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Vivre avec des rhumatismes chroniques (témoignages)

Les rhumatismes chroniques, qu’on n’arrive pas encore à guérir, bouleversent le quotidien des malades. Ils doivent apprendre à vivre avec les limites imposées par leur corps. S’adapter et garder un état d’esprit positif permet de retrouver une vraie qualité de vie.

Le terme de rhumatismes ne va pas sans son lot de malentendus, si bien que les personnes qui souffrent de formes graves de la maladie sont souvent incomprises », déplore le Pr Filip De Keyser, rhumatologue. Il est grand temps de faire évoluer les mentalités.

Quand le diagnostic de rhumatisme chronique tombe, c’est souvent un choc. Comment l’accepter?

Pr Filip De Keyser: En tant que rhumatologue, je suis mes patients pendant des années et je les accompagne à travers des moments difficiles. Grâce à ce contact prolongé, j’ai découvert l’importance primordiale de l’acceptation. Mais cela ne se fait pas en un jour... C’est un processus lent. Il y a une question cruciale à se poser: que voulez-vous continuer à faire? Chacun a ses angoisses et ses craintes, il faut pouvoir les entendre. Un grand sportif sera déprimé à l’idée de ne plus pouvoir se dépasser ; une coquette se demandera si elle peut encore porter des talons ; et un infirmier s’il pourra continuer à travailler. Un de mes patients rêve de faire un tour du monde? Je l’aide à trouver comment concrétiser ce rêve. Mais vous devez aussi accepter que les possibilités se réduisent et ne pas vous accrocher à ce qui n’est plus faisable.

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Le 12 octobre se tiendra la Journée mondiale contre les rhumatismes: de la polyarthrite rhumatoïde (PA) à l’arthrose, très fréquentes, en passant par les affections les plus rares. Environ 1 Belge 5 cinq a une forme de rhumatisme. La maladie devient chronique chez 1 patient sur 20.

Perd-on en qualité de vie?

Grâce aux traitements, on parvient à stabiliser les rhumatismes chroniques dans 80% des cas. Mais la personne retrouve rarement la même énergie qu’avant. Si, avant la maladie, elle avait une qualité de vie au top, dites-vous que celle-ci risque de chuter à 30%. Grâce aux médicaments, on constate heureusement une amélioration de la qualité de vie au bout de six à douze mois, même si elle ne revient pas à 100%.

A part un traitement ciblé, que peut-on faire pour retrouver un maximum de qualité de vie?

En vous concentrant sur votre nouveau mode de vie, vous pouvez gagner énormément de confort au quotidien. Outre une bonne alimentation, prévoyez des exercices physiques adaptés qui vous permettront, en plus, de conserver une vie sociale et d’occuper agréablement vos journées. Mettez l’accent sur ce que vous pouvez encore faire, plutôt que de vous focaliser sur ce qui ne va plus, trouvez des alternatives. Gardez l’esprit ouvert vous permettra de découvrir un éventail de possibilités. Vous ne pouvez plus faire de jogging ou de foot? Trouvez une activité sportive moins exigeante mais qui vous apportera autant de plaisir et moins de courbatures. Le défi consiste à trouver à chaque période de la vie l’activité la mieux adaptée à sa forme physique.

An, 56 ans, a une spondylarthrite

Ça a commencé il y a vingt-cinq ans par des douleurs dans le bas du dos, jusqu’à ce que je sois tout à fait bloquée. Il aura fallu cinq ans pour que le bon diagnostic soit posé. Connaître la cause de mes problèmes a suscité des sentiments mélangés. En tant qu’enseignante, je m’en voulais beaucoup d’être parfois absente deux à trois mois sans raison claire. Mais être confrontée à une maladie incurable m’a aussi angoissée face à l’avenir.

La situation s’est améliorée lorsque je suis passée à temps partiel, jusqu’à ce que la maladie s’aggrave. Pendant une année scolaire complète, j’ai vraiment dépassé mes limites. En effet, une collègue et moi avons dû reprendre la direction de l’établissement. Après cela, j’ai encore travaillé pendant cinq ans ... jusqu’à ce que je n’en puisse plus.

Finalement, j’ai dû mettre un terme à ma carrière. Et là, c’est comme si on était mis à l’écart. J’ai commencé à culpabiliser par rapport à l’école et à mon rôle dans société. En vivant à un rythme plus adapté et grâce à de nouveaux médicaments, ma maladie est désormais sous contrôle, mais mes activités restent très limitées.

Au fil des années, mon bassin s’est raidi, de même que d’autres articulations, et mes muscles sont plus sujets à de l’inflammation. L’hérédité joue un rôle important dans cette maladie. Lorsqu’on est, comme moi, porteur d’un gène précis, on court un risque accru. Mon fils aîné, qui est décédé d’un problème cardiaque il y a deux ans, avait ce gène. Le plus terrible pour moi, c’était de savoir que je le lui avais transmis...

Etonnamment, ma maladie m’a aussi apporté des choses positives. Les petits gestes du quotidien, qui semblent aller de soi pour tout le monde – comme faire une balade – ont souvent pour moi des airs de petite victoire à cause des efforts que cela me demande. Une fois le diagnostic posé, je me suis inscrite dans un groupe de personnes qui souffrent de spondylarthrite comme moi, et on fait du sport ensemble une fois par semaine. J’y ai rencontré des gens qui ont une volonté et force d’esprit incroyables, malgré le fait qu’ils vivent avec cette maladie depuis des années. Je reste positive en me disant qu’il y a pire dans la vie.

Vivre avec des rhumatismes chroniques (témoignages)
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Quel rôle joue le mental? Si on a tendance à broyer du noir, peut-on apprendre à positiver?

Positiver est crucial pour faire face à une maladie chronique. Certains sont optimistes par nature et voient le verre à moitié plein alors que d’autres voient le verre à moitié vide. Mais on peut s’entraîner à penser positif! Par exemple, en interrompant un flux d’idées négatives, en se posant des questions qui appellent une réponse positive et déclenchent ainsi des émotions positives. C’est la fameuse question Ikigai que les Japonais se posent en se levant, le matin: « Que puis-je faire aujourd’hui qui me fera plaisir, me rendra heureux et fera du bien aux autres? »

Autre technique intéressante: revoir sa façon de penser. Cela implique d’accepter les échecs qui s’imposent à nous – étape la plus difficile – puis de les réinterpréter. Une de mes patientes faisait ses courses en voiture, jusqu’à ce que ses problèmes d’arthrite et de vue ne lui permettent plus de prendre le volant. Elle a contacté une organisation bénévole pour qu’on la conduise une fois par semaine au supermarché. Elle en profite pour boire un café et manger un morceau de tarte avec la personne qui l’aide. Un moment agréable qui lui a permis, en même temps, d’élargir son cercle d’amis.

Il faut aussi aménager son cadre de vie de façon à ce qu’il génère des sentiments positifs. Et là, tout est possible: entourez-vous de photos de vos enfants et petits-enfants, adoptez un animal de compagnie, agrandissez des photos de voyage, allumez des bougies, mettez de la musique... Soyez conscient de ces stimulis et cherchez-en régulièrement de nouveaux.

Les formes de rhumatisme chronique

La polyarthrite rhumatoïde (PR) est une maladie auto-immune par laquelle le système immunitaire s’attaque aux articulations. A un premier stade, la PR provoque surtout une inflammation des articulations des mains, des pieds et des genoux, avant de toucher parfois d’autres articulations plus importantes. Parmi les symptômes typiques, citons les douleurs articulaires, le gonflement des articulations et de la fatigue. La douleur survient surtout au repos, le plus souvent la nuit et le matin.

La spondylarthrite ankylosante (SA) est une affection auto-immune qui touche surtout les articulations de la colonne vertébrale, entre le bas du dos, le bassin et la région du sternum. Les symptômes sont identiques à ceux de la PR. Elle s’accompagne parfois de troubles intestinaux, de la maladie de Crohn ou d’une inflammation des sites d’insertion des tendons.

La maladie peut-elle aussi impacter la vie de couple?

Un conjoint qui compatit, cela fait toute la différence, car il va de soi que la maladie a un impact sur le niveau d’énergie et sur la sexualité. La libido peut être perturbée. Le ménage se retrouve en grande partie à la charge de l’autre. Quand le conjoint se montre compréhensif, cela évite tensions et stress supplémentaires. Si c’est compliqué, pourquoi ne pas consulter le rhumatologue en couple, afin de pouvoir en parler et aborder la question des symptômes invisibles, comme la fatigue?

Et au travail?

En fonction de la profession, on s’assure que l’activité peut être poursuivie. Sinon, on cherche des alternatives comme le passage à un temps partiel, un emploi adapté, voire tout à fait différent. Continuer à travailler n’est pas toujours possible. Vous n’êtes pas tenu d’informer vos collègues de votre maladie, mais je conseille toujours de trouver une oreille amie, un collègue qui connaît votre situation, vers lequel vous pourrez vous tourner et qui pourra servir d’intermédiaire entre vous et les autres. »

Marc, 66 ans, vit avec une polyarthrite rhumatoïde

Accepter... ce n’est peut-être pas le mot juste, disons qu’il faut apprendre à vivre avec la maladie. Des limites, il y en a bien sûr. Mais j’ai remplacé tout ce que je ne suis plus capable de faire par d’autres passions. En tant que vétérinaire, je connaissais la polyarthrite rhumatoïde (PR), mais je ne savais pas dans quelle mesure elle allait impacter ma vie. J’ai dû tirer un trait sur ma grande passion, la plongée. Cela été dur, mais je l’ai accepté parce que je n’en étais plus capable. L’eau froide raidissait encore plus mes articulations.

Assez vite, j’ai essayé de trouver un modus vivendi avec la PR. Heureusement, les traitement au méthotrexate et à la cortisone ont fonctionné, ce a permis, au bout d’un an, de réduire la douleur et de limiter l’usure de mes articulations. J’ai pu rester vétérinaire au sein du ministère de l’Agriculture. Au boulot, seul le médecin du travail était au courant de ma situation et il s’est montré très compréhensif. J’ai eu des moments difficiles, surtout au début. Parfois, je me sentais épuisé. Comme je suis libre d’organiser mes journées de travail, j’ai pu m’en sortir.

Depuis que j’ai été diagnostiqué, j’ai tout fait pour freiner l’évolution de l’arthrite au maximum. J’ai quelques petites lésions sur les pieds, mais on ne remarque rien sur mes mains et je veux que cela continue ainsi en gardant un état d’esprit positif. Outre le strict respect de la thérapie, je m’oblige à faire des exercices matin et soir pour que mes articulations restent aussi souples que possible. Certains jours, je n’en ai vraiment pas envie mais sans ces échauffements et cette relaxation j’aurais les articulations totalement raides. Chaque semaine, je fais une séance de kiné, je fais aussi du tai-chi et du vélo en groupe. Plus aussi vite qu’avant, mais je vais à mon rythme... Rester actif est hyper important, mais il ne faut surtout rien forcer au risque d’obtenir l’effet inverse à celui recherché.

Vivre avec des rhumatismes chroniques (témoignages)

Infos:

  • Asbl CLAIR (contre les affections inflammatoires rhumatismales): clair.be
  • Société royale belge de rhumatologie: r-humatismes.be

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