André Citroën a créé une auto permettant aux fermiers de rouler dans leurs champs ! © DR

70 ans et ça roule pour la 2CV !

Deuche, Deux-poils, Deux-pattes... Les surnoms sympathiques ne manquent pas pour désigner la Citroën 2 CV. Rien d’étonnant à cela, car septante ans après son lancement, cette voiture iconique fait encore battre des millions de coeurs.

Peut-être a-t-elle été votre première voiture, celle de vos parents, de la voisine ou encore celle qui permettait au boulanger de livrer son pain ? La 2 CV entraîne dans son sillage bien des souvenirs et fait toujours battre les coeurs. Et pas seulement ceux des quinquas et des sexas, dont la jeunesse a coïncidé avec l’âge d’or de la Deuche. Non, les jeunes, tout aussi séduits, redécouvrent ce modèle avec bonheur. Chose unique pour une voiture au charme tout en modestie, une automobile qui n’a jamais eu la prétention de pétarader plus haut que son pot d’échappement.

Ce regain d’intérêt colle bien au public que ciblait André Citroën dans les années 1930, lorsqu’il dessina les premiers plans de la 2 CV. Convaincu que les automobiles allaient devenir un produit de masse, il a créé un modèle pratique, destiné aux fermiers et aux familles à revenu modeste. Une voiture facile d’entretien, capable d’accueillir quatre adultes, avec un coffre d’une capacité de 50 kg et une suspension géniale, conçue pour arpenter les champs bosselés avec une cargaison de pommes de terre ou un panier d’oeufs posés sur la banquette... sans risque d’en fêler un seul ! Voilà pour la légende. Mais pour juger du niveau d’essence, il fallait enfoncer un bâton dans le réservoir.

De 1948 à 1990, il s’est vendu quelque 5 millions de 2 CV dans le monde. Le tout dernier modèle est sorti d’usine en 1990, au Portugal.

Très vite, la France rurale toute entière tombe sous le charme de la Deuche, bientôt suivie par les médecins de campagne et les artistes bohèmes. Au point qu’il fallait s’inscrire sur liste d’attente et patienter... jusqu’à trois ans. Un modèle d’occasion, disponible immédiatement, se vendait alors plus cher qu’une 2 CV neuve. Dans les années 1960, la voiture vit son âge d’or, avec des versions améliorées, des modèles dérivés, des commandes et des séries spéciales. Avec la VW Coccinelle et la Renault 4, la 2 CV traduit à merveille son époque : petite et basique, lente et (relativement) écologique, bruyante mais dotée d’un design audacieux.

70 ans et ça roule pour la 2CV !

La préférée des médecins et des hippies

 » C’est une voiture qui a eu autant de succès auprès des hippies, qui la voyaient comme un symbole anti-establishment, qu’auprès des agriculteurs. Mais elle plaisait aussi aux médecins et aux avocats. C’était un peu le cabrio de l’homme simple « , analyset Herman Konings, observateur de tendances.

Sur grand écran aussi, la 2 CV brille de tous ses chromes, forte d’une image éminemment sympathique, voire un peu rebelle. Songez aux Gendarmes, la série de films légendaires avec Louis De Funès dans lesquels la Deuche arpente vaillamment les routes de Provence. James Bond lui-même a roulé des mécaniques en 2 CV. C’était en 1981, dans Rien que pour vos yeux. Soumise à la concurrence des voitures plus rapides et plus confortables, la Deuche cède du terrain, jusqu’à ce que Citroën annonce la fin définitive de la production en 1990.

Ceux qui ont eu le réflexe de faire l’acquisition d’un des derniers modèles, quand c’était encore possible, ont eu mille fois raison. Car l’ancienne voiture du pauvre est aujourd’hui extrêmement recherchée. Pour certains exemplaires vintage, il faut débourser 75.000 ?. Mais on trouve déjà de simples 2 CV autour de 10.000 ?. Incroyable, quand on songe qu’il y a encore vingt ans, les occasions se vendaient parfois pour 250 ?. Un prix qui s’explique par l’élan de désir que suscite à nouveau la 2 CV.

 » C’est une voiture qui a une histoire et une bouille. Elle détonne parmi les modèles contemporains qui se ressemblent tous. Nos voitures actuelles sont interchangeables et manquent d’âme. La Deuche évoque un style de vie. Souvent ce n’est pas pour l’aspect fonctionnel qu’on l’achète de nos jours – car elle demande pas mal d’entretien – mais pour des raisons émotionnelles. La 2 CV a quelque chose de romantique, elle est rattachée à notre jeunesse, aux premières fois. C’est comme une capsule temporelle, décrypte Herman Konings. Rouler en 2 CV permet de se distinguer et de s’affirmer. C’est une voiture qui en dit long sur son conducteur. Son image sympatique rejaillit sur lui. Impossible d’associer la Deuche à une conduite agressive. « 

La 2CV plaît autant aux enfants d'aujourd'hui qu'à ceux d'hier.
La 2CV plaît autant aux enfants d’aujourd’hui qu’à ceux d’hier.

Nostalgie et nouvelle hype

 » Ce regain d’intérêt relève aussi d’une certaine nostalgie, assure Dieter Pétré, grand amoureux des 2 CV et autres Citroën vintage. Il a délaissé son job de juriste pour créer une société spécialisée dans la remise en état, l’entretien et la location de vieilles Citroën. Je suis né dans une Citroën DS et j’ai hérité de mes parents et de mes grands-parents d’une véritable passion pour ces modèles. Dans les années 1960 et 1970, plusieurs catégories professionnelles passaient leur temps dans des 2 CV : les infirmiers à domicile, les techniciens des RTT, les employés des fournisseurs d’électricité... Pour eux, se remettre au volant d’une 2 CV, c’était retrouver leur passé, renouer avec leurs souvenirs. Ceci dit, ce type de voiture attire des gens de tous âges. Elle fait rêver les enfants. Pour les trente-naires et les quadras, c’est un hobby : on bichonne sa Deuche pour partir en excursion le week-end. Je connais des personnes qui partent ainsi tout l’été et des sociétés qui utilisent la 2 CV pour leurs campagnes publicitaires. Il y a enfin une catégorie qui y voit un investissement intéressant. On continue de produire des pièces détachées d’origine pour la 2 CV et d’autres modèles très recherchés, comme la Mehari. Aujourd’hui on est capable de remplacer ou de réparer la quasi totalité des pièces : du bloc moteur au plus petit écrou. On pourra sans doute rouler pendant longtemps encore avec ces voitures anciennes. « 

A l’époque du tout-numérique et du  » toujours plus vite « , l’attrait qu’exerce la lente 2CV sur les jeunes semble tout à fait logique aux yeux de Herman Konings.  » La 2 CV colle bien à l’envie actuelle de jeter un oeil dans le rétroviseur, de revenir à des valeurs plus authentiques et artisanales. C’est ce qui explique le retour en grâce du potager, des paniers de cueillette et des disques vinyles. Tout cela fait contrepoids aux évolutions technologiques. Les jeunes générations raffolent du numérique mais elles ont l’intelligence de rechercher aussi des valeurs plus soft. Posséder une voiture ne signifie plus rien pour elles. Par contre, sillonner les routes au volant d’une 2 CV représente une expérience. C’est un peu la slow food des transports. « 

Les jeunes ne rêvent plus de posséder leur propre auto. Pour eux, la 2CV c'est un peu la slow food des moyens de transport.
Les jeunes ne rêvent plus de posséder leur propre auto. Pour eux, la 2CV c’est un peu la slow food des moyens de transport.© Giorgio Rottigni

Un héritage industriel qui voit l’avenir en vert

Est-il vraiment raisonnable, et prudent, d’avaler les kilomètres au volant d’un oldtimer, en ces temps de basses émissions et de normes écologiques plus strictes que jamais ?  » Les accidents impliquant des 2 CV et des oldtimers sont peu fréquents, et rarement graves. Les experts du trafic automobile avancent comme explication le type de conduite, plus relax. Au volant d’une 2 CV, on adopte d’emblée une conduite plus passive et anticipative. On recherche également les petites routes secondaires plutôt que les autoroutes à quatre ou six bandes, faute d’une motorisation puissante. Bref, on roule cool « , observe Dieter Pétré. Quant à l’empreinte écologique, rien de grave, là non plus.  » La 2 CV est un véhicule très léger qui consomme peu. Quant aux émissions, on planche actuellement sur des alternatives. Avec les étudiants ingénieurs de la KULeuven, nous mettons au point un projet de moteur plus propre, sans que cela n’ôte son identité à la voiture. L’avenir de la 2 CV sera sans doute électrique. En France et aux Pays-Bas, cela s’est déjà concrétisé. Il faut dire que ce serait un compromis parfait : par son poids plume, cette voiture est la candidate idéale pour abriter une batterie électrique. Un exemple de recyclage optimal, car la 2 CV est un véritable morceau d’héritage industriel. Dans trois cents ans, on la considérera comme un objet historique unique en son genre. Malheureusement, chez nous, cette perspective verte n’est pas encore pour demain. Nous manquons d’un cadre légal qui permettrait de faire reconnaître officiellement un modèle de 2CV électrique.  » Le plan B reste donc au garage... pour le moment.

Autoworld, à Bruxelles, expose jusqu’au 29 avril les modèles de 2 CV les plus iconiques à l’occasion des 70 ans de ce modèle mythique. infos : www.autoworld.be

Ruud et Anita:  » Cette voiture a changé notre vie ! « 

70 ans et ça roule pour la 2CV !
© WIM KEMPENAERS

 » Nous attendions notre troisième enfant et cherchions une deuxième voiture, lorsque nous sommes tombés, par hasard, sur une 2CV d’occasion. C’était il y a vingt-et-un ans et elle ne nous a coûté que 250?. Aujourd’hui, on aurait à peine des pneus pour ce prix « , raconte Ruud Michiels, président de l’asbl Huppel, le premier club 2 CV de Belgique (qui a vu le jour en 1981).

 » Cette voiture a totalement modifié notre façon de vivre. Dès qu’on monte dedans, on est envahi par un sentiment de paix et de liberté. On sent tout de suite qu’on n’est pas dans n’importe quelle auto. C’est unique !  » renchérit sa femme, Anita Vanspringel.

 » C’est grâce à un collègue que j’ai découvert le club 2 CV, se souvient Ruud. Je m’y suis fait de très bons amis. Nous partons en vacances autrement. Fini les hôtels, nous campons dans le Midi. Voyager en 2 CV, c’est toujours un peu l’aventure. Je me rappelle encore notre traversée des Alpes avec trois enfants sur la banquette arrière... Ce n’était pas triste ! Pendant que je m’acharnais sur l’embrayage et sur le frein ma femme s’occupait de la pédale de gaz. C’était la seule façon de parvenir en haut des côtes. Ensuite, il fallait redescendre en espérant que les freins tiennent. Mais attention, la 2 CV reste une voiture très fiable. L’année passée, nous avons parcouru sans problème 6.500 km jusqu’au Portugal, aller et retour. Nous quittons souvent les routes pour rouler dans les champs. Une autre voiture en serait incapable !

La seule chose qu’on doit emporter avec soi, ce sont des liens de serrage et du ruban adhésif toilé pour pouvoir fixer au besoin les pièces qui menacent de se détacher. Et si vous tombez en panne, vous pouvez toujours compter sur l’aide de passants. Partout dans le monde, on trouve des réseaux d’amoureux des 2 CV qui vous hébergent ou vous conduisent au garage le plus proche. C’est aussi une voiture qui ouvre bien des portes. Nous nous sommes déjà retrouvés dans les endroits les plus improbables, comme un superbe château privé dont le propriétaire est venu à notre rencontre dès qu’il a vu notre 2 CV. Cela lance tout de suite la conversation, un peu comme quand on sort promener son chien. « 

Contenu partenaire