© iStock

Accord du participe passé : d’où viennent les règles d’orthographe ?

Deux professeurs belges de français ont récemment demandé à la Fédération Wallonie-Bruxelles de supprimer la règle orthographique de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Mais d’où viennent les règles d’orthographe ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’orthographe n’est pas née en même temps que l’écriture. Entendons-nous bien : dès le départ, chaque langage écrit possède un minimum de règles pour pouvoir être lu ou écrit. Par exemple, telle lettre se prononce de telle sorte, telle juxtaposition de lettre retranscrit tel ou tel son. Mais l’orthographe de la langue française, en tant qu’ « ensemble de règles et d’usages définis comme norme pour écrire les mots d’une langue donnée » (définition Larousse), ne s’est fixée que peu à peu...

C’est qu’initialement, le français était un langage parlé, vulgaire et protéiforme, le latin restant par excellence la langue des actes officiels et de la correspondance. Lorsque le français était couché sur le parchemin, c’était avant tout comme aide-mémoire : le scribe retranscrivait le langage oral, plus ou moins phonétiquement et selon la prononciation/les usages locaux, pour un usage très restreint.

A l’origine, il existait donc quantité de variantes pour écrire un même mot ou composer une phrase, quantité de règles grammaticales... voire pas de règle du tout, avec tout un lot d’insuffisances et de contradictions. A cela, il faut ajouter que l’alphabet latin, s’il permettait de retranscrire facilement la langue latine, ne permettait initialement pas de couvrir l’ensemble des sons utilisés dans la langue française (par exemple, il n’existait pas de différence graphique entre « u » et « v », qui s’écrivaient tous deux « v »). D’où l’utilisation d’artifices variés pour pallier au problème. Le nombre de variantes graphiques diminue très lentement à partir du IXe siècle, puis plus rapidement avec le développement de la littérature en langue vulgaire (XIe-XIIe siècle), l’utilisation du français comme langue juridique (à partir du XIIIe siècle, finalisée sous François Ier) et surtout l’avènement de l’imprimerie (vers 1450), qui facilitent la standardisation. En 1635, Richelieu crée l’Académie française, chargée d’établir un dictionnaire et une grammaire de la langue française. Mais même par la suite, le français va continuer à évoluer : il ne s’agit pas d’une langue écrite figée, aux règles immuables et dont l’origine se confondrait avec celle de la langue orale.

Des règles arbitraires... parfois fautives.

L’orthographe française va en effet être tour à tour clarifiée ou complexifiée, pour faciliter la compréhension ou, au contraire, la rendre plus hermétique, élitiste, « noble », voire pédante : ici, par exemple, on introduit l’accent pour différencier des homophones (la et ), le h pour ne pas confondre le son « ai » (j’aurAI) et ahi (ébAHI), etc. Là, on conserve ou ajoute arbitrairement des lettres pour coller au mieux à l’étymologie (parfois supposée) d’un mot : on a ainsi longtemps écrit « temps  » sous la forme « tens« , avant d’ajouter un « p » pour rappeler le terme latin à l’origine du mot, « tempus « . Parfois, ce « retour étymologique » s’avère complètement fautif et injustifié : le « d » de « poids » n’a en réalité aucune raison d’être, puisque le mot a une racine gallo-romane (« pesu« ) et ne vient pas du latin « pondus » !

Ce double mouvement va donner lieu à de nombreuses controverses à partir de la Renaissance : faut-il conserver l’orthographe initiale, qui garde un lien (éventuellement fautif) avec l’étymologie mais n’a techniquement plus lieu d’être, compliquant inutilement la langue, ou faut-il la simplifier pour coller au mieux au français usuel, à la prononciation ? N’en déplaise aux plus traditionalistes d’aujourd’hui, la prononciation et les usages évoluent dans la langue française, et ceux-ci finissent souvent par déterminer la règle. Un exemple ? Le verbe « escrire« , qui vient du latin scribere, s’est petit à petit mué en « écrire » pour coller au mieux à sa prononciation, le « s » se transformant en accent. Idem pour « hospital » devenu « hôpital », « feste » devenu « fête ». « Authorité », lui, a perdu son « h », qu’on retrouve encore dans l’anglais « authority », découlant du franco-normand. C’est finalement le même processus que pour l’orthographe récente d’ « ognon » (reconnue par l’Académie française en 1990) ou de « clé ». En bref, la querelle sur la réforme de l’orthographe n’est pas une polémique neuve, loin de là ! Et d’un côté comme de l’autre, ce sont souvent les mêmes arguments qui reviennent : un désir d’accessibilité accrue à l’écriture et à la lecture pour les réformateurs, la crainte d’un nivellement par le bas ou d’un gommage des racines étymologiques pour les traditionalistes. Permettez-nous de ne pas prendre parti...

Et l’accord du participe, là-dedans ?

Quid de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir, lorsque le complément d’objet direct précède le verbe ? Aucune explication logique ne permet de l’expliquer, d’où la suggestion de le supprimer : il s’agirait plutôt d’une erreur d’écriture qui trouverait son origine au temps des moines copistes et qui se serait maintenue par la suite. Dans un reportage de RTL-TVI, les deux professeurs de français à l’origine de la polémique expliquent que « dans beaucoup de manuscrits, le moine écrivait au fil de la plume, parfois sur dictée, et quand il écrivait par exemple ‘les pieds que Jésus a lavés’, il lui suffisait de remonter un peu dans la phrase pour savoir ‘ce que Jésus a lavé’, et il pouvait faire son accord, ce n’était pas compliqué. Par contre, quand il écrivait ‘Jésus a lavé’, au moment d’écrire ‘lavé il ne [savait] pas encore avec quoi il [devait] l’accorder, et puis il [continuait] à écrire avant que le complément arrive, et en général il [oubliait] d’accorder son participe passé ». Ou il n’avait plus la place sur le parchemin pour revenir sur l’accord...

Une explication tout à fait plausible, car on suspecte ces pauvres moines – dont les conditions de travail étaient loin d’être optimales et confortables – d’être à l’origine d’autres règles étranges de la langue française. C’est notamment le cas de certains pluriels se terminant par « -x » (chevaux, niveaux...) : histoire de ne pas avoir à écrire deux lettres (chaque lettre devant être tracée avec soin), les copistes utilisaient une abréviation signifiant « -us », qui ressemblait à s’y méprendre à un « -x ». Dans les faits, cheval au pluriel se disait « chevaus » mais semblait s’écrire « chevax ». Et lorsque, par la suite, le « u » a été replacé pour correspondre à la prononciation, le « x » est resté...

Vous avez un avis sur la question, un commentaire ? N’hésitez pas à nous écrire via redaction@plusmagazine.be.

Précision utile : ne sommes pas linguiste, ni historien des langues, mais avons simplement voulu vulgariser et remettre en contexte une matière qui s’avère assez complexe. En cas d’erreur de fond, n’hésitez pas à nous envoyer un mail, nous rectifierons le cas échéant.

Contenu partenaire