Un coeur brisé, ça existe?

Julie Luong

Provoqué par une émotion forte (rupture, deuil, licenciement...), le syndrome du coeur brisé, ou cardiomyopathie induite par le stress, provoque les mêmes symptômes qu’un infarctus. Mais n’en est pas un!

Avoir le coeur brisé n’est pas uniquement une expression. Une douleur psychique intense peut affecter cet organe, traditionnellement associé à l’amour et à l’attachement. Décrit pour la première fois dans les années 90 par des médecins japonais, le syndrome du coeur brisé est une atteinte du ventricule gauche dans laquelle celui-ci prend la forme d’un récipient circulaire à bord étroit utilisé au Japon pour attraper les pieuvres: le Tako Tsubo.

« Le syndrome du coeur brisé touche surtout les femmes (9 femmes pour 1 homme), surtout après la ménopause, probablement parce que les hormones ne jouent plus leur rôle protecteur, explique Pierre Troisfontaines, cardiologue au CHR de la Citadelle à Liège. Il est favorisé par un stress physique ou émotionnel, au sens large: conflit familial, rupture, divorce mais aussi agression physique. Les périodes de crise peuvent provoquer une augmentation des cas. » Ainsi, pendant la crise Covid, le nombre de cas de Tako Tsubo a nettement augmenté. « Les personnes confrontées à des conflits ou à des situations de guerre sont aussi plus exposées« , précise Pierre Troisfontaines. Chez certains, un événement heureux comme un mariage ou une naissance peuvent également provoquer un Tako Tsubo, même si c’est plus rare.

COMME UN INFARCTUS

« Dans le Tako Tsubo, le stress entraîne une stimulation du système orthosympathique, avec une libération importante des hormones du stress, les catécholamines, poursuit le spécialiste. Ces hormones vont provoquer une atteinte de la microcirculation au niveau du coeur et donc une souffrance avec un ventricule gauche qui cesse de se contracter normalement. »

Sensation d’oppression dans la poitrine, forte douleur, essoufflement anormal...: les symptômes du Tako Tsubo sont les mêmes que ceux d’une crise cardiaque, lorsque le coeur se trouve soudainement privé d’oxygène suite à l’obstruction d’une artère coronaire, par exemple par une plaque d’athérome (cholestérol). « Les patients se présentent à l’hôpital avec ce tableau assez spectaculaire. L’électrocardiogramme montre parfois des modifications similaires à celles observées dans un infarctus. Mais la coronographie montre que les artères principales ne sont pas atteintes, comme dans l’infarctus, tandis que la ventriculographie montre une atteinte de la microcirculation et cette déformation particulière du ventricule gauche. L’IRM cardiaque permet de confirmer le diagnostic. » Selon les études, 3 à 6% des patients qui se présenteraient aux urgences avec des symptômes évocateurs d’un infarctus seraient en réalité atteints d’un syndrome du coeur brisé...

La cardiomyopathie induite par le stress est la plupart du temps réversible.

Si des complications peuvent parfois survenir (insuffisance cardiaque, choc cardiogénique, arythmie...), la cardiomyopathie induite par le stress est la plupart du temps réversible et se rétablit généralement après quelques semaines.

UN SUIVI NÉCESSAIRE

Un événement de ce type doit cependant faire l’objet d’une prise en charge médicale, avec un traitement par bêta-bloquants et, en cas d’insuffisance cardiaque, avec des diurétiques, des inhibiteurs de l’ECA (enzyme de conversion de l’angiotensine) ou des ARA (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II). « Il ne faut pas banaliser le syndrome du coeur brisé, insiste Pierre Troisfontaines. Le coeur récupère la plupart du temps, mais cela peut prendre de 3 à 6 mois... Donc ces personnes vont avoir besoin d’un suivi régulier, avec parfois un programme de revalidation cardiaque, un traitement médicamenteux et, si nécessaire, un accompagnement pour mieux gérer le stress et l’anxiété. »

Ce suivi est d’autant plus important qu’il existe un risque non négligeable de récidives, environ 11% dans les cinq ans. « On pense qu’il existe une prédisposition génétique dans ce syndrome. Les profils très anxieux sont aussi plus exposés. Par ailleurs, si le stress est l’événement déclencheur du Tako Tsubo, ce syndrome présente les mêmes facteurs de risque que les autres maladies cardiovasculaires: consommation d’alcool, tabagisme... Améliorer son hygiène de vie permet donc aussi de réduire le risque d’avoir le coeur brisé... »

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