généralement considéré comme contre-nature. La situation est pourtant appelée à devenir assez commune, puisqu’elle correspond à une nouvelle conception du monde du travail. « Dans les années 80-90, si vous aviez des capacités, que vous faisiez bien votre boulot, on faisait en sorte que vous montiez les échelons, rappelle Daniel Neuret, coach en entreprise. Ça partait d’une bonne intention: de cette façon, on voulait récompenser le travailleur, lui exprimer une certaine reconnaissance. Mais on s’est depuis rendu compte qu’employé ou manager, ce sont deux profils complètement différents. »

Monter en grade reste encore souvent un graal dans l’esprit du travailleur expérimenté

A cela, il faut ajouter la révolution numérique en cours, qui amène quantité de nouveaux outils de management et de communication, dont la maîtrise est nécessaire. C’est ce qui explique que dans les grandes entreprises (c’est encore rare dans les PME), les postes de cadres reviennent désormais à des personnes spécialement formées... et parfois bien moins âgés que leurs subordonnés. S’il n’existe pas de chiffres à ce propos chez nous, aux USA, plus d’un tiers des travailleurs doivent déjà composer avec des supérieurs plus jeunes.

« Alors fiston, ça boume ? »

 » Être dirigé par quelqu’un de plus jeune, cela peut éveiller des schémas de comportement dans lesquels on va s’ancrer « , fait remarquer la psychologue Salwa El Makrini. Si nous avons des enfants de l’âge du nouveau patron, ou que nous avons (eu) une relation d’autorité sur des personnes de son âge (beaux-enfants, neveux, etc.), la routine que nous avons vécue va inconsciemment nous influencer à poser un regard, des propos ou des gestes paternalistes envers le supérieur. Un comportement à éviter au maximum, surtout au moment de laisser une première impression !  » Il faut en être conscient et ne pas être obnubilé par l’idée qu’on est le plus âgé. C’est un facteur à pouvoir mettre de côté. « 

A l’opposé, mieux vaut ne pas faire comme si on était de la même génération que son patron et tenter de gommer artificiellement toute différence générationnelle. Sous peine de passer pour quelqu’un qui, pour paraphraser Brel,  » aimerait bien avoir l’air, mais qui pas l’air du tout  » ! Au mieux, un peu touchant, au pire, ridicule !

Peur et amertume

Une réalité difficile à avaler pour beaucoup de travailleurs aguerris, qui assistent au parachutage d’un nouveau supérieur ne pouvant pas se prévaloir de leur solide expérience.  » Il y a très souvent de la frustration de voir le poste passer à quelqu’un de l’extérieur, mais aussi de la peur, estime Valérie Henrotte, psychologue donnant régulièrement des formations en entreprise. Le travailleur de plus de cinquante ans a tant donné à son entreprise qu’il a envie qu’on l’estime pour ce qu’il a apporté. Or, l’arrivée d’un nouveau manager, encore plus s’il est jeune, fait qu’on se demande si on sera encore apprécié à sa juste valeur. »

Le plus souvent, la crainte et le sentiment d’humiliation sont passés sous silence, ou seulement partagés avec les (collègues) proches. « On a l’impression que ça va mal se passer si on en parle à sa hiérarchie et on préfère intérioriser sa peur « , ajoute la psychologue. De quoi multiplier les risques que la situation ne dérape : le travailleur peut devenir totalement démotivé, voire tenté de mettre des bâtons dans les roues de son supérieur. Au final, un tel comportement est non seulement inefficace – tout le monde en pâtit et cela n’annulera pas la nomination – mais aussi dangereux : outre les risques professionnels, de telles pensées négatives finissent souvent par déborder dans la vie privée.

Et ma promotion, alors ?

Il est donc important de désamorcer la situation et d’en parler au plus tôt ! En théorie, c’est aux ressources humaines (RH) et à la hiérarchie de préparer le terrain, en amont ou immédiatement après l’arrivée du  » petit nouveau « . Problème: les RH oublient souvent de répondre à une question, simple mais primordiale, qui vient à l’esprit de tous les travailleurs : pourquoi le nouveau manager, malgré son jeune âge, est-il compétent à ce poste ? « Beaucoup d’employés pensent encore à tort qu’un bon chef, c’est quelqu’un qui connaît le job à fond, détaille Valérie Henrotte. La compétence d’un manager, ce n’est pas de connaître le boulot technique, même s’il doit savoir un peu de quoi il retourne. Il est là pour ses compétences d’organisateur avant tout, il effectue un job avec beaucoup d’administration et de paperasse. Lister les fonctions du manager, ça permet de les démystifier : l’âge n’a finalement que peu d’importance! On comprend mieux que si on n’a pas eu la promotion, ce n’est pas du tout un désaveu qui remet en question nos capacités ou notre expérience. « 

Apprendre à gérer sa relation avec un patron plus jeune
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Mais monter en grade reste souvent un graal dans l’esprit du travailleur expérimenté... Il faut pouvoir faire le deuil d’un modèle de carrière qui a vécu, en essayant de ravaler sa rancoeur. « Lorsqu’on s’approche de la fin de carrière, il peut être intéressant de prendre le temps de se poser sérieusement la question : « qu’est-ce que j’ai accompli dans mon travail ? », suggère Salwa El Makrini, psychologue. Si les réponses nous font du bien, on aura plus facilement une relation apaisée avec son supérieur. Si la réponse s’avère plutôt négative, on pourrait être tenté de faire bouger les choses au boulot de façon précipitée, ce qui est un mauvais calcul, puisqu’on multiplie les risques de gaffes... Il faut donc apprendre à se recentrer sur soi. Cela peut paraître bateau, comme conseil, mais on ne peut entretenir une relation apaisée avec l’autre que si on est apaisé soi-même !  » La nomination du nouveau supérieur peut constituer un électrochoc pour demander posément de nouvelles formations, une évolution/valorisation de sa fonction. Ou, carrément, penser à créer une nouvelle activité sur le côté, choisir de passer plus de temps avec ses proches...

Pourquoi ne pas demander une revalorisation de sa fonction à l’arrivée du nouveau patron ?

Relation win-win

Reste à partir sur de bonnes bases avec le jeune supérieur.  » Il ne faut pas croire qu’il va de l’intérêt du manager de se conduire comme un jeune loup et un tyran, fait remarquer Daniel Neuret. Il est le plus souvent dans ses petits souliers, avec des obligations de résultats : pour assurer la productivité de son service, il a tout intérêt à se montrer à l’écoute des travailleurs et à connaître la perception qu’ils ont de son arrivée.  » Autant profiter de l’occasion et demander rapidement une entrevue au nouvel arrivant !

L’objectif ? Éventuellement lui expliquer son malaise, mais aussi ses besoins et attentes, le mode de fonctionnement au sein du service. « Bref, trouver comment fonctionner ensemble, conclut Valérie Henrotte. Mais attention à ne pas s’exprimer maladroitement. » C’est qu’inconsciemment, l’âge incite souvent à une certaine condescendance envers les plus jeune. Il faut donc veiller à sa communication non-verbale (sourire, ne pas avoir une posture de défiance, trop penchée vers l’avant ou envahissant l’espace intime) et proposer des choses plutôt que de tenter de les imposer. « L’idée est de faire des propositions en expliquant pourquoi elles sont intéressantes pour les deux parties. Un exemple ? S’il doit présenter le service à un autre département, je peux lui expliquer que je connais ses rouages depuis vingt ans et que je peux l’aider. C’est valorisant pour moi et mon expérience et lui, ça lui fait gagner du temps : tout le monde étant gagnant, le manager n’aura pas l’impression que vous essayez de prendre le pouvoir sur lui... »

Il sera enfin tentant de tester un peu les compétences du nouveau supérieur. Une mise à l’épreuve compréhensible, même pour le principal intéressé, puisqu’elle légitimera (ou pas) sa nomination aux yeux des subordonnés. Tout au plus faut-il veiller à ne pas dépasser les bornes. Si le manager parvient à surmonter la difficulté, tant mieux : il sera alors temps d’aller de l’avant et de faire abstraction de son âge. Si la conclusion va dans le sens inverse, au moins, cela objectivera le sentiment d’amertume : ce n’est pas l’âge du patron qui sera ici en cause, mais son incompétence. Soit... un tout autre problème!

6 choses à garder à l’esprit face à un jeune patron

  1. Faites la liste de vos compétences spécifiques : elles vous permettront de vous présenter et de voir qu’il ne s’agit pas nécessairement de compétences managériales.
  2. Demandez rapidement un entretien avec le nouveau patron, pour voir comment fonctionner ensemble.
  3. Entrer dans une spirale négative ne mène jamais à du positif : objectivez la compétence du manager et acceptez-la si elle est avérée.
  4. Acceptez que le modèle de carrière de jadis n’est plus automatiquement vrai.
  5. N’hésitez pas à parler de votre malaise, éventuellement à un professionnel extérieur si vous ne savez pas à qui vous adresser. Evitez en tous les cas de le garder pour vous.
  6. Vous pourrez probablement apprendre beaucoup de votre patron, malgré son âge, et vice-versa : avec la révolution numérique, la transmission d’un savoir n’est plus à sens unique, elle est bilatérale.

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